(Conférence donnée au Centre Universitaire de Luxembourg, le 19 décembre 2002, à l'invitation de la Société luxembourgeoise de Philosophie)
En 1937, peu de temps après la publication de son livre, Popper avait
accepté un poste à l’université de Cantorbery en
Nouvelle-Zélande, il y resta toute la durée de la deuxième
guerre mondiale. Popper avait déjà été invité
à parler de son ouvrage en Angleterre en 1935, il y est revenu définitivement
en 1946 pour enseigner d’abord à la London School of Economics,
puis, à l’Université de Londres (1949) où il occupa
la chaire de Logique et de méthode scientifique jusqu’à
sa retraite en 1969. La Reine l’avait fait chevalier en 1965.
Généralement considéré comme le plus grand philosophe
des sciences du 20ème siècle, Karl Popper est aussi un philosophe
social et politique d’envergure. Il s’est ouvertement opposé
à toutes les formes de scepticisme, de conventionnalisme, et de relativisme
dans les domaines scientifiques et éthiques. Critique du totalitarisme,
il a défendu ce qu’il appelait la « société
ouverte » qu’il pensait non utopique mais prévenue
contre l’historicisme, le collectivisme, et tous les aspects de l’idéologie
totalitaire.
L’une des caractéristiques de la pensée de Popper est
l’immense portée de son influence intellectuelle. Il a été
apprécié par de nombreux scientifiques comme rarement les philosophes
l’ont été avant lui : en effet, l’intérêt
qu’il a suscité chez les scientifiques est véritablement
sans précédent ; parmi ses relations scientifiques, on
compte Percy Bridgman (1882-1961), Erwin Schrödinger (1887-1961), Alfred
Landé (1888-1975), Dennis Gabor (1900-1979), Hermann Bondi (1919) ;
sans oublier Jacques Monod (1910-1976), qui a préfacé en 1973
la version française de La logique de la découverte scientifique.
Durant ses années d’études, Popper s’était
déclaré marxiste pendant une courte période, soldée
par une déception relative au caractère doctrinaire du mouvement
communiste. Toutefois, il a retenu du marxisme l’importance des données
économiques, la notion de la lutte de classes et l'intérêt
pour l’histoire. L'annexion de l'Autriche par le Reich allemand, que
Popper avait vu venir, l’a conduit très tôt sur les chemins
de l’exil, étant donné son origine juive : aussi
a-t-il défendu le libéralisme démocratique et critiqué
toutes les formes de totalitarisme dans des ouvrages tels que La pauvreté
de l’historicisme (1944) et La société ouverte
et ses Ennemis (1945). La manière dont le marxisme rendait compte
de l'histoire n’était pas scientifique pour Popper. Popper avait
d’abord cru que le marxisme était scientifique parce que Marx
avait semblé postuler une théorie prédictive. Cependant,
les prévisions de Marx ne se confirmant pas, la théorie supposée
scientifique avait dégénéré dans un dogme pseudo-scientifique.
Du point de vue épistémologique, son expérience concernant
la psychanalyse de Freud fut pour Popper analogue à celle du marxisme
dans la mesure où il jugeait l’une et l’autre irréfutables,
donc non scientifiques.
Surtout, Popper a été frappé par l’esprit critique
d’Einstein dont il entendit à Vienne une conférence sur
la théorie de la relativité. À ses yeux, la principale
différence, en particulier entre les théories de Freud et d’Einstein
tenait au fait que la théorie d'Einstein était risquée,
car les conséquences qu’on pouvait en tirer étaient très
improbables selon la physique newtonienne dominante ; et, si elles s'avéraient
être fausses, la théorie tout entière s’avérerait
être fausse : c’est ce que Popper appelait la « falsification ».
Tout au contraire, rien ne pourrait jamais contredire la théorie psychanalytique :
aussi celle-ci lui paraissait-elle relever davantage de la pensée mythique
que de la science véritable. En particulier, la psychanalyse ne pourrait
jamais être prédictive : ce qu’elle avance ne pouvant
pas être assez précis pour comporter des implications négatives ;
par conséquent, pour Popper les théories psychanalytiques échappaient
à une réfutation par l’expérience.
On voit déjà que la thèse épistémologique
principale, la falsifiabilité des théories qui est devenue
pour Popper le critère de démarcation entre science et non-science,
renvoie à une expérience existentielle vécue par Popper.
Or, cette thèse qui fait l’originalité de l’épistémologie
de Popper en constitue aussi, à mon avis, le point faible. Globalement
elle implique qu’une théorie incompatible avec de possibles observations
empiriques est scientifique et, réciproquement, qu’une théorie
compatible avec (ou conforme à) toutes les observations possibles est
non scientifique. De plus, une théorie « infalsifiable »
donc non scientifique à un moment donné peut devenir falsifiable
et par conséquent scientifique, à la faveur d’un quelconque
développement. Certes, Popper reconnaît que les explications
proposées par la pensée mythique ont joué dans le passé
un rôle relatif à la compréhension de la réalité.
Donc, le premier et grand livre de Popper s’intitule en français, d’après la traduction à partir de l’anglais, La Logique de la découverte scientifique. Originairement, en allemand, il s’intitulait La logique de la recherche : ce qui est assez curieux étant donné la différence que l’on fait depuis Aristote et, de nouveau, depuis la philosophie analytique, entre la découverte et la justification, car on ne voit pas vraiment où se situe Popper avec sa « logique de la découverte » : raconte-t-il l’histoire d’un fragment particulier de connaissance (ce qui concernerait le contexte de la découverte), ou bien explique-t-il les raisons qu’on peut avoir pour accepter ce fragment de connaissance (ce qui concernerait le contexte de justification). Dans le premier cas, il s‘agirait de l’ordre des choses, dans le second, de l’ordre des raisons. En principe, la « logique de la connaissance »[1] aurait dû fournir, selon l’affirmation de Popper, une analyse logique de la procédure scientifique, c’est dire qu’elle devrait concerner la justification nécessaire à accepter tout système théorique valable.
Or, que voyons-nous, dès le chapitre premier ? Comme l’énonce
le titre du chapitre, nous voyons Popper examiner « certains problèmes
fondamentaux », et il commence par le plus épineux de tous
en même temps que le plus indispensable : le problème de
l’induction ! Sans doute l’induction est-elle un procédé
qui peut paraître hasardeux, mais c’est bien celui qui permet
d’avancer dans les sciences. Popper rappelle, dès le départ,
que les sciences empiriques se caractérisent « par le fait
qu’elles utilisent des ‘méthodes’ dites ‘inductives’ »[2].
Popper doute qu’il soit logique de justifier une inférence
d’énoncés universels à partir d’énoncés
singuliers aussi nombreux soient-ils [3].
Dès les premières pages apparaît donc le fameux exemple
des cygnes blancs à propos duquel il écrit : « peu
importe le grand nombre de cygnes blancs que nous puissions avoir observé,
il ne justifie pas la conclusion que tous les cygnes sont blancs ».
C’est pourquoi il pose d’une manière générale
la question de savoir si les inférences inductives sont justifiées.
Or, telle qu’il la pose, cette question relèverait de la logique
pure, c’est-à-dire qu’elle est hors de toute référence
à l’expérience ; or, Popper prétend formaliser
le passage d’une instance observée à une nouvelle instance
non observée : naturellement, cette formalisation ne peut convenir
au passage de l’inobservé à l’observé, qui
est le propre de l’induction. Il faudrait, selon Popper, commencer par
établir la validité du principe d’induction, qui ne peut
être une vérité purement logique, Popper lui-même
l’affirme.
Déjà en 1912, Bertrand Russell avait répondu à
toutes ces difficultés concernant l’induction : ce n’est
pas l’existence de quelques cygnes noirs en Australie ni même
celle de toute une classe de cygnes noirs qui peut ruiner le principe d’induction :
et même si on ne peut le prouver, ce principe n’en existe pas
moins pour Russell, qui ajoute qu’on ne peut pas le réfuter non
plus. Or, c’est à quoi Popper s’est attaché dans
son premier livre : à réfuter ce principe ! Il est
ensuite revenu à la charge plusieurs fois : en 1963 dans Conjectures
et réfutations et en 1971 dans l’article de la Revue internationale
de philosophie[4] intitulé
« La connaissance conjecturale : ma solution du problème
de l’induction » (on retrouve d’ailleurs cet article
comme premier chapitre du livre de 1972, intitulé La connaissance
objective[5]).
Je rappelle rapidement qu’il existe plusieurs sortes d’induction : l’une par généralisation empirique directe, c’est l’induction dite sans rigueur que les logiciens appellent une « projection de prédicats » ; mais c’est en fait, plus scientifiquement, le passage du particulier au général, forme qui se divise en trois types que refuse Popper :
Cette position relative à l’induction dépasse donc largement le problème de l’induction ; en fait, ce qui intéresse Popper dans l’induction, c’est qu’il y voit la possibilité de s’appuyer sur un raisonnement qui n’est pas fiable à 100 pour 100 pour lui permettre de développer une méfiance radicale quant aux théories scientifiques déjà admises, sans compter envers celles qui restent encore à venir. Son enquête sur le problème de l’induction par laquelle a commencé son premier livre a donc dégénéré en un soupçon bien plus grave : il en ressort manifestement que pour lui toute théorie scientifique n’est que conjecture. Il suggère ainsi une incertitude généralisée qui sera reprise par un grand nombre d’épistémologues contemporains et qui portent prétendument sur la question de savoir comment faire pour repérer une théorie meilleure qu’une autre ? En effet, aujourd’hui encore, et surtout durant les dernières décennies depuis la publication du livre de Kuhn sur les révolutions scientifiques, tout le monde se demande à quoi on peut bien reconnaître une « bonne théorie » parmi plusieurs candidates. Sans doute, Popper avait répondu : découvrir le point par lequel une théorie échoue permet d’avancer une théorie qui réussit là où la précédente a échoué ; mais celle-ci pose à ses yeux un nouveau problème : celui de réussir là où la précédente a échoué. Et c’est précisément à ce point de la réflexion poppérienne que nous voyons intervenir le « réfutationnisme », du moins la considération des réfutations : généralement, une théorie valide ne l’est pas seulement à cause de ses succès, mais aussi à cause des nouveaux tests dont elle est l’objet au cours des tentatives de réfutation. Toutefois, une théorie non réfutée peut néanmoins être fausse. Certes, pour Popper une théorie non réfutée est meilleure qu’une théorie réfutée, la raison en est qu’elle explique tout ce que la théorie réfutée expliquait et davantage, mais elle ne sera qu’éventuellement vraie, tant qu’elle n’aura pas été elle-même réfutée, et alors elle sera falsifiée, donc suspecte. Le théoricien sera toujours en quête de nouveaux tests pour découvrir la mieux testable des théories. Popper définit la « nouvelle (bonne) théorie » comme celle qui doit expliquer ce que l’ancienne expliquait mais en la corrigeant. Par exemple, pour Popper, la théorie d’Einstein explique et contredit celle de Newton. En particulier, il voit une possibilité de bilan d’évaluation dans l’idée de corroboration. Par toutes ces questions, nous touchons au fameux « falsificationnisme » de Popper.
En fait, le véritable sceptique en matière de théorie
de la connaissance n’est pas Hume, mais Popper ! Il n’y a
rien de positif (si tant est qu’il y en ait) chez Popper qui ne résulte
de méthodes négatives. On retient donc déjà que
toute discussion critique relative à une théorie est nécessairement
faite de tentatives de réfutations. Il reste peut-être au théoricien
de faire des choix « pragmatiques rationnels », mais en
sachant qu’ils ne seront jamais définitifs. Cependant, là
encore, on sait qu’aucune théorie n’est vraie du point
de vue de l’action pratique ; toutefois, il existe certainement
une théorie qui soit mieux testée que toutes les autres. Le
choix qu’on fera sera « rationnel » mais non pas
rationnel au sens où il serait fondé sur de bonnes raisons
de s’attendre à ce qu’il aboutisse à une réussite
pratique. Car il n’existe pas de telles bonnes raisons et notre théorie
de la connaissance est loin d’être aussi fiable que nous le souhaiterions !
On voit que, de même qu’Einstein disait qu’il est inintelligible
que le monde soit intelligible (mais pour Einstein le monde était donc
intelligible), pour Popper, dans le monde que notre science atteint, la connaissance
comme la vie semblent d’une « improbabilité infinie ».
Notre connaissance dite objective ne proviendrait d’après Popper
que de notre connaissance subjective, et en particulier les inductivistes
ne pourraient distinguer l’une de l’autre, puisque croyance et
inductivisme vont ensemble pour Popper. C’est ainsi que pourrait se
justifier son « falsificationnisme ». Il faut tout de
suite dire deux mots sur ce terme barbare : comme la plupart des traducteurs
et commentateurs de Popper, je n’utilise pas, à propos de Popper,
les termes « falsifier », « falsification »
et leurs dérivés, dans le sens français qui leur est
propre (falsifier, c’est en principe faire volontairement du faux),
mais dans le sens que donne Popper aux termes anglais originaires ainsi admis
en français : dès lors, « falsifier »
devient le contraire de « vérifier ».
Donc, pour Popper, le critère du statut scientifique d’une théorie
s’énonce en trois mots exprimés ouvertement dans Conjectures
et réfutations, et ces mots sont les suivants : « falsifiabilité,
ou réfutabilité, ou testabilité ». Certes,
tous les chercheurs en sciences de la nature - et on peut même dire
tous les chercheurs - pratiquent une manière de contredire une théorie
pour tester si elle résiste à la contradiction, et donc pour
voir si elle est vraie. Quant à la réfutation, même si
elle est un passage obligé de la démarche scientifique, elle
ne suffit pas, à elle seule, à faire avancer les sciences. Il
y faut encore les procédés de vérification et de confirmation.
Ce que je dis là est valable non seulement dans les sciences mais encore
dans les opérations courantes du sens commun : nous contrôlons
autant que possible avant d’adopter une quelconque solution. Or, le
refus de toute crédibilité concernant la vérification
est ce qui caractérise l’épistémologie de Popper
qui, certes, n’est pas une épistémologie relativiste,
mais qui par ce refus inspire ou confirme les positions relativistes qui aboutissent
à déprécier tout travail scientifique comme étant
seulement lié à des circonstances sociales ou autres mais non
purement intellectuelles et rationnelles. Certes, entre Popper et les relativistes
contemporains, il y eut Kuhn et Feyerabend, également Lyotard, à
partir desquels il était possible de penser le relativisme.
De plus, la réfutabilité exige que les théories scientifiques
soient axiomatisées. Par conséquent, outre le parti-pris de
la réfutation, il y a également un autre parti-pris dans l’épistémologie
de Popper, c’est le formalisme. Bien qu’il soit un ferme critique
de l’École de Vienne qui était portée au formalisme
- entre autres avec Carnap - Popper semble vouloir leur montrer à tous
qu’il est, lui aussi, capable de codifier ou de formaliser les résultats
scientifiques. Surtout, l’École de Vienne présentait,
aux yeux de Popper, le défaut d’être inductiviste ;
et son autre défaut était son rejet total de l’histoire
des sciences. À propos du formalisme, la vérité est donc
que le critère de réfutabilité exige l’axiomatisation
des théories scientifiques : ce qui est loin d’être le
cas universel. Actuellement comme du temps peu éloigné qui était
celui de Popper, il est impossible de codifier la recherche scientifique,
et cela, tout simplement parce que cette recherche comporte à tous
les niveaux de réalité une part énorme de procédés
empiriques ou expérimentaux. De plus, Popper prétendait orienter
selon des prescriptions normatives les méthodes des chercheurs dans
des disciplines dont il n’était pas lui-même spécialiste :
un philosophe ou un historien des sciences n’est pas habilité
pour imposer des normes aux chercheurs.
Je prétends donc que la falsification poppérienne demande à
être examinée et critiquée comme « le problème
de Popper » concernant ses procédés épistémologiques,
tout comme Popper lui-même a examiné « le problème
de Hume » en critiquant sa critique de l’induction. Le fait
que la dite réfutation ignore toute possibilité de confirmation
est un cas très particulier et très grave pour l’avenir
de la science. En effet, Popper n’a jamais voulu que ce qu’il
appelle « corroboration » tienne lieu de confirmation.
Ce qui nous met dans l’étrange situation dans laquelle on peut
déclarer invalides des théories, sans jamais en déclarer
aucune qui soit valide. De plus, il y a des tentatives de réfutation
qui échouent ; donc il n’y a pas de falsifications qui soient
certaines. Notons au passage que, curieusement, Popper fut le premier
à expliciter qu’une décision pouvait émaner du
consensus en ce qui concerne les réactions d’une communauté
scientifique, comme le pensera Kuhn. Popper écrit au chapitre V, section
29, de La logique de la découverte scientifique :
« Chaque fois que nous soumettons une théorie à des
tests, qui la corroborent ou qui la falsifient, nous devons nous arrêter
à un énoncé de base que nous décidons d’accepter.[...]
Il est assez facile de voir que nous en arrivons ainsi à ne nous arrêter
qu’à une espèce d’énoncé particulièrement
facile à soumettre à des tests. Ceci revient en effet à
s’arrêter à des énoncés sur l’acceptation
ou le rejet desquels les divers chercheurs peuvent s’entendre. Et s’ils
ne s’entendent pas, ils poursuivront tout simplement leurs tests ou
les recommenceront tous. S’ils n’obtiennent pas plus de résultats
de cette manière, nous pourrions alors dire que les énoncés
en question ne pouvaient pas être soumis à des tests intersubjectifs
ou, qu’après tout, ils ne traitaient pas d’événements
observables. »[8]
J’ai déjà évoqué au passage qu’il
était possible de voir dans Kuhn une confirmation des affirmations
de Popper : on pourrait même voir, comme ici, plus nettement dans
Popper des anticipations de Kuhn ; et cela apparaît également
au chapitre IV, section 19, de La logique de la découverte scientifique
consacré à la falsifiabilité, dans lequel Popper critique
le conventionnalisme en suggérant la notion de « crise scientifique »
et la façon d’y remédier :
« Chaque fois que le système ‘classique’ sera
menacé par les résultats de nouvelles expériences qui
pourraient, selon mon point de vue, être interprétés comme
des falsifications, le système paraîtra être ébranlé
aux yeux d’un conventionnaliste. Il dissipera les incohérences
pouvant s’être manifestées, soit en rendant responsable
notre maîtrise insuffisante du sujet traité, soit en suggérant
l’adoption ad hoc de certaines hypothèses auxiliaires,
voire de certains ajustements de nos instruments de mesure. »[9]
Communauté scientifique, crise scientifique présagent déjà
Kuhn ; on aura également noté la notion de « système
classique » qui désigne au fond ce que Kuhn appellera la
« science normale.
Mais ce qui est très grave, c’est l’obnubilation de Popper
à l’égard de la vérification ou de la confirmation :
du point de vue de Popper il reste que le critère de démarcation
entre une hypothèse scientifique et une pseudo-hypothèse est
bel et bien constitué par la réfutabilité et donc la
falsification, et non par la vérifiabilité ni la confirmabilité.
De même encore, Popper fait une distinction difficile à comprendre
entre le critère de falsifiabilité pour le caractère
empirique d’un système d’énoncés[10]
et les règles de la falsification.
Popper est l’auteur d’un texte qui affirme que les théories
scientifiques ne sont pas absolument vérifiables mais qu’elles
ne sont pas absolument falsifiables non plus ! Dans la traduction anglaise
de sa grande œuvre, Popper écrit « les falsifications
ne sont jamais absolues ». On peut donc s’interroger sur l’avantage
heuristique de son épistémologie falsificationniste : car
il est clair que pour un chercheur qui veut avancer dans ses recherches, rien
n’a d’intérêt que lié à la réussite
et, pour lui, la falsification paraît de beaucoup moins certaine que
la vérification. Aussi, quand Popper, parlant des « meilleures
théories », affirme qu’elles ne peuvent se démontrer
fausses, on s’interroge de savoir comment ces « meilleures
théories » ont pu voir le jour : sûrement pas
avec la méthode de découverte scientifique poppérienne !
Mais est-ce qu’il est prévu dans cette épistémologie
qu’il y ait de « meilleures théories » (meilleures
que les mauvaises) ou de simplement bonnes ? Si, attendant avec des théories
falsifiées que surviennent des théories alternatives, le poppérien
se méfie déjà de ces dernières, on ne le voit
pas rejoindre le lot des chercheurs authentiques qui visent davantage à
vérifier qu’à falsifier, ou, du moins, qui falsifient
dans l’espoir de pouvoir ensuite vérifier. Une théorie
de la falsification doit pouvoir commencer quelque part et finir quelque part.
Sinon, à quoi sert-elle exactement ? Il y eut des confirmations
scientifiques spectaculaires comme la prédiction de Neptune par
la théorie de Newton, mais elle ne fut jamais pour Popper qu’un
essai rigoureux de falsification !
On voit que ce qui joue à la place de l’induction, ce sont pour
Popper des indices de vérisimilitude, un concept se rapportant à
la comparaison entre les théories. La « vérisimilitude »
est définie par The Oxford Dictionary of Philosophy , que
je traduis ici : «Dans quelle mesure une hypothèse approche de
la vérité. Le premier abord de la notion, qui est dû à
Popper, identifie celle-ci avec la proportion à laquelle une théorie
capture toute la vérité [...]. » - La fin de l’article
souligne le caractère délicat de cette notion, étant
donné que la vérisimilitude des théories peut varier
avec les variations du langage dans lequel elle est conçue.
À cause du comportement anormal de l’orbite de Mercure, on pouvait
dire que la théorie de Newton était falsifiée ;
alors que l’anomalie a été vue en 1915 comme une conséquence
de la théorie de la relativité générale d’Einstein.
On peut donc récapituler : l’existence de Neptune « corrobore »
la théorie de Newton, qui est falsifiée par l’orbite de
Mercure qui, à son tour, corrobore la théorie d’Einstein.
Popper appelle « corroborée » une théorie
qui passe avec succès des tests de falsification, ce qui ne veut pas
dire qu’elle soit « confirmée ». La corroboration
établit des relations de compatibilité et d’incompatibilité ;
Popper explique :
« Nous interprétons l’incompatibilité comme
une falsification de la théorie. Mais la seule compatibilité
ne doit pas nous autoriser à attribuer à la théorie un
degré positif de corroboration : le simple fait qu’une théorie
n’a pas encore été falsifiée ne peut évidemment
être considéré comme suffisant. En effet, rien n’est
plus facile que de construire un nombre quelconque de systèmes théoriques
compatibles avec n’importe quel système donné d’énoncés
de base acceptés.» [11]
Alors même qu’il est question chez Popper d’une approche
de la vérité ou encore d’indices de vérisimilitude,
les concepts de Vrai et de Faux n’ont pas cours dans son épistémologie
ni vraisemblablement dans sa logique (celle-ci serait alors une logique sans
vrai ni faux !). En effet, Popper a pu évoquer la contradiction
qu’il voyait entre les prédictions et la base empirique d’une
falsification, sans toujours expliciter le lien logique entre les premières
et la seconde. Toutefois, sans dire qu’une théorie est fausse,
il admet qu’elle est en contradiction avec un certain ensemble d’énoncés
de base acceptés[12] ;
dès lors, sa constatation doit bien avoir pour conséquence de
ne pas tenir pour valide une théorie en contradiction avec les faits,
puisque les énoncés de base doivent bien concerner des faits.
D’ailleurs, explicitement, Popper affirme qu’on n’a pas
besoin de dire qu’une théorie est « fausse » :
« Il n’est pas nécessaire de dire que la théorie
est ‘fausse’ ; nous pouvons dire qu’elle est en contradiction
avec un certain ensemble d’énoncés de base acceptés »[13].
Il s’exprime ainsi dans un contexte dans lequel les concepts de ‘vrai’
ou de ‘faux’, sans être interdits dans sa logique scientifique[14],
peuvent pourtant être évités. Popper veut les éviter
pour n’avoir pas à revenir sur une vérité qui,
proclamée hier, serait déclarée fausse aujourd’hui :
« Lorsque nous estimons qu’un énoncé est corroboré
ou qu’il ne l’est pas, il s’agit aussi d’une évaluation
logique et donc également d’une évaluation intemporelle :
nous tenons en effet qu’il existe une relation logique déterminée
entre un système théorique et un certain système d’énoncés
de base acceptés » [15]
En somme « corroboré » remplacerait « vrai »,
de même que « falsifié » remplacerait « faux »,
mais dans des conditions temporelles différentes. Comme Popper l’écrit un
peu plus loin : « Nous tenons en effet qu’il existe une relation
logique déterminée entre un système théorique
et un certain système d’énoncés de base acceptés ».
Popper explicite donc bien ici le lien logique entre les prédictions
et la base empirique. Popper rattache aussi d’ailleurs clairement dans
« une relation logique déterminée » certains
énoncés de base à des conclusions falsifiées.
Il écrit de même :
« Je dirai même que certains énoncés sont hypothétiques
compte tenu du fait que l’on peut en dériver des conclusions
(à l’aide d’u système théorique) dont la
falsification peut entraîner leur propre falsification.»[16]
En fin de compte, il apparaît clairement que la « falsification »
n’a aucun sens discriminatif ; et si « faux »
ni « vrai » n’est un terme utilisé, alors
que signifie l’épistémologie poppérienne du point
de vue de la recherche scientifique ? Surtout, pourquoi s’occuper
de « falsification » s’il n’y a jamais de
vérification préalable ou conclusive qui soit définitive ?
Les chercheurs scientifiques pensent généralement vérification
et falsification non pas d’un point de vue philosophique se voulant
original et situé certainement à l’extérieur de
leurs recherches, mais uniquement dans la perspective des résultats
positifs généralement souhaités pour toute recherche
quelle qu’elle soit. Disons-le, la falsification ne crée pas
de théorie, elle en détruit plutôt. Et en ce qui concerne
les niveaux d’universalité ou les degrés de précision,
Popper affirmait qu’il fallait dériver l’énoncé
le moins universel du plus universel. On peut se demander simplement comment
faire pour parvenir à des énoncés universels dont on
déduirait des énoncés sans jamais s’aider de l’induction ?
Mieux encore, comment faire pour parvenir à des énoncés
déjà reconnus les plus précis et les plus universels,
quand on croit avec Popper que ce résultat ne sera jamais l’effet
d’une falsification. On peut comprendre que la non falsifiabilité
ne soit pas suffisante à faire admettre une théorie ; mais
comme rien ne permet de confirmer cette dernière, on ne voit pas comment
la science pourrait jamais s’édifier sur cette base unique :
la solution poppérienne est décidément insuffisante pour
les scientifiques.
Si l’on fait le bilan du falsificationnisme, on peut relever qu’il
n’y a pas de falsification certaine et qu’il n’y a pas de
vérification du tout ; qu’il n’y a de théories
ni vraies ni fausses ; qu’il existe des vérifications inattendues
comme celle de l’existence de Neptune, calculée par l’Anglais
John Couch Adams et le Français Urbain Le Verrier, observée
par l’Allemand Johann Galle ; qu’il peut donc y avoir de
« merveilleuses corroborations » et « d’excessives
improbabilités », selon les expressions sceptiques de Popper
qualifiant à sa manière ce genre d’événements
scientifiques.
En ce qui concerne directement la validité des théories scientifiques,
je pense que Popper n’a jamais établi rien d’autre que
ce qui suit :
Je vais évoquer rapidement la notion de relativisme cognitif qui
a été parfaitement définie par Sokal et Bricmont dans
leur livre, Impostures intellectuelles, comme étant « toute
philosophie qui prétend que la validité d’une affirmation
est relative à un individu et/ou à un groupe social »[17].
Leur livre porte en partie sur l'imposture manifeste que représente
le mauvais usage des formules physico-mathématiques employées
à titre de signifiants inadéquats avec l’intention de
donner l’apparence de la " science " ; mais il porte
en partie aussi sur la critique du relativisme cognitif et sur la critique
de cette volonté de priver la science de toute objectivité pour
en faire un domaine, nullement universel et nécessaire comme il se
devrait. Pour ma part, je pense que les deux thèmes se recoupent facilement
par la cohérence qu’il peut y avoir entre la désinvolture
manifestée à l’endroit de la signification des formules
scientifiques avec une interprétation minimaliste de la science qui
en résulte et qui est celle du relativisme cognitif.
Ces auteurs ont eu le mérite de dresser un réquisitoire contre
l’épistémologie de Popper qu’ils ont accusé
d’avoir, du moins historiquement, entraîné Kuhn et Feyerabend
dans leurs réactions, en entraînant eux-mêmes le courant
relativiste.
Je propose qu’on voie d’abord ce que Sokal et Bricmont reprochent
à Popper :
1) Il s’agit tout d’abord du statut de l’induction scientifique
que Popper rejette totalement, alors que les prédictions qui découlent
de l’inférence de l’observé à l’inobservé,
ainsi que le rappellent Sokal et Bricmont[18],
sont nécessaires en tout cas à de nombreuses pratiques issues
de la science théorique, pour ne citer que la médecine. Mais
les auteurs soulignent qu’encore aujourd’hui ce sont en général
ses succès[19] qui font
qu’on adopte une théorie scientifique comme étant vraie,
ce qui implique certes qu’elle ne soit pas fausse ; mais elle peut
néanmoins être seulement probable ou vérifiée :
or, Popper refusait de considérer ces derniers cas.
2) Seconde difficulté de l’épistémologie poppérienne signalée
par Sokal et Bricmont : le principe de la falsification étant
admis – et rien n’empêche de le pratiquer – il n’en
reste pas moins vrai que les auteurs remarquent que " la falsification
d’une théorie est bien plus compliquée qu’il n’y
paraît "[20], car " les
propositions scientifiques ne sont pas falsifiables une par une "[21] ;
et, de plus, des hypothèses additionnelles sont toujours nécessaires.
Les auteurs affirment que si une théorie a résisté à
une falsification, le scientifique va la considérer comme partiellement
confirmée. Ils font, en outre, remarquer qu’il n’existe
pas, dans la pratique scientifique, de « critères absolus »
de rationalité en dehors de toutes circonstances, et cette absence
implique aussi qu’il n’y a pas de justification générale,
comme Popper le voudrait, du principe de l’induction : tout simplement,
écrivent-ils, certaines inductions sont justifiées et d’autres
ne le sont pas. Ils affirment encore : quelques inductions sont plus
raisonnables que d’autres.
Quine avait, au Colloque organisé à Paris en 1983 autour du
Cercle de Vienne [22], réitéré
ses positions à propos de Carnap : elles demeurent valables également
en ce qui concerne Popper. Parlant de la science, Quine écrit en effet :
" il n'y a pas de raisons bien claires pour séparer ses composantes
énoncé par énoncé "[23].
3) Troisième difficulté soulignée par Sokal et Bricmont à
l’encontre du falsificationnisme de Popper : il ne prévoit pas,
comme cela se montre nécessaire au cours de la recherche scientifique,
de mettre de côté, en réserve pour un certain temps, certaines
observations contradictoires. Au contraire, Popper prétend avoir de
bonnes raisons de s’en débarrasser.
4) En conclusion, Sokal et Bricmont nous rappellent que " [l]a science
est une entreprise rationnelle, mais difficile à codifier "[24].
D’où, la nécessité d’une clarification épistémologique
nuancée que nous donnent ces deux auteurs.
J’ai d’ailleurs lu récemment un éditorial de Jean
Bricmont dans la revue de l’AFIS, dans lequel il préconise un
usage nuancé de Popper, parce qu’il fait une remarque très
juste (et qui vaut la peine d’être mentionnée) :
« une autre idée de Popper : lorsque la théorie
fait des prédictions qui s’avèrent être fausses,
elle doit tout simplement être abandonnée [...]. Mais alors on
se heurte à un nouveau problème : est-ce que les vraies
sciences se plient à ce critère ? Popper le pense et donne
comme exemple la déflexion[25]
de la lumière (venant d’étoiles lointaines) par le soleil :
les théories de la gravitation de Newton et d’Einstein prédisent
des résultats différents pour ce phénomène. L’observation
est en accord avec la théorie d’Einstein, donc sa théorie
est acceptée et remplace celle de Newton. Mais les choses sont rarement
aussi simples. Pour se limiter aux théories de la gravitation, on savait,
longtemps avant Einstein, que l’orbite de la planète Mercure
n’obéissait pas exactement aux lois de Newton. D’un point
de vue poppérien, la théorie était dès lors falsifiée
et aurait dû être rejetée. Pourtant, ce n’est que
lorsque est apparue la théorie d’Einstein qui prédisait
correctement l’orbite de Mercure, que ce fait a été considéré
comme ‘falsifiant’ la théorie de Newton.»[26]
Ce que souligne Bricmont dans son article (d’ailleurs, comme Sokal et
Bricmont dans leur livre), c’est qu’il est très difficile
de savoir quand une théorie est falsifiée. Chaque expérience
scientifique implique de nombreuses hypothèses auxiliaires. Pour revenir
au mouvement de Mercure, Bricmont dit qu’il y aurait pu y avoir une
autre explication, par exemple l’influence d’une planète
inconnue. En particulier, en ce qui concerne un critère de séparation
précis pour séparer science et non-science, Bricmont montre
qu’il est très difficile d’en trouver un. La falsification
n’y suffit pas : trop stricte, elle ne « garde »
plus les sciences ; et, trop large, elle n’élimine pas les
pseudo-sciences.
Surtout, d’après Sokal et Bricmont, ce qui est grave chez Popper,
c’est l’influence qu’il a exercée par contre-coup
sur Feyerabend et Kuhn, qui eux-mêmes ont entraîné beaucoup
de monde derrière eux. Avec eux déjà, mais surtout avec
leurs successeurs relativistes, la méthode scientifique n’a plus
rien de spécifique ; les relativistes pensent qu’il n’y
a pas de différence entre science et non-science. Il faut, au contraire,
remarquer que les sciences véritables évoluent constamment,
et que leurs conséquences sont énormes. Certes, Popper n’est
pas relativiste ; mais, pour Sokal et Bricmont,
« [i]l constitue néanmoins un bon point de départ,
en premier lieu parce qu’une grande partie des développements
modernes en épistémologie (Kuhn, Feyerabend) s’est faite
en réaction à lui ; en second lieu, parce que, bien que
nous soyons en profond désaccord avec certaines conclusions auxquelles
arrivent des critiques tels que Feyerabend, il est vrai qu’une bonne
partie de nos problèmes remontent à certaines ambiguïtés
ou inexactitudes contenues dans La Logique de la découverte scientifique
de Popper. »[27]
Enfin, il faut rappeler, à travers son falsificationnisme, le refus,
permanent de la part de Popper, de reconnaître la possibilité
d’une science certaine ; ce refus est lié à l’abandon
de la vérification. Tout cela étant combiné a conduit
à une véritable crise de l’épistémologie
en suscitant des réactions irrationnelles. Certes, Quine avait déjà
apporté une pierre à l’édifice relativiste en affirmant
sa thèse de la sous-détermination des théories par les
faits : thèse que Sokal et Bricmont admettent toutefois en la
nuançant, du moins en rappelant la nécessité pour le
chercheur de sélectionner activement les explications rivales selon
leur vraisemblance. Mais c’est surtout Kuhn et Feyerabend qui pouvaient
« justifier » à leur manière le relativisme :
Kuhn en apportant sa thèse de l’incommensurabilité des
paradigmes concurrents aggravée du fait que notre expérience
du monde est conditionnée par la théorie ; Feyerabend en
déclarant du point de vue de la méthode que « tout
est bon ».
Sokal et Bricmont avancent qu’un principe heuristique ou simplement
de vérification élémentaire consiste à confronter
la théorie aux preuves empiriques et de tenter de formuler la relation
existant entre les données empiriques et la théorie :
c’est ce que refuse Popper par principe ; et l’on sait qu’un
tel refus peut induire une mauvaise interprétation de la science de
la part de non scientifiques à tendances relativistes. Contre cette
position, Sokal et Bricmont proposent également au chercheur d’être
particulièrement conscient d’avoir des arguments si puissants
pour défendre une théorie qu’il serait déraisonnable
de la mettre en doute ; aussi de supposer qu’une bonne théorie
encore inconnue est toujours possible ; enfin de retenir qu’aucune
théorie ne peut rendre compte de tous les faits.
Étant donné que le scientifique refuse par principe autant solipsisme
que scepticisme radical, sa connaissance du monde est subordonnée à
ses sens et la représentation qui en résulte, liée à
l’opération de la raison, est une construction intellectuelle,
qui n’a rien cependant d’artificiel et dont la vocation est d’être
objective si le scientifique suit la leçon empiriste et par conséquent
rejette toute vérité a priori. Les controverses scientifiques
verront leur solution légitime dans la présentation des preuves
empiriques satisfaisantes.
Contre leur présentation de l’épistémologie de
Popper, il y eut des critiques ; entre autres celle de Hans-Joachim Niemann[28],
de l’Université de Bamberg, qui tenta de répondre successivement
aux divers arguments de Sokal et Bricmont tout en approuvant leurs attaques
contre les auteurs français à la mode qu’ils citent. Niemann
commence par critiquer leur manière d’étudier l’expansion
dans le monde du relativisme épistémologique : il répond
que Popper, dans un Appendice de 1961, aurait lui-même critiqué
le relativisme auquel il voulait que sa philosophie fût un remède.
Surtout, Niemann n’admet pas le point de vue historique de Sokal et
Bricmont concernant les effets de la lecture de Popper par Feyerabend et Kuhn,
mais il reconnaît le rapport évident de ces derniers avec le
relativisme postmoderne. Niemann refuse catégoriquement qu’on
puisse parler du langage de Popper comme d’un langage inintelligible
ou obscur et, d’ailleurs, refuse d’admettre toute critique concernant
Popper : c’est pour lui « faux d’une manière
inquiétante ». Lui-même s’oppose à la
lecture de commentateurs de Popper non poppériens (tels que Stove,
Putnam, Laudan, Newton-Smith). Et il pense que les « positivistes »
(auxquels il compte à tort Sokal et Bricmont) croient dans des « vérités
absolues » : ce qui est certainement faux, puisque Comte n’affirmait
qu’une seule vérité absolue, à savoir que « tout
est relatif », mais non dans le sens du relativisme actuel qui est
plutôt nihiliste que positiviste.