Pierre-André Taguieff

L'espace de la bioéthique. Esquisse d'une problématisation


Paru dans Res Publica N° 21 (Dossier "La bioéthique a-t-elle force de loi ?")

[L'article est une version revue et augmentée de celui paru dans Mots.
Les langages du politique, "Discours sur la bioéthique", n° 44, septembre 1995.]


Le mot "bioethics" est vraisemblablement dû au biologiste cancérologue américain Van Rensselaer Potter - qui en revendique la création -, ainsi qu'en témoigne un article publié en 1970, "Bioethics, the Science of Survival"[1], suivi l'année suivante d'un livre titré Bioethics : Bridge to the Future[2]. Dans la perspective de Potter, la "bioéthique" ne se réduisait pas à une éthique de la biologie (de la recherche fondamentale aux applications), ni même à une éthique médicale. Elle renvoyait à tous les problèmes éthiques posés par les êtres vivants, humains et non humains. Sous l'appellation nouvelle de "bioethics", le biologiste se proposait de construire une "éthique de la biosphère qui englobât autant l'écologie que la médecine"[3]. Or, l'extension du terme de "bioethics" s'est presque immédiatement restreinte au seul domaine médical, par l'effet de la création, en 1971, à l'Université de Georgetown (Washington), d'un centre de bioéthique, le Kennedy Institute of Ethics qui, fondé par le Dr André E. Hellegers (un catholique libéral), s'est essentiellement préoccupé de médecine et des techniques de procréation. Le livre de Paul Ramsey, The Patient as Person, paru en 1970[4], a été rédigé à la suite de deux semestres de recherche à l'Université de Georgetown : l'ouvrage a pu être qualifié de "premier ouvrage de bioéthique par la façon dont il a été produit", à savoir au terme de longues discussions éthiques, engagées à l'occasion de séminaires, avec les médecins et le personnel hospitalier[5]. Le courant bioéthique américain a reçu une seconde impulsion des réflexions philosophiques conduites, sous la direction de Daniel Callahan - un autre "intellectuel catholique audacieux"[6] - à l'Institute of Society, Ethics, and the Life Sciences (fondé en 1969), plus connu sous le nom de Hastings Center (Etat de New York). Le motif de la responsabilité des scientifiques et des médecins s'est installé au centre de la réflexion bioéthique, en rapport avec les problèmes posés par les applications de la nouvelle génétique humaine[7]. L'optimisme relatif d'un Potter, dont la bioéthique ne remettait pas en question la thèse d'une évolution progressive de l'humanité, se trouve vite contesté par les visions catastrophistes d'une humanité menacée de mort par les progrès de la génétique et les techniques ayant pour objet la vie humaine[8]. Les progrès biomédicaux étant perçus comme une menace par nombre de bioéthiciens, la thèse du "sacré de la vie" tend à être de plus en plus vivement opposée à celle de la "qualité de la vie". D'où l'apparition de deux pôles dans la pensée bioéthique : d'un côté, la bioéthique de ceux qui, ne récusant pas l'idée de progrès, s'interrogent sur les normes d'une possible et désirable auto-transformation de l'espèce humaine, et, partant, n'excluent pas toute perspective eugénique ou orthogénique[9] ; de l'autre, la bioéthique de ceux qui, partant de l'axiome que "notre état biologique est sacré et inviolable"[10], supposent que l'identité spécifique de l'homme est gravement menacée, et concluent qu'il faut non seulement contrôler les applications du savoir biologique, mais encore interdire définitivement certaines techniques biomédicales et certaines recherches en génétique. Le sociologue François-André Isambert a bien décrit cette bipolarisation de l'espace bioéthique : "A l'éthique confiante, cherchant son inspiration dans l'image du développement évolutif de l'humanité (...), s'oppose une éthique de la crainte, essentiellement préoccupée de limiter les dégâts possibles de l'entreprise biomédicale"[11]. Le souci bioéthique comporte donc une interrogation sur les limites de la connaissance scientifique, pour autant que celle-ci paraît indissociable d'un pouvoir-faire, d'une puissance technique de transformation de la nature humaine elle-même. Le style défensif des premiers courants de la bioéthique (comment protéger l'humanité des effets pervers de ses "conquêtes" technoscientifiques ?) se déploie notamment dans la mise en question de l'idée de progrès. L'interrogation bioéthique apparaît dans un contexte culturel où est ébranlée la thèse du progrès global, selon laquelle le progrès politique et moral accompagne nécessairement les progrès scientifiques et techniques. Les désillusions du progrès nourrissent dès ses commencements le mouvement de la réflexion bioéthique. On peut insister sur la nouveauté de celle-ci, indissociable de la crise du progrès, et l'ériger en indice du passage au post-moderne[12] ; ou bien, comme F.-A. Isambert, remarquer que "l'émergence de questions éthiques dans le domaine scientifique est un phénomène récurrent qui se produit chaque fois que l'idée de progrès est mise en cause"[13]. Quoi qu'il en soit, la réflexion bioéthique témoigne du fait culturel que le progrès ne va plus de soi, que l'idée de progrès est devenue problématique. L'idée d'un mouvement du moins bien vers le mieux, garanti par les progrès cumulatifs des sciences et des techniques, a perdu sa valeur d'évidence. C'est précisément le sentiment que tout ne va pas pour et vers le mieux qui engendre le questionnement éthique sur les "avancées" de la biologie et les "percées" des techniques biomédicales. La pensée bioéthique apparaît traversée par un clivage entre deux orientations : d'une part, une éthique du contrôle autoritaire des recherches comme des applications, et procédant par interdits ; d'autre part, une éthique de l'argumentation, visant, par la discussion en vue d'un consensus provisoire sur les normes, à éclairer la décision médicale ou à limiter le recours à certaines techniques. La bioéthique peut ainsi se constituer comme une expression et une codification de la peur devant les progrès de la génétique et de la bio-médecine, ou bien comme la recherche prudentielle des "normes qui doivent régir notre action dans le domaine de l'intervention technique de l'homme sur sa propre vie"[14]. Face aux progrès des sciences et des techniques, trois grandes positions se dégagent : la position strictement techniciste, pour laquelle la question éthique ne se pose pas ; la position abstentionniste, dérivant logiquement de la démonisation de la techno-science ; la position humaniste, qui fait appel à l'argumentation et à la vertu de prudence. L'optimisme technophile assimile le devoir-faire au pouvoir-faire, et, partant, nie l'existence même des problèmes éthiques, qui surgissent dans l'écart entre le pouvoir-faire et le devoir-faire. Lorsque la question éthique est reconnue, et s'exprime immédiatement par une quête des limites et des critères permettant de les fixer, le premier problème surgit : où chercher le fondement des valeurs et des normes ? Celui-ci peut être découvert soit dans une transcendance, soit dans la volonté humaine, soit dans la tradition, soit dans l'argumentation. Mais la solution traditionaliste peut elle-même se présenter soit comme radicale et intransigeante, soit comme nuancée et modérée. L'intransigeantisme est moins le fait, en matière de bioéthique, des doctrines religieuses de type monothéiste, que des philosophies anti-modernes identifiant le mouvement techno-scientifique comme une barbarie progressive. C'est dans la pensée d'un Hans Jonas, ou dans les courants de l'écologie profonde, qu'on rencontre une vision catastrophiste de la modernité impliquant le désaveu de la science et la satanisation de la technique. Quant à la voie prudentielle, elle est suivie et pensée aussi bien dans une perspective théologico-éthique (plutôt protestante que catholique, depuis le raidissement du Vatican, à la fin des années soixante, sur ces questions) que dans une perspective humaniste et laïque Elle implique de faire confiance à la discussion et à la volonté éclairée des hommes. L'appel à la vertu de prudence dérive de la reconnaissance de notre impuissance, une relative impuissance dont nous faisons régulièrement l'expérience. Une prudence qui évolue avec l'expérience, en ce que "viser une meilleure détermination des choses à faire ou à ne pas faire"[15], c'est accepter de former son jugement à travers une discussion continuée, du genre de la délibération ou du genre de la controverse. Prudence, ou "circonspection évolutive"[16].

L'impératif technicien : sans éthique

L'impératif technicien, ou techno-scientifique, implique le choix de l'essai de tout le possible techno-scientifique[17], et peut se formuler ainsi, à suivre le philosophe Gilbert Hottois : "Il faut faire tout ce qu'il est possible de faire, faire toutes les expériences, toutes les manipulations, actualiser tous les possibles, développer toutes les puissances, toutes les potentialités de l'être : de la matière, du vivant, du pensant"[18]. Le choix de l'exploration illimitée des possibles, et de leur "libre" exploitation, n'est nullement un phénomène culturel nouveau : il surgit dès le commencement de la science moderne. C'est chez Francis Bacon qu'il se formule avec une radicalité maximale. Dans La Nouvelle Atlantide, utopie de Bacon publiée en 1627, l'année suivant la mort de celui-ci, l'un des sages appartenant à "l'Institut de Salomon"[19] expose au narrateur la "noble constitution de l'Institut" : "Le but de notre établissement est la découverte des causes, et la connaissance de la nature intime des forces primordiales et des principes des choses, en vue d'étendre les limites de l'empire de l'homme sur la nature entière et d'exécuter tout ce qui lui est possible"[20]. On trouve, dans cette utopie du savoir comme pouvoir sans limites, une certaine interprétation de la liberté des Modernes, en tant que puissance de faire s'accroissant indéfiniment. Une liberté sans limites. Ainsi défini au début du XVIIe siècle, l'impératif techno-scientifique s'énonce hors de toute préoccupation éthique. Il est indifférent aux valeurs, plaçant la valeur des valeurs dans l'accroissement indéfini de la puissance de faire. L'impératif technicien s'avère "foncièrement an-éthique", et, plus précisément, "hors morale, puisque le principe même de la morale consiste à ne pas faire tout ce qu'il est possible de faire, à imposer, de préférence librement et avec des raisons, des limites à la liberté"[21]. Pour la position techniciste, la vie humaine n'étant plus un don de Dieu, un dépôt sacré ni un héritage à respecter et transmettre, elle devient simplement un "matériau qui se gère"[22], un ensemble d'éléments à manipuler, à dissocier et à recombiner indéfiniment, selon les désirs variables de l'homme - c'est-à-dire de certains hommes, dotés d'un pouvoir de décision. Sous un regard religieux de tradition chrétienne, il y a là comme une auto-divinisation de l'homme comme sujet du savoir scientifique et du pouvoir technique : la maîtrise de "la Création" lui reviendrait en propre. Anthropocentrisme de la puissance et de la volonté souveraine. La technique tend à devenir "le dieu qui sauve"[23], par où elle dévoile sa dimension gnostique[24]. Les partisans du "laisser faire" constatent ce que Jacques Ellul appelait l' "auto-acroissement de la technique", et célèbrent dans le même mouvement le développement autonome, indéfini et a-moral du pouvoir-faire. Manière de retrouver la thèse du progrès. Mais, dans ce progressisme minimaliste, la conception évolutionniste du progrès a pour seul contenu l'éloge du développement technicien, supposé bon en lui-même, voire érigé en méthode de salut. Dans cette perspective impliquant une technophilie effrénée[25], le devoir-faire s'aligne sur le pouvoir-faire. La technique ne reconnaît aucun principe d'auto-limitation, principe qui ouvre la voie à l'éthique. Par une logique montée aux extrêmes, caractéristique du discours polémique, les ennemis de l'impératif techno-scientifique en viennent souvent à inverser la technophilie en technophobie, voire en position anti-science, pour élaborer une vision anti-moderne - réactionnaire - de la modernité comme décadence ou processus de barbarisation croissante. Partant d'une expérience éthique fondamentale, celle des situations où le devoir-faire entre en conflit ou en contradiction avec le pouvoir-faire, certains penseurs contemporains en arrivent à réduire la position éthique à un "devoir ne pas faire". Lequel ne se limite pas à un refus de l'accroissement aveugle de la technique, mais va jusqu'à se traduire par un soupçon visant la connaissance scientifique, et se conclure par des interdits de recherche dans certains domaines - la génétique humaine étant le domaine où les "exploits" sont des motifs de peur, voire d'angoisse.

Heuristique de la peur et bioéthique de la préservation

Dans les premières lignes de son livre paru en 1979, Das Prinzip Verantwortung, "le Principe Responsabilité", portant le sous-titre fort explicite "Une éthique pour la civilisation technologique", Hans Jonas expose brièvement sa thèse sur la modernité techno-scientifique et justifie son projet de refondation d'une éthique, face à la "menace" nouvelle : "Le Prométhée définitivement déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues et l'économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l'homme de devenir une malédiction pour lui. La thèse liminaire de ce livre est que la promesse de la technique moderne s'est inversée en menace, ou bien que celle-ci s'est indissolublement alliée à celle-là. Elle va au-delà du constat d'une menace physique. La soumission de la nature destinée au bonheur humain a entraîné par la démesure de son succès, qui s'étend maintenant également à la nature de l'homme lui-même, le plus grand défi pour l'être humain que son faire ait jamais entraîné. Tout en lui est inédit, sans comparaison possible avec ce qui précède (...).La terre nouvelle de la pratique collective, dans laquelle nous sommes entrés avec la technologie de pointe, est encore une terre vierge de la théorie éthique. (...) Qu'est-ce qui peut servir de boussole ? L'anticipation de la menace elle-même ! Seule la prévision de la déformation de l'homme nous fournit le concept de l'homme qui permet de nous en prémunir. (...) Comme l'enjeu ne concerne pas seulement le sort de l'homme, mais également l'image de l'homme, non seulement la survie physique, mais aussi l'intégrité de son essence, l'éthique qui doit garder l'un et l'autre doit être non seulement une éthique de la sagacité, mais aussi une éthique du respect"[26]. L'expérience de la peur ouvre à la responsabilité : une peur qui "invite à agir", en ce qu'elle est "la peur pour l'objet de la responsabilité"[27]. Plus ce qui est à craindre est encore loin dans l'avenir, et plus "une heuristique de la peur qui dépiste le danger devient nécessaire"[28] : la peur fournit la représentation du mal dont la théorie éthique ne saurait se passer, elle devient "la première obligation préliminaire d'une éthique de la responsabilité historique"[29]. C'est de la "peur fondée" que dérive l'attitude éthique fondamentale, le "respect", repensé à partir de la volonté d'éviter "le pire", et ouvrant le chemin à un nouveau sens du "sacré" : "Le respect devant ce que l'homme était et devant ce qu'il est, en reculant d'horreur devant ce qu'il pourrait devenir et dont la possibilité nous regarde fixement à partir de l'avenir que prévoit la pensée. Le respect seul, dans la mesure où il nous dévoile quelque chose de 'sacré', c'est-à-dire quelque chose qui en aucun cas ne doit être atteint (...) nous protégera contre la tentation de violer le présent au bénéfice de l'avenir"[30]. Il s'agit donc, pour Hans Jonas, de préserver l'intégrité de "l'image de l'homme". Encore faut-il entendre correctement cet impératif de préservation : ce n'est pas d'une essence déterminée de l'homme, d'une "nature humaine" définie, qu'il faut préserver l'intégrité, mais d'une possibilité. La responsabilité pour l'avenir de l'humanité revient à la responsabilité de maintenir ouvert "l'horizon de la possibilité" donné avec l'émergence de l'humanité. C'est une indétermination essentielle qui fait l'objet de la responsabilité, ou qui donne son contenu à la "nouvelle obligation"[31]. L'obligation première n'est plus ordonnée à l'amélioration, elle vise la préservation : "Née de la menace, elle [la nouvelle obligation] insiste nécessairement avant tout sur une éthique de la conservation, de la préservation, de l'empêchement et non sur une éthique du progrès et du perfectionnement"[32]. La prise de conscience du fait que l'homme est "le destructeur potentiel du travail téléologique de la nature"[33] est au principe de l' "éthique de la survie qui nous incombe à présent"[34]. Conscient de la menace portée par son pouvoir techno-scientifique, pouvoir de destruction non moins que de domination, l'homme "doit prendre en charge dans son vouloir le 'oui' général de [la nature]" et "il doit imposer à son pouvoir le 'non' opposé au non-être"[35]. Le "oui à l'être" doit s'accorder avec le respect de "ce que l'homme a fait de lui-même pendant des millénaires d'efforts culturels"[36]. Dans la "situation apocalyptique" où l'humanité actuellement se trouve, c'est-à-dire dans "l'imminence d'une catastrophe universelle, au cas où nous laisserions les choses (...) poursuivre leur cours"[37] - selon "l'idéal baconien de la domination sur la nature par la technique scientifique"[38], l'obligation morale première vis-à-vis de l'homme se formule comme suit : "Ce qui importe maintenant ce n'est pas de perpétuer une image déterminée de l'homme, ni de la susciter, mais d'abord de tenir ouvert l'horizon de la possibilité qui, dans le cas de l'homme, est donné avec l'existence de l'espèce comme telle et qui - puisque nous devons faire confiance à la promesse de 'l'imago Dei' - offrira toujours à nouveau une chance à l'essence humaine"[39]. Cette indétermination de l'homme est notamment menacée, selon Jonas, par les "utopies technologiques" dont la science moderne est le vecteur. Parmi ces utopies, les plus dangereuses pour l'intégrité de l'humain sont représentées par les projets technologiques visant, au nom d'une morale humaniste, à améliorer l'homme actuel. Le nouvel utopisme menaçant prend le visage du prométhéisme ou du faustisme soutenant la visée eugénique, qui ne cesse de renaître dans le sillage de la biologie contemporaine, à suivre Jonas : "Dans la biologie moléculaire apparaît la tentation prométhéenne de bricoler notre propre image pour l'améliorer"[40]. L'amélioration de "l'image de l'homme" implique ici la maîtrise, par l'humanité, de son destin biologique : la création de l'homme nouveau est une auto-fabrication biotechnologique de l'humanité. La conclusion logique de l'artificialisme techno-scientifique moderne. L'éthique de la responsabilité fondée sur "l'heuristique de la peur"[41] suppose un total changement d'orientation de l'action humaine, que celle-ci porte sur les êtres naturels ou sur les êtres humains : non plus la volonté de maîtrise, mais l'impératif d'une maîtrise de la maîtrise[42]. C'est le souci du bien des générations futures qui jette un pont entre l'éthique philosophique de Jonas et la bioéthique médicale, pour autant que celle-ci est préoccupée par les enjeux à long terme. Ainsi que le note Jean-Marie Thévoz, "il ne s'agit pas seulement de gérer au mieux les problèmes présents, mais de proposer des choix qui ne mettent pas en péril le futur de l'humanité"[43]. C'est dans cette perspective que la voie prudentielle, en bioéthique, se situe à égale distance du conservatisme génétique intégral (les "intégristes" désireux de préserver à tout prix, tel qu'il est, le patrimoine génétique humain) et du méliorisme eugénique : "Le pouvoir que nous avons acquis dans la maîtrise de la vie s'accompagne de la responsabilité de la préserver et de la transmettre aux générations futures. Notre grande responsabilité n'est pas de garder un dépôt intact ou encore de l'améliorer, mais de veiller à transmettre un monde indéterminé. Plus précisément, nous devons dans chacun de nos choix veiller à ne pas fermer des possibilités pour les générations futures ; nous leur devons un monde de liberté dans lequel elles puissent choisir entre différents avenirs possibles, comme nous [en] avons le choix aujourd'hui"[44].

La bioéthique dans le champ de l'argumentation

Si l'on convient de donner à la bioéthique une définition de type aristotélicien, par genre prochain et différence spécifique, on posera que la bioéthique est une partie de l'éthique, la réflexion ou la recherche éthique appliquée aux questions posées par le progrès biomédical, ou, plus précisément, par les progrès rapides et complexes du savoir et des technologies biomédicales[45]. Comme l'éthique médicale, la bioéthique se rapporte à l'application de règles éthiques universelles au domaine de la médecine (ne pas faire de mal, ne pas tuer, etc.), ainsi qu'aux devoirs du médecin (viser avant tout le bien de ses patients, etc.). Mais aux deux pôles constitutifs de l'éthique médicale (la relation médecin-patient, les relations dans la profession), la bioéthique ajoute un troisième pôle : la société actuelle et future[46]. Car le champ de la pratique médicale s'est étendu à des domaines débordant le seul traitement de la santé de l'individu-patient, et qui font intervenir, outre la décision médicale et les demandes ou le consentement du patient, des choix de société, voire des orientations politiques. Il en va ainsi de la contraception, de la procréation artificielle, du diagnostic prénatal et du diagnostic pré-implantatoire, de l'avortement, de l'expérimentation médicale, des greffes d'organe, du génie génétique, de la thérapie génique (somatique et germinale), de l' "acharnement thérapeutique" et de l'euthanasie[47]. Se présentant souvent comme des applications médicales des percées technologiques de la biologie moléculaire fondamentale, ces pratiques illustrent l'extension de la maîtrise du corps humain, de la fécondation aux heures ultimes de l'existence. Elles requièrent "la recherche et l'énonciation de critères éthiques en vue de sauvegarder le sens authentiquement humain des interventions et des pratiques de la médecine"[48]. Le champ de la bioéthique apparaît dès lors structuré par la triade "médecin-individu-société"[49]. D'où cette définition large proposée par Otfried Höffe : "La bioéthique a pour champ d'investigation les questions éthiques de la naissance, de la vie et de la mort, notamment en relation aux nouvelles découvertes et possibilités de la recherche biologico-médicale"[50]. Cette esquisse définitionnelle peut être interprétée soit dans un sens pragmatiste, soit dans un sens idéaliste[51]. Pour ceux qui supposent que, dans la modernité caractérisée par le pluralisme et l'antagonisme des valeurs, le consensus est impossible sur la solution des problèmes métaphysiques et moraux fondamentaux (du type : "L'embryon humain est-il une personne digne de respect, et sujet de droit ?"), la bioéthique se réduit à une recherche pragmatique des compromis opérationnels, portant sur les règles du jeu, dans une conjoncture donnée. Cette éthique minimale se borne à prôner un consensus provisoire quant à l'acceptabilité, pour une majorité relative de citoyens, de certaines règles de conduite. En ce sens, la bioéthique peut se définir comme "la science normative du comportement acceptable dans le domaine de la vie et de la mort", selon la proposition du juriste Pierre Deschamps[52]. Mais au-delà de l'acceptable, il y a le désirable, qui fait intervenir des exigences morales de type universaliste, centrées sur le respect de la dignité de la personne humaine, qui implique la quête de son épanouissement. D'où cette définition proposée par le bioéthicien Guy Durand : "La bioéthique désigne la recherche de l'ensemble des exigences du respect et de la promotion de la vie humaine et de la personne dans le secteur biomédical"[53]. La bioéthique se nourrit d'héritages culturels divers, dominés par l'humanisme médical de tradition hippocratique et la morale chrétienne. En 1865, Claude Bernard rappelait le principe éthique minimal et négatif, ou, si l'on veut, le principe déontologique54 du "ne pas nuire" : "La morale chrétienne ne défend qu'une chose, c'est de faire du mal à son prochain"[55]. Ce qui rejoint l'adage transmis par la tradition hippocratique : Primum non nocere. Le principe positif fondamental de l'éthique médicale est que la lutte contre la souffrance physique des humains constitue un acte moral en lui-même. Il s'agit d'une variété du principe conséquentialiste, qui "exige que l'on fasse ce qui produira globalement le plus grand bien eu égard à tous ceux qui sont affectés par notre action"[56]. L'humanisme médical moderne a repris de l'éthique d'inspiration hippocratique - "déontologie médicale" - le principe simple que le médecin doit toujours agir pour le seul bénéfice de son patient[57]. Au devoir de faire le bien (principe de bienfaisance) s'ajoute le principe de bienveillance, qui comporte l'exigence de vouloir positivement le bien du patient[58]. Mais le principe de bienfaisance, qui veut que "l'on ne pratique que des recherches qui apportent un bénéfice espéré, avec un risque minimal, au sujet"[59], demeure dans les limites d'une morale pragmatique, centrée sur le bien de l'individu souffrant. Dès lors que la médecine contemporaine n'intervient plus seulement pour diminuer la souffrance, soigner et guérir, et qu'elle constitue, dans certains cas, un moyen de parvenir à un but qui n'est pas le recouvrement de la santé par tel ou tel individu[60], les problèmes éthiques qu'elle fait surgir ne relèvent plus de la déontologie ou de la morale/de l'éthique médicale au sens classique, qui s'avère un sens restreint - ses règles seraient-elles reformulées en principes d'une éthique pragmatique. L'éthique médicale se présente en conséquence comme une partie de la bioéthique. A suivre le créateur du terme "bioethics", Van Rensselaer Potter, il convient de distinguer la bioéthique médicale et la bioéthique écologique, qui suppose de prendre en compte l'interdépendance de tous les êtres vivants ainsi que la solidarité trans-générationnelle chez les humains, donc le bien des générations futures. Potter a forgé le terme "bioethics" pour désigner l'ensemble des développements contemporains du projet, défini par Aldo Leopold, d'une "land ethic", c'est-à-dire d'une éthique globale pour la survie et la "vie bonne" de l'humanité, une éthique dont le champ comprenne tous les éléments naturels et sociaux susceptibles de rendre la terre "habitable pour l'homme"[61]. En 1987, dix-sept ans après avoir introduit le mot "bioethics", Potter en réaffirme la dualité de signification, non sans plaider pour une réflexion bioéthique globale, intégrant vues à court terme et vues à long terme : "Le terme original de 'bioéthique' (sans adjectif qualificatif) a vu son application limitée par les chercheurs de l'Université de Georgetown au champ de la médecine. Ainsi le terme sans qualificatif a-t-il été reçu presque partout dans son seul sens médical. La bioéthique médicale et la bioéthique écologique ne se recoupent pas puisque la bioéthique médicale est principalement concernée par les vues à court terme : les choix offerts aux individus et à leurs médecins pour tenter de prolonger leur existence par des transplantations d'organes, des implants artificiels, de la chimiothérapie expérimentale et tous les nouveaux développements propres à la médecine. A l'opposé, la bioéthique écologique est à l'évidence préoccupée par des vues à long terme, par ce qu'il faut entreprendre pour préserver un écosystème dans lequel l'espèce humaine puisse continuer à vivre. Ces deux branches de la bioéthique devraient vraiment se recouper en matière de santé, de contrôle de la procréation et sur la question du sens d'une démographie en constante croissance"[62]. Ainsi caractérisé, le champ large de la bioéthique ne saurait se confondre avec le champ des morales fondées sur une Révélation ou une tradition. Le fondement des valeurs et des normes ne peut plus être simplement trouvé dans la tradition (religieuse ou non), si l'on prend au sérieux le mouvement double de démocratisation et d'individualisation qui constitue la modernité. Tel est le sens symbolique de la Déclaration des droits de l'homme, ainsi que le note Luc Ferry : "L'avènement, pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, de normes qui, pour conserver encore une vocation collective, n'en ont pas moins cessé de tirer leur légitimité d'une inspiration religieuse pour puiser leur source, du moins en principe, dans la seule volonté des individus"[63]. C'est pourquoi le champ de la bioéthique s'inscrit dans le champ de l'argumentation : l'effondrement des morales traditionnelles, fondées sur une conception d'origine religieuse du permis et du défendu, du prescrit et de l'interdit, cet effondrement contraint à chercher dans l'argumentation le principe de détermination des normes. Principe à la fois laïque et démocratique, et d'essence humaniste, dans la mesure où il implique "l'assentiment des hommes", et non plus la conformité à des règles transmises et reçues. Car, note encore Luc Ferry, "argumenter, c'est chercher en soi-même et non plus dans une extériorité divine ou cosmique, conformément, donc, aux exigences de l'individualisme post-religieux, des raisons de justifier un point de vue qui vaille aussi pour autrui"64. Si nous sommes irrémédiablement engagés dans la discussion et la délibération, c'est en raison des conflits de valeurs, de normes et de devoirs que le pluralisme, voire le relativisme axiologique de la modernité ne cesse de faire surgir. Les solutions de ces conflits ou de ces dilemmes ne préexistent pas à la discussion des problèmes qu'ils posent. Les repères et les critères permettant de fixer des limites tant aux demandes individuelles qu'au pouvoir d'auto-transformation de l'humanité, nous devons désormais les inventer et les justifier, par recours à l'argumentation. Le professeur Jean Bernard a clairement montré que les comités d'éthique devaient leur existence à l'urgence de définir des repères et des critères dans un monde sécularisé où les progrès de la biologie et de la médecine ne s'accompagnent pas, par génération spontanée, du jaillissement d'une nouvelle éthique de l'âge de la techno-science : "Les questions de bioéthique se présentent souvent sous forme de tensions entre des devoirs contradictoires ou apparemment contradictoires. Il n'est pas, à ces questions, de réponses uniques"[65]. La bioéthique peut dès lors se redéfinir par l'effort argumentatif pour trouver des solutions provisoires à des conflits de valeurs et de normes : "La bioéthique est la recherche de solutions à des conflits de valeurs dans le monde de l'intervention biomédicale", écrit par exemple Guy Durand[66]. On aura relevé le paradoxe : l'éthique, qu'on appelle pour résoudre la crise du progrès, est elle-même en crise continuée. Plus précisément, c'est la notion d'une éthique normative qui est en question : comment procéder à la justification rationnelle des normes éthiques de telle sorte que celles-ci perdent leur caractère arbitraire et subjectif, et puissent assurer un consensus transculturel ? Comme l'a bien aperçu David J. Roy, c'est la question des types de rationalité qui est ainsi posée[67]. La construction d'une éthique normative implique d'abandonner le postulat selon lequel "la rationalité scientifique au sens de la logique des sciences (inférence logique et observationnelle) épuise en fait la totalité de la rationalité humaine, au point qu'au-delà des limites propres de cette rationalité scientifique, il n'y a plus que l'irrationnel des décisions arbitraires"[68]. Irréductibles aux règles déduites du dogme religieux ou induites de la nature des choses, les normes d'une bioéthique échappant au règne de l'arbitraire ne peuvent être déterminées qu'au terme d'une argumentation rationnelle, distincte cependant des modes de rationalité mis en ouvre par la logique de la découverte scientifique.

Notes
1 V. R. Potter, "Bioethics, the Science of Survival", Perspectives in Biology and Medicine, 14, 1970, pp. 127-153.
2 Englewood Cliffs, N. J., Prentice-Hall, 1971. Voir François-André Isambert, "Aux sources de la bioéthique", Le Débat, 25, mai 1983, p. 84 ; Id., "Révolution biologique, ou réveil éthique ?", Cahiers S.T.S. (CNRS, Paris), 11, 1986, p. 12, 20 ; Anne Fagot-Largeault, L'homme bioéthique. Pour une déontologie de la recherche sur le vivant, Paris, Maloine, 1985.
3 Jean-Marie Thévoz, Entre nos mains l'embryon. Recherche bioéthique, Genève, Labor et Fides, 1990, p. 17.
4 Paul Ramsey, The Patient as Person. Explorations in Medical Ethics, New Haven, Yale University Press, 1970 ; même auteur, Fabricated Man. The Ethics of Genetic Control, New Haven, Yale University Press, 1970. Voir F.-A. Isambert, "Révolution biologique...", art. cit., p. 18-19. Paul Ramsey (1913-1988) était un théologien protestant (cf. Ronald Dworkin, Life's Dominion, New York, Vintage Books, 1994, p. 38 ; voir le dossier "autour de Paul Ramsey", Ethique, 11, 1994, articles de David Attwood, Leon R. Kass, Oliver O'Donovan, P. Ramsey, Robert S. Morison).
5 J.-M. Thévoz, op. cit., p. 21.
6 Daniel J. Kevles, Au nom de l'eugénisme. Génétique et politique dans le monde anglo-saxon, tr. fr. M. Blanc, Paris, PUF, 1995 (1ère éd. améric., 1985), p. 402 ; J.-M. Thévoz, op. cit., p. 20-21. Voir Daniel Callahan, "Bioethics as a discipline", Hastings Center Studies, vol. I, 1, l973 ; même auteur, "L'éthique biomédicale aujourd'hui", Cahiers S.T.S., 11, 1986, pp. 43-55.
7 Voir D. J. Kevles, op. cit., p. 399 sq. ; F.-A. Isambert, "La bio-éthique à travers ses écrits", Revue de Métaphysique et de Morale, 92 (3), juillet-septembre 1987, p. 401-421 ; Jean-Paul Thomas, Misère de la bioéthique, Paris, Albin Michel, 1990, p. 25 sq., 126-146 ; Marcel J. Mélançon et Raymond D. Lambert (dir.), Le Génome humain. Une responsabilité scientifique et sociale, Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval, 1992.
8 F.-A. Isambert, "Aux sources.", art. cit., p. 87 sq. ; même auteur, "Révolution biologique.", art. cit., p. 18, 20. Voir A. Fagot-Largeault, "Respect du patrimoine génétique et respect de la personne", Esprit, mai 1991, p. 40-53 ; Bernard Baertschi, "Devons-nous respecter le génome humain?", Revue de Théologie et de Philosophie, vol. 123, 1991/IV, pp. 411-434.
9 Voir D. J. Kevles, op. cit., pp. 361-386 ; Charles Susanne, "Implications eugéniques de la génétique moderne", in C. Susanne (éd.), Génétiques. Jusqu'où aller ?, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1990, pp. 197-239 ; François Dagognet, Le Vivant, Paris, Bordas, p. 155 sq. ; même auteur, La Maîtrise du vivant, Paris, Hachette, 1988, p. 40 sq., 175 sq. ; Alex Mauron, "La génétique humaine et le souci des générations futures", Genève, "Folia Bioethica", Société suisse d'éthique biomédicale, 1993 ; P.-A. Taguieff, "Retour sur l'eugénisme. Question de définition", Esprit, mars-avril 1994, pp. 198-214 ; Daniel Cohen, Les Gènes de l'espoir, Paris, Laffont, 1993, p. 225 sq. ; René Frydman, L'Art de faire autrement des enfants comme tout le monde, Paris, Laffont, 1994, pp. 300-322 (l'auteur introduit le terme de "progénisme", pour désigner la "visée qui consiste à agir pour que le plus grand nombre [d'enfants] naisse en bonne santé et se porte bien", p. 312).
10 Ted Howard, Jeremy Rifkin, Les Apprentis sorciers. Demain, la biologie., tr. Fr. C. Portail et C. Ben Mehidi, Paris, Ramsay, 1979 (1ère éd. Améric., 1977), p. 223 ; J. Rifkin, "Perils of genetic engineering", Resurgence, vol. 109, 1985, pp. 4-7. Dans le même sens catastrophiste, cf. Jacques Testart (dir.), Le Magasin des enfants, Paris, François Bourin, 1990 ; J. Testart, Le Désir du gène, Paris, François Bourin, 1992 ; Richard C. Lewontin, The Doctrine of DNA. Biology as Ideology, Londres et New York, Penguin Books, 1992.
11 F.-A. Isambert, "Révolution biologique...", art. cit., p. 20. Voir François Gros, Gérard Huber (dir.), Vers un anti-destin ? Patrimoine génétique et droits de l'humanité, Paris, Odile Jacob, 1992 (coprésence des bioéthiques de la crainte et de la confiance) ; Troy Duster, Backdoor to Eugenics, New York et Londres, Routledge, 1990 (éthique de la crainte et sociologie critique des "dérives" de la génétique et de la biomédecine) ; P.-A. Taguieff, "Sur l'eugénisme : du fantasme au débat", Pouvoirs, 56, 1991, pp. 23-64.
12 Thèse du sociologue Amitai Etzioni (The Active Society, New York, 1968, p. VII), cité par Daniel Bell, Vers la société postindustrielle (1973), tr. fr. P. Andler, Paris, Laffont, 1976, p. 89.
13 F.-A. Isambert, art. cit., p. 12 ; Gilbert Hottois, "Liberté, humanisme, évolution", in G. Hottois (éd.), Evaluer la technique. Aspects éthiques de la philosophie de la technique, Paris, Vrin, 1988, p. 88 sq.
14 Jean-François Malherbe, cité par Guy Durand, La bioéthique. Nature, principes, enjeux, Paris, Cerf, 1989, p. 31. Voir Jean-François Malherbe, Biologie, éthique et société, Bruxelles, 1979 ; même auteur, Pour une éthique de la médecine, Paris, Larousse, 1987.
15 Mohammed Allal Sinacour, "Mieux formuler les problèmes éthiques", in Claude Debru (éd.), Bio-éthique et cultures, Paris, Vrin, 1991, p. 13. Une illustration de cette démarche est fournie par Yves Dumez, Naître ou ne pas naître, Paris, Flammarion, 1987.
16 G. Hottois, Le Signe et la technique. La philosophie à l'épreuve de la technique, Paris, Aubier, 1984, p. 178. Dans le même sens, cf. Jean Bernard, L'Homme changé par l'homme, Paris, Buchet/Chastel, 1986, pp. 9-14, 69 sq., 183 sq.
17 G. Hottois, "Esquisse philosophique d'un critère", in J.-F. Malherbe (dir.), La Responsabilité éthique face au développement biomédical, Louvain-la-Neuve, CIACO, 1987, p. 256 ; même auteur, "Bioéthique : du problème des fondements à la question de la régulation", in G. Hottois, C. Suzanne (dir.), Bioéthique et libre-examen, Université de Bruxelles, 1988, p. 107.
18 G. Hottois, "Liberté, humanisme...", in Evaluer la technique, op. cit., p. 88. Voir Dominique Janicaud, La Puissance du rationnel, Paris, Gallimard, 1985, p. 123, 146.
19 Cf. Raymond Ruyer, L'Utopie et les utopies, Paris, PUF, 1950, pp. 169-173.
20 Francis Bacon, La Nouvelle Atlantide (1627), in F. Bacon, Oeuvres philosophiques, morales et politiques, tr. fr. Lasalle et J.A.C. Buchon, Paris, 1836, p. 596.
21 G. Hottois, "Liberté, humanisme.", in op. cit., p. 88-89.
22 Pierre Simon, De la vie avant toute chose, Paris, Mazarine, 1979 ; cité par P. Goube de Laforest, in La Lettre périodique du C.E.R.P.H. (Université de Poitiers, Faculté de Médecine et de Pharmacie), 4, avril-mai 1995, p. 7.
23 Jacques Ellul, La Technique ou l'enjeu du siècle, Paris, Armand Colin, 1954, p. 131.
24 Cf. G. Hottois, Le Signe et la technique, op. cit., p. 50-52.
25 G. Hottois, ibid., p. 165. Pour une discussion plus approfondie, voir G. Hottois, Entre symboles et technosciences. Un itinéraire philosophique, Seyssel, Champ Vallon, 1996. Sur l'émergence d'une utopie technoscientifique dans les dernières années de ce siècle, voir Lucien Sfez, La Santé parfaite. Critique d'une nouvelle utopie, Paris, Le Seuil, 1995. Jeremy Rifkin s'applique plus particulièrement à analyser et à dénoncer les multiples formes de la marchandisation de la génétique et des biotechnologies dans son essai : Le Siècle biotech. Le commerce des gènes dans le meilleur des mondes, tr. fr. A. Bories et M. Saint-Upéry, Paris, La Découverte, 1998.
26 Hans Jonas, Le Principe Responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique, tr. fr. J. Greisch, Paris, Cerf, 1990, p. 13-14 (préface).
27 Ibid., p. 300.
28 Ibid., p. 301.
29 Ibid.
30 Ibid., p. 302.
31 Ibid., p. 190.
32 Ibid. Une bioéthique radicalement "préservatrice" est défendue par le biologiste Edward O. Wilson, théoricien de la sociobiologie (La Diversité de la vie [1992], tr. fr. M. Blanc, Paris, Odile Jacob, 1993, p. 401, 412-413).
33 H. Jonas, op. cit., p. 190.
34 Ibid., p. 191.
35 Ibid., p. 190.
36 Ibid., p. 191.
37 Ibid.
38 Ibid., p. 192.
39 Ibid., p. 191.
40 H. Jonas, Wissenschaft als persönliches Erlebnis, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1987, p. 38 ; même auteur, Le Principe Responsabilité, p. 42-43, 225.Voir la belle étude de Jacques Dewitte, "Préservation de l'humanité et image de l'homme", Etudes phénoménologiques, t. IV, 8, 1988, pp. 33-68.
41 H. Jonas, Le Principe..., p. 13, 49-50, 300-302. Voir Dominique Bourg, "Bioéthique : faut-il avoir peur ?", Esprit, mai 1991, p. 22-39 ; Wolfgang Erich Müller, "La responsabilité peut-elle être basée sur un impératif ?", in Gilbert Hottois et Marie-Geneviève Pinsart, Hans Jonas. Nature et responsabilité, Paris, Vrin, 1993, p. 149 sq. Sur le devoir de respect inconditionnel et le principe du caractère sacré de la vie humaine, voir Lucien Sève, Pour une critique de la raison bioéthique, Paris, Odile Jacob, 1994, pp. 117-205 ; Henri-Paul Cunningham, "A propos du sacré : Hans Jonas, H. T. Engelhardt Jr. et H. Küng", Ethique, 15, 1995, pp. 44-52.
42 Il s'agit là du principal cliché des contempteurs de la modernité techno-scientifique (qu'ils soient catholiques traditionalistes ou partisans de l'écologie "profonde"). Voir par exemple Dominique Folscheid, "Editorial", Ethique. La vie en question, 1, été 1991, p. 9 ; Michel Serres, "Un entretien avec M. Serres", Le Monde, 21 janvier 1992, p. 2. Cf. P.-A. Taguieff, "Améliorer l'homme ? L'eugénisme et ses ennemis", Raison Présente, 105, 1er trimestre 1993, p. 64-65.
43 J.-M. Thévoz, op. cit., p. 27.
44 Ibid. Du même auteur, voir "Générations présentes, générations futures, quelles priorités ?", in Denis Müller et René Simon (éd.), Nature et descendance. Hans Jonas et le principe "Responsabilité", Genève, Labor et Fides, 1993, pp. 73-84. Dans la perspective ouverte par Hans Jonas, voir Michel Lacroix, Le Principe de Noé ou l'Ethique de la sauvegarde, Paris, Flammarion, 1997 ; Roberto Andorno, La Bioéthique et la dignité de la personne, Paris, PUF, 1997. Pour une discussion critique et une problématisation, voir Denis Müller, Les Lieux de l'action. Ethique et religion dans une société pluraliste, Genève, Labor et Fides, 1992 ; même auteur, Les Ethiques de responsabilité dans un monde fragile, Genève, Labor et Fides, 1998 ; Bruno Cadoré, L'Expérience bioéthique de la responsabilité, Montréal-Namur, Fides-Artel, 1994 ; René Simon, Ethique de la responsabilité, Paris, Cerf, 1993 ; Hubert Doucet, "Un théologien dans le débat en bioéthique", Revue d'éthique et de théologie morale, "Le Supplément", n° 202, août-septembre 1997, pp. 17-37 ; Marc Neuberg (dir.), La Responsabilité. Questions philosophiques, Paris, PUF, 1997 (ensemble de textes fondamentaux).
45 Voir G. Durand, La Bioéthique, op. cit., p. 27-28 ; Xavier Thévenot, La Bioéthique. Début et fin de vie, Paris, Le Centurion, 1989, p. 5-6. Dans le même sens, cf. David J. Roy, "La biomédecine aujourd'hui et l'homme de demain. Point de départ et direction de la bioéthique", Le Supplément, 128, mars 1979, pp. 59-75 ; même auteur, "De la bioéthique", Prospective et Santé, 15, 1980, pp. 63-70.
46 Voir J.-M. Thévoz, op. cit., p. 22-23.
47 Ibid., p. 22, 24. Cf. "La bioéthique", Cahiers de bioéthique, 1, 1979, Québec, Presses de l'Université Laval ; Jean-François Mattei, La vie en questions : pour une éthique biomédicale (Rapport au Premier ministre), Paris, La Documentation Française, 1994.
48 Henri Wattiaux, Génétique et fécondité humaines, Louvain-la-Neuve, Publications de la Faculté de Théologie, 1986, p. V. Noëlle Lenoir définit, dans le même sens, l'éthique biomédicale (Aux frontières de la vie : une éthique biomédicale à la française, Paris, La Documentation Française, 1991, t. I, p. 16).
49 J.-M. Thévoz, op. cit., p. 25. Sur la bioéthique comme "champ" (field) plutôt que "discipline", cf. Laurence B. McCullough, "Methodological concerns in bioethics", The Journal of Medicine and Philosophy, 11/1, 1986, pp. 17-37 ; Guy Bourgeault, "Qu'est-ce que la bioéthique ?" (1989), in Marie-Hélène Parizeau (éd.), Les Fondements de la bioéthique, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1992, p. 34 sq.
50 Otfried Höffe, article "Bioéthique", in O. Höffe (dir.), Petit dictionnaire d'éthique, édition française adaptée et augmentée par Lukas S. Sosoe, Paris, Le Cerf, 1993, p. 28-29.
51 G. Durand, op. cit., p. 30-31.
52 Pierre Deschamps, cité par G. Durand, ibid., p. 30. Cf. par exemple Georges David, "La construction pratique d'une déontologie", Pouvoirs, 56, 1991, pp. 77-86.
53 G. Durand, op. cit., P. 32.
54 Cf. Charles Larmore, Modernité et morale, Paris, PUF, 1993, p. 97.
55 Claude Bernard (1865), cité par A. Fagot-Largeault, L'Homme bioéthique, op. cit., p. 149.
56 C. Larmore, op. cit., p. 97, 106 sq.
57 J.-M. Thévoz, op. cit., p. 22.
58 G. Durand, op. cit., p. 62.
59 J.-M. Thévoz, ibid., p. 291. Sur les règles de la "bioéthique commune", voir Anne Fagot-Largeault, "La réflexion philosophique en bioéthique" (1989), in Marie-Hélène Parizeau (éd.), Les Fondements de la bioéthique, Bruxelles, De Boeck-Wesmael, 1992, p. 14-17.
60 Ibid., p. 24.
61 Ibid., p. 25. Aldo Leopold (1887-1948) est l'un des "précurseurs" que se reconnaît le mouvement écologiste aux Etats-Unis ; voir son étude : "The Land Ethic", in A Sand County Almanac, and Sketches Here and There, Oxford University Press, 1949.
62 V. R. Potter, "Aldo Leopold's Land Ethic revisited : two kinds of bioethics", Perspectives in Biology and Medicine, 30 (2), hiver 1987, p. 159.
63 Luc Ferry, "Tradition ou argumentation", Pouvoirs, 56, 1991, p. 5. L'extension du champ de la bioéthique et son institutionnalisation ont provoqué l'émergence d'une réflexion juridique sur les pratiques biomédicales. Voir Catherine Labrusse et Gérard Cornu (dir.), Droit de la filiation et progrès scientifiques, Paris, Economica, 1981 ; Claire Neirinck (dir.), De la bioéthique au bio-droit, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisrudence 1994.
64 L. Ferry, art. cit., p. 6. Pour l'esquisse d'une bioéthique humaniste, voir Jean Dausset, "Des questions pour le présent et le futur", in M. J. Mélançon et R. D. Lambert (dir.), Le Génome humain, op. cit., pp. 37-48. Pour une défense de l'humanisme, cf. Bernard Williams, L'Ethique et les limites de la philosophie (1985), tr. fr. M.-A. Lescourret, Paris, Gallimard, 1990, p. 130-131 ; L. Ferry, "Morales laïques, morales sans transcendance ?", Notes de la Fondation Saint-Simon, 72, juin 1995.
65 Jean Bernard, La Bioéthique, Paris, Flammarion, 1994, p. 72. Dans le même sens, voir H. Tristram Engelhardt, Jr., "The foundations of bioethics : the attempt to legitimate biomédical décisions and health care policy", Revue de Métaphysique et de Morale, 92 (3), juillet-septembre 1987, pp. 387-399.
66 G. Durand, op. cit., p. 28. C'est ce qui justifie, selon Paul Ricour, que l'on classe la bioéthique "dans la zone du jugement prudentiel", celle de la sagesse pratique, la "prudence" (Soi-même comme un autre, Paris, Le Seuil, 1990, p. 316-317).
67 David J. Roy, "L'éthique clinique", in La responsabilité éthique..., op. cit., p. 271 sq.
68 Karl-Otto Apel, "The a priori of communication and the foundation of the humanities", Man and World, vol. 5, février 1972, p. 7 ; même auteur, "L'a priori de la communauté communicationnelle et les fondements de l'éthique", in K.-O. Apel, L'Ethique à l'âge de la science, tr. fr. R. Lellouche et I. Mittmann, avant-propos de l'auteur et introduction de R. Lellouche, Presses Universitaires de Lille, 1987, pp. 43-49. Voir D. J. Roy, art. cit., pp. 271-273 ; A. Fagot-Largeault, "La réflexion philosophique.", art. cit., p. 11 sq.