DOGMA


Michel Paty[1]

Rationalités comparées
des contenus mathématiques
La philosophie dans le champ de l'histoire des sciences.
Sur les travaux de Roshdi Rashed


(Colloque des sciences arabes, Damas (Syrie), 1-4 novembre 2002.)



Résumé.

D’une manière générale, le champ des mathématiques considérées dans leur développement historique est fertile en problèmes épistémologiques et philosophiques. Les recherches de Roshdi Rashed sur l’histoire des mathématiques arabes présentent à cet égard un intérêt tout particulier en ce qu’elles explicitent nombre de ces problèmes, exemplifiés et précisés par le travail d’exhumation des textes et de leur compréhension historique. On propose, tout d’abord, un relevé de thèmes philosophiques rencontrés dans le champ de l’histoire des mathématiques arabes, notamment dans les travaux de Rashed. On tente ensuite, en suivant quelques uns de ces travaux, de caractériser les types de problèmes posés et de solutions proposées qui permettent, en arithmétique, algèbre, géométrie et optique, ainsi qu’en astronomie, de dessiner les figures de la rationalité mathématique, aux époques considérées. On se penche également, par rapport à la formulation de ces problèmes, sur la question des changements et des innovations, et sur leur rapport aux conceptions et traditions antérieures, en vue d’apporter des éléments à ce que pourrait être, pour ce domaine, une philosophie de la découverte au sens propre. On prolonge et conclut cette réflexion en évoquant d’un point de vue philosophique les questions, qui sous-tendent ce qui précède, de l’invention scientifique (ici, mathématique) et des modifications des formes de rationalité qui la rendent possible.

Plan.

1. Introduction. - 2. Thèmes philosophiques dans le champ de l’histoire des mathématiques arabes.- 3. Le problème des découvertes. - 4. La question de la rationalité. - 5. Problèmes et solutions : figures de la rationalité mathématique.- 6. Remarques de conclusion.


1. Introduction

Comme le sous-titre de cet exposé l’indique, je voudrais aborder un thème de réflexion philosophique suscité, ou éclairé, par des travaux d’histoire des sciences arabo-islamiques, pour faire entrer, en quelque sorte, en dialogue, non seulement la philosophie des sciences et l’histoire des sciences, mais des leçons philosophiques des sciences et de l’histoire des sciences correspondant à des périodes (sinon des domaines) bien différentes : celles de la tradition mathématique arabe et celles des sciences mathématiques et physico-mathématiques modernes et contemporaines. D’une manière générale, le champ des mathématiques considérées dans leur développement historique est fertile en problèmes épistémologiques et philosophiques. Les recherches sur les mathématiques arabes, et au premier plan celles de Roshdi Rashed, présentent à cet égard un intérêt tout particulier en ce qu’elles explicitent nombre de ces problèmes, exemplifiés et précisés par le travail d’exhumation des textes et de leur compréhension historique.
Ce caractère, qui n’est après tout pas si commun dans les travaux d’histoire des sciences, m’avait retenu lorsque, voici une quinzaine d’années, j’ai eu à faire une étude, pour une revue de philosophie, sur les résultats importants que notre ami avait obtenus dans le domaine de l’histoire des mathématiques arabes et gréco-arabes (il s’agissait, pour ces dernières, de la découverte des livres de Diophante perdus en grec et traduits en arabe). Cette étude est parue en 1985, dans la revue Archives de philosophie, sous le titre « La tradition mathématique arabe »[1], ce qui était, bien entendu, une allusion directe à la leçon de l’œuvre de Joseph Needham sur l’histoire des sciences en Chine. Mais à l’époque, qui nous semble déjà bien lointaine, il n’était pas encore évident pour tout le monde que l’on puisse aussi parler d’une « tradition » pour les sciences arabes, et notamment pour les mathématiques, dans un sens analogue à celui que Needham avait à bon droit forgé pour les sciences de la civilisation chinoise. Dans ce sens, mon article avait une fonction militante, dans un contexte dont les moins jeunes de ceux qui sont ici se souviennent, et il était particulièrement bien venu que ce soit une revue de philosophie notoire comme les Archives qui l’accueille. Je me souviens de l’intérêt marqué à l’égard du sujet par le Père Marcel Régnier, son directeur d’alors, malgré les pressions instantes qui lui avaient été faites de ne pas donner suite à la publication[2]. Que ce me soit ici l’occasion de rendre hommage à sa rectitude intellectuelle d’authentique philosophe.
Ayant eu, pour la circonstance qui nous rassemble aujourd’hui, l’occasion de me plonger à nouveau dans les travaux de Roshdi Rashed, j’ai pu mesurer, même si ma lecture aura été bien loin d’être exhaustive (à cause du court délai, mais surtout du volume de l’œuvre, désormais immense, qui s’est considérablement augmentée depuis cette période difficile), combien le thème de la tradition mathématique et scientifique arabe est avéré, étayé par le grand nombre de travaux effectués par les chercheurs en histoire des sciences de ce domaine. Et, d’autre part, combien la méthode « historico-rationnelle », de Roshdi Rashed y a toujours été en œuvre et a manifesté sans relâche sa fécondité, dont témoigne la bibliothèque entière qu’il a déjà constituée (j’entends une bibliothèque écrite et commentée par lui) en près d’une quarantaine d’années de recherches, posant de solides jalons pour son augmentation à venir, disciples aidant. Nous sommes donc en présence, avec Rashed et ses élèves, d’une école, au niveau français et international (qui s’étend jusqu’au Japon), d’une véritable et dynamique école (et déjà tradition dans le sens précité) d’histoire des sciences arabes, qui fait revivre, en les ayant arrachées à l’oubli, des œuvres, en interaction et en succession au long de plusieurs siècles, offertes à notre lecture, d’ailleurs déjà préparées pour notre intellection d’aujourd’hui, par les analyses et reconstitutions, et dont chacun peut désormais tirer des leçons. La plus évidente de ces leçons, commune pour tous, c’est la perspective plus complète – ce qui signifie aussi moins appauvrie, en considération des autres œuvres humaines qui nous ont été perdues dans d’autres cultures – que cet ensemble d’œuvres, cette tradition caractérisée dans le temps et dans l’espace, nous procure désormais sur les sciences et leur histoire.
Il est d’autres leçons, plus spécifiques quant aux problématiques historiques, culturelles et philosophiques, et je vais en évoquer brièvement quelques unes, avant de m’étendre davantage sur l’une d’entre elles, à savoir la nature de la rationalité sous-jacente à ces sciences, et que ces dernières éclairent par leurs caractéristiques et par leur mouvement. Cette question de la rationalité, que j’ai moi-même rencontrée dans mes propres recherches d’épistémologie et d’histoire des sciences sur des auteurs, des œuvres et des problèmes plus proches de nous dans le temps, est de fait appelée par toute réflexion que l’on peut faire sur les changements et les découvertes en science et par là, plus profondément, sur l’intelligibilité et sur la créativité scientifique. C’est une question de nature philosophique, difficile dans son principe même dès lors qu’on doit prendre en considération à la fois le contenu rationnel et structuré des connaissances et le mouvement qui les entraîne : nous y reviendrons. Ma préoccupation pour cette question ne pouvait qu’être immédiatement avivée à la lecture (ou, pour certains d’entre eux, à la relecture) des travaux de Roshdi Rashed et de ses collègues de ce domaine jusqu’ici assez mal connu, qui nous mettent devant les yeux des situations de connaissances scientifiques qui sont des situations de découverte, de compréhension rationnelle, de transformation, de refondation, et qui ont directement à voir avec ce que j’appellerai plus loin des « transformations », ou des « élargissements » des formes de la rationalité elle-même.
Je m’efforcerai, tout d’abord, de faire un relevé de quelques thèmes philosophiques rencontrés dans le champ de l’histoire des mathématiques arabes ou arabo-islamiques, notamment dans les travaux de Roshdi Rashed. J’aimerais ensuite, en suivant quelques uns de ces travaux, tenter de caractériser les types de problèmes posés et de solutions proposées, en arithmétique, algèbre, géométrie et optique, et ce pourrait être aussi en astronomie, qui permettent de dessiner les figures des rationalités mathématiques aux époques considérées. Je ne pourrais bien entendu que l’esquisser, en renvoyant aux ouvrages qui en traitent, où ces figures se trouvent au moins en filigrane, mais souvent explicites. Je m’arrêterai enfin à celui de ces problèmes que j’ai mentionné, qui concerne les changements et les innovations par rapport aux conceptions antérieures, en vue d’apporter des éléments à ce que pourrait être une philosophie de la découverte scientifique au sens propre, voire même une philosophie de la création scientifique. Car ce n’est pas l’un des moindres intérêts de ces œuvres du passé qu’elles nous montrent, par leurs contenus mêmes, l’apparition de conceptions et de procédures parfaitement neuves et originales. Cette réflexion sera centrée sur la question des modifications des formes de rationalité qui rendent cette découverte ou création possible.


2. Thèmes philosophiques dans le champ de l’histoire des mathématiques arabes.

Je ne m’attarderai pas sur les raisons qu’il y a à relever les thèmes philosophiques dans le champ de l’histoire des mathématiques arabes : elles sont évidentes, au même titre que pour tout champ d’histoire des sciences et pour le champ des sciences actuellement en cours d’élaboration. Mais il existe pourtant des particularités propres à ce champ précis, dues à sa nature (et, considérant le propos particulier qui est ici le mien, les mathématiques présentent une ouverture directe privilégiée vers les problèmes de la rationalité). Ces particularités sont dues, également, à sa situation propre dans l’histoire de l’histoire des sciences (c’est à cet égard, un domaine assez récent). Elles tiennent enfin à sa richesse, exceptionnelle, dans une série significative qui se tient avant celles des sciences modernes et après celle des sciences grecques anciennes et héllénistiques, et qui est aussi à la jonction d’autres séries comme les sciences indiennes (et peut-être chinoises ?).
Parmi ces thèmes, indiquons en premier lieu pour mémoire celui, réflexif et de caractère général, mais qui pourtant ne va peut-être pas de soi, de la dimension philosophique des objets de sciences reconnus dans l’histoire. Identifier ce thème constitue en soi tout un programme sur la philosophie de la connaissance et des sciences, si l’on considère les tendances marquantes de cette dernière au long de presque tout le siècle écoulé, avec la séparation d’une philosophie à dominance analytique et de l’histoire des sciences. Cette séparation consciente et assumée se justifiait (de Reichenbach à Popper, et à des penseurs plus récents sous des formes diverses) de l’idée que la découverte en science ne serait ni logique ni rationnelle, l’un de ses avatars, il est vrai modulé, étant la notion de « reconstruction rationnelle » (Lakatos). Dans toute cette période, les philosophes qui ont pu concevoir que c’est l’objet de la recherche et du travail scientifique lui-même (et donc aussi l’objet de la découverte), qui porte sa rationalité, n’ont pas été légion. Je voudrais mentionner, parmi les quelques brillantes exceptions, pour les sciences mathématiques, Jean Cavaillès, Jean-Toussaint Desanti, Jules Vuillemin, Gilles Gaston Granger. Ce dernier, en particulier, a formulé les concepts épistémologiques de « travail scientifique » et de « style », qui sont directement adaptés à la prise en compte, par la philosophie, des objets de la « science réelle », permettant d’éviter l’enfermement dans le choix entre un « synthétique a priori » kantien figé ou sa dissolution empiriste-logique[3].
D’une manière générale, la réflexion sur ces thèmes philosophiques participe de ce que l’on pourrait appeler une « philosophie de l'histoire des sciences ». Mais une telle expression reste à discuter : nous concevons, à la lumière même des leçons (le plus souvent négatives) des rapports de la philosophie et de l’histoire (et d’une certaine « philosophie de l’histoire »), que ce philosopher-là se doit d’être avec son objet dans une relation non pas d’extériorité, mais de réflexivité. Plusieurs contributions de Roshdi Rashed lui-même sont de cette nature, et illustrent ou nourrissent d’ailleurs quelques uns des autres thèmes que je veux maintenant évoquer.
Une série de ces autres thèmes (distincts et liés entre eux) est celle des champs de rationalité, des styles scientifiques, des traditions scientifiques et des écoles de pensée, qui constituent autant de concepts épistémologico-historiques. J’en ai parlé ailleurs[4], et je n’y reviens pas ici, sinon pour souligner combien les travaux de Roshdi Rashed en fournissent une exemplification permanente. C’est précisément en abordant sous l’angle de telles notions, transcrites dans leurs implications quant aux œuvres, dans les contenus propres de celles-ci et dans leurs rapports aux autres, qu’il a pu rendre l’ampleur et les structures profondes des travaux des mathématiciens arabo-islamiques. Aussi bien avec le commencement de l'algèbre dû à al-Kwarizmi qu’avec ses « recommencements » à la jonction de l'arithmétique et de la géométrie, ou de l'analyse numérique, ou de la théorie des nombres, ou de l'analyse combinatoire, on constate une cohérence dans la formulation des problèmes, qui montre bien que ces œuvres ne sont pas des contributions accidentelles, indépendantes et isolées, mais qu’elles révèlent la densité et la continuité, et aussi les reprises, d'une véritable école ou tradition, dont les lignes de forces sont constituées par la rationalité des problèmes et des approches poursuivies, que l’on peut suivre d’une œuvre à une autre.
Des cas semblables peuvent être constatés en histoire des sciences dans différents domaines. Ils permettent, par eux-mêmes ou de manière comparative, par les types d’énoncés, les modes d’approche et de résolution, de concevoir comment, moyennant l’acceptation d’une certaine « clôture épistémologique », d'autres problèmes leur sont reliés, et comment d’autres méthodes peuvent être développées pour les résoudre. On doit considérer qu’il existe une certaine « nécessité rationnelle », qui se laisse constater dans les œuvres, et à partir de laquelle il est même possible faire des prédictions sur des résultats devant avoir été produits, dans un domaine comme celui des sciences arabes où cependant bien des documents restaient et restent encore ignorés. On relève en même temps une diversité dans les approches des différents auteurs (dans leurs « styles »), voisines, voire convergentes, rendues possibles dans un même champ de rationalité. Le problème, caractérisé rationnellement, « appelle » en quelque sorte sa solution, qui peut fort bien toutefois n’être pas unique et définitive, par effets de diversité des « styles », mais aussi pour des raisons qui peuvent être contingentes (ce qui est notamment souvent le cas dans les sciences de la nature). Les différences peuvent aussi survenir comme effet des ré-interprétations ou re-fondations qui renvoient à des modifications structurelles des formes mêmes de la rationalité[5]. Il reste que la conception de champs de rationalité, dans lesquels s'orientent des approches - rationnelles - caractérisées par des styles, s’oppose à celle de reconstruction rationnelle, qui implique une unicité choisie a posteriori, et donc non historique. (Cela n’interdit pas, bien entendu, de pratiquer des reconstructions rationnelles dans le sens de constructions axiomatiques, mais l’on se situe alors délibérément en-dehors du champ de l’histoire).
Une autre série thématique concerne les problèmes de réception, de transmissions, d’influences d’une tradition à une autre, voire d’une culture à une autre. Je ne m’y attarderai pas non plus ici, sinon pour rappeler que Roshdi Rashed a beaucoup travaillé et réfléchi sur les problèmes de la transmission de la pensée scientifique grecque à celle du monde arabe. On se reportera, en particulier à son livre Entre arithmétique et algèbre (1984), et à son ouvrage de 1992, Optique et mathématique, notamment au premier chapitre intitulé « Problems of the transmission of Greek scientific thought into Arabic : examples from mathematics and optics »[6]. Ces transmissions d’une tradition culturelle à une autre se font parfois avec altérations ou pertes d’information (comme dans le cas de la théorie des fractions décimales et de l’extraction de la racines nièmes d’un nombre, ainsi que de la résolution des équations numériques).
La périodisation en histoire des sciences est un autre thème, certes avant tout historique, mais d’intérêt philosophique, d’autant plus qu’il tient directement aux changements structurels dans la connaissance d’une discipline donnée[7]. Roshdi Rashed a proposé, dans son article sur « La périodisation des mathématiques classiques », des considérations sur le « chaînon intermédiaire » entre les mathématiques anciennes et modernes, évidemment bien informées, notamment à la lumière des contenus des œuvres qu’il a lui même exhumées et analysées, et dont la connaissance manquait jusque récemment ; mais à la faveur aussi d’une analyse fine des œuvres mathématiques des xviie et xviiie siècles européens. Cette conjonction permet de mieux rendre compte des continuités et de ruptures, ces dernières ne se situant souvent pas où on les pensait[8].
Un autre thème ou problème, particulièrement souligné par Rashed, est celui de l’« application des mathématiques », terme consacré depuis l’Antiquité jusqu’au xviiie siècle à des sciences comme l’optique géométrique ou l’astronomie. Il faudrait évoquer ses riches travaux sur ces sujets et notamment sur le premier, qui commencent avec sa série consacrée à l’optique selon Ibn al-Haytham (Alhazen). Pour la réflexion sur ce thème, je renvoie notamment à l’article « Lumière et vision : l’application des mathématiques dans l’optique d’Ibn al-Haytham »[9]. On y comprend comment l’« application des mathématiques » pouvait être un enjeu pour la connaissance de l’optique comme science propre, même sans qu’il fût question de se prononcer sur la nature de la lumière (plus précisément, sur ce qui fait sa nature physique). Il ressort de l’analyse de Rashed que l’application de la géométrie aux questions d’optique constituait un blocage épistémologique pour une approche des phénomènes lumineux en tant que tels, et qu’on doit à Ibn al-Haytham d’avoir repensé l’optique à partir d’une conception originale de la lumière, en ré-évaluant le rapport entre optique géométrique et optique physique. Nous en reparlerons plus bas.
L’astronomie suscite, dans le même contexte, des considérations semblables, concernant le rapport entre l’astronomie mathématique et l’astronomie physique, portant sur la conception théorique (voir celle d’Ibn al-Haytham étudiée par Régis Morelon), et conduisant à une nouvelle conception de l’observation, telle que celle développée par al-Tusi au xiiie siècle.
Il est intéressant de voir ici l’« application » s’accompagner d’un changement de point de vue sur la science qui est l’objet de l’application, ce qui déjà la fait déborder le statut d’une simple « application » dans le sens banal. Le terme « applications des mathématiques », qui reste malgré tout satisfaisant pour les connaissances et les méthodes de cette époque, ne le sera plus ultérieurement, lorsque se constitueront l’une après l’autre les sciences mathématisées du monde physique, en commençant par la mécanique et l’astronomie, avec l’élaboration de leurs principes et de leurs concepts et grandeurs propres. Au xviiie siècle, concernant la physique, ce n’est plus tant d’« application » qu’il s’agit, mais de « constitution mathématique de la physique », même si une telle expression n’existe pas encore (on parle alors de « mathématiques mixtes », puis de « sciences physico-mathématiques »). D’Alembert utilise, certes, le terme « application » pour désigner l’importation des éléments d’une branche des mathématiques dans une autre, comme, par exemple, l’« application de l’algèbre à la géométrie », comme dans la géométrie des courbes, qui « demande nécessairement l’usage de l’algèbre », mais à condition d’expliciter « les principes de cette application »[10]. Celle-ci s’effectue dans la mesure où il s’agit d’exprimer des rapports de volumes, de surfaces, de lignes en termes de rapports de grandeurs. D’Alembert parle aussi de l’« application de la géométrie et du calcul [différentiel et intégral] aux phénomènes de la nature », en quoi consistent les « sciences physico-mathématiques », et il souligne régulièrement qu’elle est soumise à des conditions qui tiennent à la nature physique de ces phénomènes et des objets considérés. Ces applications successives s’effectuent selon le chemin inverse de l’abstraction, par reconstruction allant des objets les plus simples aux plus complexes[11].
On voit par là que le sens du mot « application » tel qu’il est utilisé dans ces expressions au siècle des Lumières est autre que son acception immédiate (directe), et ce n’est déjà plus tant une application qu’une imbrication, surtout lorsqu’il est question des corps physiques, avec d’abord la science du mouvement. Les grandeurs qui les décrivent ne sont pas données dans une transparence mathématique, mais sont constituées par des relations mathématiques (comme dans la définition de l’accélération et des forces accélératrice et motrice, proposées par d’Alembert dans le Traité de dynamique à partir de considérations physiques sur les grandeurs d’espace et de temps, et de la nature mathématique des grandeurs continues et différentiables utilisées, définies à partir de ces dernières)[12].
Poursuivons notre inventaire des thèmes philosophiques dans le domaine des sciences arabo-islamiques. Celui de« l’analyse et la synthèse » est très central, considérant les sciences de l’époque, mais aussi ses antécédents et ce qui en serait promis à la postérité, au xviie siècle (considérant par exemple, les pensées de Descartes et de Leibniz, mais aussi la référence qu’y fait Newton dans ses Principia, en liaison à sa conception des rapports entre la mécanique et la géométrie), et ultérieurement, notamment au xviiie siècle. C’est un thème « à la frontière des mathématiques, de la logique et de la philosophie », comme l’écrit R. Rashed, qui a notamment donné deux textes qui lui sont expressément consacrés, séparés par un assez grand intervalle de temps, marquant la constance de la préoccupation et un approfondissement du thème à la faveur de l’élargissement de la connaissance des œuvres. Ce sont, d’une part, de 1991, « L’analyse et la synthèse selon Ibn al-Haytham » et, plus récemment, en 2002, « L’Art analytique : entre histoire et philosophie des mathématiques »[13]. Les questions abordées sont en réalité traversées par deux thèmes. L’un relève de l’épistémologie des mathématiques, et concerne l’existence et la construction de solutions : nous y reviendrons à propos du problème de la rationalité mathématique. L’autre, philosophique, se rapporte au fait de pouvoir penser ce qui n’était pas jusqu’alors pensable, et concerne un « art analytique » dont l’exigence n’est pas sans évoquer pour nous l’idée de « mathesis universalis » au sens de Descartes. Il se rapporte au problème de la découverte et des conditions, sur la rationalité, de l’invention de connaissances nouvelles : nous y reviendrons aussi.
La pensée des rapports entre les mathématiques et philosophie, chez les savants et les philosophes de l’époque considérée, constitue un autre thème. La préoccupation pour l’analyse et la synthèse s’y rattache, mais il comporte aussi, plus généralement, des approches explicitement philosophiques d’autres savants, comme, par exemple, Avicenne (avec l’étude « Mathématique et philosophie chez Avicenne »[14]. Et encore, la pensée et l’œuvre d’al-Kuhi, prédécesseur d’Ibn al-Haytham, réfutant des conceptions aristotéliciennes à l’aide de notions géométriques. Al-Kuhi donne, en particulier, un argument géométrique de type projectif (à savoir la correspondance à l’aide d’un mouvement géométrique réalisé par un « compas optique » entre les points d’un demi cercle et les points d’une branche d’hyperbole), pour mettre en défaut la doctrine aristotélicienne de l’infini. On peut également mentionner les relations étroites qui existent alors entre la pensée de l’analyse combinatoire et la métaphysique (étudiées par Rashed dans son article « Combinatoire et métaphysique »[15].
D’autres thèmes, plus généraux, s’imposent d’eux-mêmes, tels que celui de la critique de la notion de science occidentale (étudié par Rashed dès ses premières recherches), et les perspectivesouvertes par la prise en compte de « la diversité culturelle » sur l’exacte appréciation, et peut-être les re-définitions, de notions comme celles de science, d’universalité, etc. Je ne les reprendrai pas ici, mais ils constituent une dimension importante des leçons que l’on peut tirer de ce domaine de l’histoire des sciences[16].
Je rajoute in fine un autre thème, annoncé dans l’introduction, préparatoire aux réflexions sur la rationalité : Le problème de la nouveauté et de la découverte en science. C’est à lui que j’en viens maintenant, en manière d’introduction aux développements qui vont suivre.


3. Le problème des Découvertes

Le thème de la découverte est d’une importance première dans les travaux de Roshdi Rashed sur les sciences arabo-islamiques, avec celui de la transmission que nous avons mentionné précédemment. C’est, en effet, l’un des apports considérables de ses travaux d’avoir montré que l’héritage des mathématiques de cette tradition ne fut pas seulement, comme les commentateurs l’ont longtemps prétendu, d’avoir été un intermédiaire entre la pensée grecque et la renaissance et la science classique européennes. Cependant, l’on n’a pas encore tiré les leçons philosophiques de ces faits historiques. Mais c’est là une situation assez générale, qui tient à l’histoire et à l’état présent des rapports entre histoire des sciences et philosophie des sciences. Si la découverte reste une réalité factuelle indéniable en histoire des sciences, celle-ci étant à proprement parler faite de découvertes qui renouvellent les sciences et les font progresser, il s’en faut que ce processus, inhérent à toute science vivante et à toute activité scientifique, ait été considéré en tant que tel par la philosophie. Il est vrai que la possibilité même de la découverte de connaissances nouvelles, qui comprend l’extension du champ de ce qui est connu, mais aussi la réorganisation des connaissances acquises quand elles sont placées sous un nouveau point de vue, pose le problème de la rationalité de ces connaissances, notamment dans le processus même de leur surgissement. Si, comme l’a considéré la plus grande partie de la philosophie des sciences contemporaine, la rationalité digne de l’attention de la philosophie se ramène à la seule logique, il reste évidemment peu de place pour une philosophie de la découverte, et encore moins de la création, scientifique.
La notion de découverte et de nouveauté dans les connaissances est évidemment d’une importance première en histoire des sciences et, à cet égard, l’histoire des sciences arabes ne fait pas exception. Il est clairement établi désormais, notamment par l’œuvre de R. Rashed pour l’histoire des mathématiques, que le champ des mathématiques arabes est fait de découvertes, et non seulement de traductions et de transmissions. (Voir, par exemple, l’« invention de l’algèbre » et ses « renouvellements » à la rencontre de l’arithmétique et de la géométrie[17]). D’un autre coté, dans l’« entre-deux » de l’histoire des sciences et de la philosophie des sciences, la notion de « paradigme » au sens de Thomas Kuhn dénie pour la « science normale », toute importance à la notion de découverte. « La science normale ne se propose pas de découvrir des nouveautés, ni en matière de théorie, ni en ce qui concerne les faits, et, quand elle réussit dans sa recherche, elle n'en découvre pas », déclare l’auteur de La structure des révolutions scientifiques[18]. On est en droit de se demander ce que donnerait une lecture kuhnienne du champ des sciences arabes. On parlerait de science normale, aristotélicienne, ptoléméenne, euclidienne, de traduction, et on omettrait d’aller y regarder de près. Or, il est désormais démontré que la science, et notamment les mathématiques, bouge beaucoup entre le ixe et le xiiie siècle, au Sud de la Méditerannée, sans qu’on puisse parler de révolution pour autant, sauf peut-être, on le verra, pour l’optique d’Ibn al-Haytham, encore qu’elle ait été masquée par la persistance d’une manière traditionnelle de présentation. Il faudrait peut-être d’ailleurs examiner sous cet angle d’autres innovations trelatives à l’algèbre, à la géométrie algébrique : s’agit-il de révolutions au sein de la tradition ? Mais, de fait, la catégorie de « science normale » se révèle, ici comme en bien d’autres situations, inutilisable.
Par ailleurs, la question de la découverte est fort peu prise en compteen philosophie, pour des raisons diverses[19], mais dont une raison est la difficulté inhérente à la problématique de la « nouveauté » même, dont le concept semble se détruire de lui-même, assimilé dans la pratique et la reformulation dès sa première apparition. Il est fréquent que les savants qui innovent n’aient pas eux-mêmes conscience de la nature de leur innovation. L’importance d’un élément réellement nouveau apparaît surtout au niveau structurel d’un ensemble de modifications, comme on le verra sur le sujet qui nous retient aujourd’hui.
On peut évoquer, parmi de multiples cas, celui de l’apparition de l'analyse locale et de la dérivée dans l'oeuvre d'al-Tusi[20], qui représente un important chaînon dans le développement de la géométrie algébrique après al-Khayyam, entre Appollonius et Descartes. Al Tusi instaure l'analyse locale et analytique des courbes, introduit l'utilisation des transformations affines, étudie les maxima d'une fonction au voisinage d'un point, et donne pour la première fois la forme de ce que l'on appellera plus tard la dérivée, en l’utilisant de façon systématique (c’est une dérivée muette, présente dans les faits, mais sans les dénominations, sans le concept). Un élément de nouveauté se trouve effectivement présent, mais comment le caractériser sans anachronisme ? Son importance passa (probablement) inaperçue sur le moment, bien qu'il ne s'agisse de rien de moins que de l'invention d'un nouvel objet mathématique. Elle est également inaperçue d'une approche historique a-posteriori qui prend son information et ses critères d'une tradition établie différemment[21].
L’algèbre d’al-Kwarizmi est un autre cas d’école. Sa nouveauté est d’être une véritable « pensée de l’algèbre » (l’expression est de R. Rashed), se démarquant de la tradition arithmétique précédente, caractérisée par l’autonomie, et la généralité (de l’inconnue, mais surtout des opérations, accomplie par les successeurs d’al-Kwarizmi, par l’« arithmétisation de l’algèbre »), et l’unité. R. Rashed parle, précisément, de « la nouveauté du type de rationalité mathématique » acquise avec l’algèbre de al-Kwarizmi[22]. Et, à propos de l’œuvre d’al-Tusi qui, parti du programme de Khayyam, développa l’étude locale et analytique, il emploie l’expression de « nouvelle phénoménologie de l’objet mathématique »[23].
Le point de vue que nous adopterons ici est celui d’une rationalité de la découverte, considérée dans son historicité même. Cela nous oblige à quelques considérations générales préliminaires sur la question de la rationalité.


4. La question de la rationalité

Tour d’abord, il faut constater que l’on parle bien, avec quelque raison, non pas d’une rationalité, mais de rationalités diversifiées (par exemple, les rationalités mathématiques, ou les rationalités scientifiques. Elles diffèrent suivant les champs disciplinaires (selon la spécificité des critères de scientificité pour chacun), suivant les périodes historiques, les contextes de culture. Mais aussi suivant les approches individuelles, dans un champ de problèmes donnés et communément accepté. On peut aussi considérer spécifiquement la rationalité d'un problème ou d'un champ de problèmes donnés, et tenir compte de la diversité des approches scientifiques possibles relatives à un même champ de rationalité ; on ne saurait non plus oublier que la découverte d'un élément nouveau de connaissance résulte toujours d'une approche singulière.
Jean Ladrière parle à cet égard du « polymorphisme de la raison » et de son « historicité intrinsèque », indiquant que « la raison se construit dans les pratiques en lesquelles elle se reconnaît et elle se découvre elle-même en se construisant. ». A quoi il ajoute : « La science joue un grand rôle dans ce processus d'auto-constitution de la raison. Dans la forme de rationalité qu'elle met en œuvre se révèlent des traits essentiels de la raison, qui s'imposent à la réflexion comme des données particulièrement significatives »[24].
C’est pourtant un aspect que la « philosophie scientifique » du xxe siècle a largement ignoré, si l’on excepte quelques auteurs, parmi lesquels le Bachelard du Rationalisme appliqué, Ladrière avec Les enjeux de la rationalité (Le défi de la science et de la technologie aux cultures) [25] et quelques autres, en fin de compte assez peu nombreux. Ladrière montre comment, même avec les définitions assez étroites (à mes yeux) du courant analytico-poppérien, la raison et la rationalité dépassent les critères que l'on peut en proposer[26]. Lui-même, toutefois, se restreint à ces courants dans son analyse de la rationalité scientifique, et il ne mentionne pas la possibilité d'en apprendre plus sur la rationalité par l'histoire des sciences d'autres périodes et d'autres cultures.
Si l’on peut parler à bon droit de diversité des formes rationnelles, de « rationalités régionales » (Bachelard), voire de « polymorphisme de la raison » (Ladrière), c’est que la raison n'est pas une entité fermée, un système clos. Avant tout structurelle et fonctionnelle, elle est ouverte sur une nécessité qui lui échappe. Nous ne savons pas caractériser la raison d'une manière totalement analytique, bien que nous sachions comment elle fonctionne, à l'usage. La raison est une fonction de l'esprit. Elle nous échappe en ce sens que nous ne sommes pas maîtres de sa définition, de la direction qu'elle nous fait prendre par rapport à de nouvelles ou futures utilisations d'elle, et par rapport à la conception que nous nous faisons et nous ferons d'elle.
Plus précisément, elle comporte une dimension critique, et ce « principe de criticisme », dans l’ordre cognitif, est « ordonné à une visée de vérité »[27], qui non seulement la fait juger de la validité de propositions (telles que des énoncés de problèmes et de leurs solutions), mais encore s’intéresse à leur plus grande intelligibilité. Ces jugements sont sous-tendus par d’autres éléments cognitifs fonctionnels, mais qui peuvent rester implicites, tels que l’idée d’adéquation de la représentation à son objet, celle de mise en rapport (signification originelle de l’analogie), celle d’unité qui sous-tend le mouvement de toute la pensée représentative vers une plus grande intelligibilité, mais aussi celles de distinction et de différence, d’ailleurs liées à l’idée d’analyse dont nous aurons à reparler, car elle est singulièrement éclairée par les mathématiques.
Une philosophie de la rationalité et de l’invention mathématique rendrait explicites les changements survenus dans l’activité cognitive, et en particulier dans les sciences, en termes des propriétés de l’entendement, qui constituent les structures de la rationalité. Elle y chercherait les conditions de possibilité de ces changements. Mais les philosophes actuels, s’ils constatent les changements dans les connaissances, ne les rapportent que très rarement à des modifications dans la structure de la raison elle-même, qu’ils auraient plutôt tendance à considérer comme immuable. Pendant des décennies l’on parlait, pour la dénier, de « logique de la découverte », identifiant logique et raison ou raisonnement, et la logique étant immuable, ainsi que Kant la définissait comme « un canon pour l’entendement ou la raison, applicable à toute pensée et susceptible de démonstration. »[28]
La raison reste encore elle-même difficile à penser en tant que structure mentale fonctionnelle et sujette à des modifications. Il semble que l’on confonde ici la fonction et les formes, qui feraient la structure, et les garanties de l’entendement. Modifier la forme ferait que la structure se délite. Et cependant bien des faits de la réalité et de l’expérience humaine montrent que les formes conçues comme étant celles de la raison ne sont pas les mêmes partout et ne sont pas immuables, mais que la fonction correspondante reste universelle (elle est attestée par la possibilité de communiquer et par l’égalité des capacités potentielles de chacun : elle reste, en somme, selon le mot de Descartes, « la chose du monde la mieux partagée »).
L’histoire des sciences, et en particulier celle des mathématiques, montre un élargissement sans cesse plus grand de leur champ, de leurs objets, des types de relations entre ces objets et de leurs transformations, des passages d’un domaine des mathématiques à un autre, témoignant pour une unité des mathématiques qui se révèle chemin faisant et qui s’éclaire plus encore après coup. Au soubassement de ces changements se tiennent les structures des rationalités mathématiques qui fondent l’intelligibilité, et c’est la demande d’intelligibilité qui constitue le moteur immanent du progrès des mathématiques. Autant dire que l’élargissement du champ des mathématiques (parmi les sciences) est suscité par des modifications des normes d’intelligibilité qui sont elles-mêmes corrélatives de modifications et d’affinements des formes de rationalité mathématique (et il en va, semble-t-il, de même pour les autres sciences, selon leurs rationalité propres).
La rationalité ne concerne pas seulement la rigueur (qui se tient du côté de la logique), mais aussi l’intuition, par laquelle Poincaré considérait que le monde mathématique a à voir avec le réel[29], et qui est impliquée dans l’invention, sans laquelle il n’y aurait pas de mathématiques. L’intuition permet de « combler l’abîme qui sépare le symbole de la réalité ». Hilbert, Cavaillès, considéraient également l’intuition comme permettant d’atteindre les contenus des mathématiques. Dans la considération des contenus, le logique est débordé par le rationnel, et celui-ci travaille sur des objets (abstraits) donnés dans l’intuition[30]. Cavaillès situait l’assise fondamentale des mathématiques dans leur construction même[31]. Cette construction opère rationnellement, ce qui garantit leur objectivité comme celle du devenir mathématique.
Ces mathématiques, comme contenus de connaissance, portent une nécessité immanente, dont Cavaillès proposait de rendre compte par une philosophie du concept. La question restait cependant posée du rapport entre la philosophie du concept et les conditions de possibilité, dans la structure du rationnel lui-même, de l’élaboration de nouvelles idées théoriques. Je tente, pour notre part, d’y répondre en admettant un développement extensif des formes de rationalité mathématique, qui se transforme tout en gardant sa fonction, c’est-à-dire en maintenant ce qui fait son identité même, mais aux propriétés élargies. Cela garantit une telle conception de la pluralité des rationalités, mathématiques et autres, contre toute espèce de relativisme, en particulier en raison de l’immanence de ce mouvement qui réalise une propriété nécessaire de la raison. Cette considération est étayée sur les leçons de l’histoire des mathématiques elles-mêmes[32]. Soit dit en passant, c’est précisément sur une conception de cette nature que, me semble-t-il, se fonde R. Rashed dans sa pratique et sa méthode de recherche, étudiant la logique des raisons à l’œuvre dans l’histoire des mathématiques, et en faisant un instrument heuristique de découverte en histoire des sciences.
Il en va de manière assez semblable dans le domaine des sciences de la nature, notamment la physique, qui présente probablement ces traits sous la forme la plus simple (et la plus proche dans son expression des mathématiques, surtout pour la physique moderne et contemporaine, d’expression très mathématisée) : l’élargissement de son champ, de ses objets et de ses méthodes est également corrélatif de modifications structurelles des rationalités en jeu. L’un des facteurs de cet élargissement est l’assimilation rationnelle d’éléments d’origine empirique : un fait d’abord constaté mais incompris, inexpliqué, nous devient, par suite d’une assimilation rationnelle, intelligible. On le voit, par exemple, avec (dans le domaine de la modernité) l’attraction newtonienne à distance, qui dérange d’abord, puis devient principe d’explication d’une théorie aussi puissante que la mécanique céleste (notamment aux xixe et xixe siècles). Ce n’est évidemment pas le rationnel qui s’est dissous dans l’empirique, mais le fait ou l’hypothèse empirique qui a changé de nature en devenant rationnel, assimilé par une rationalité constructive qui, ce faisant, change elle-même dans sa forme, tout en gardant sa fonction d’intelligibilité[33].
Sans être exhaustifs, nous pouvons tenter de caractériser quelques uns des facteurs d’évolution des formes de la rationalité, en nous en tenant à l’ordre cognitif, dans le domaine des mathématiques arabes.


5. Problèmes et solutions : figures de la rationalité mathématique

Le champ des sciences arabo-islamiques, en particulier des mathématiques telles qu’elles nous ont été révélées récemment par les travaux de Roshdi Rashed, de ses collègues et de ses élèves, fournit de nombreux cas qui présentent des traits du genre auquel nous venons de faire allusion, et se laissent assez facilement analyser de la manière indiquée.
J’en choisirai deux, particulièrement illustratifs des rapports entre des découvertes fondamentales, structurelles, et l’élargissement des formes de rationalité mathématique.
Le premier exemple concerne l’optique d’Ibn al Haytham (Alhazen). Ce savant des xe-xie siècles inaugura une nouvelle méthode de penser le rapport des mathématiques et de la physique, ou du moins cette part de la physique qu’est l’optique, lorsqu’il formula le principe de la propagation rectiligne de la lumière, « pour la première fois (...) en toute généralité » selon les mots de R. Rashed qui lui a consacré de pénétrantes études et nous a donné des éditions commentées de ses textes, avec traduction en français[34]. Ibn al Haytham se proposait, dans son Livre de l’Optique[35], de « composer mathématiques et physique », au niveau du monde sublunaire, et il y parvint en mettant en évidence les conditions physiques requises pour traiter géométriquement les rayons lumineux. Pour ce faire, il procéda à ce que R. Rashed décrit à juste titre comme un « renversement du point de vue traditionnel », en remettant en cause la doctrine en vigueur du « rayon visuel », qui constituait une sorte d’obstacle épistémologique à la prise en considération du caractère physique et de la matérialité de la lumière, et de sa propagation en ligne droite. Il considéra la lumière non plus comme une émanation de l’œil, comme dans la doctrine traditionnelle depuis l’Antiquité du « rayon visuel », mais comme une entité (dans son vocabulaire aristolélicien, une « qualité substantielle » ou « accidentelle »), qui se propage des corps lumineux ou illuminés vers l’œil[36].
Ibn al Haytham dégageait ainsi le problème de la propagation de la lumière de celui de la vision, en séparant les conditions respectives de l’une et de l’autre. Il était dès lors possible de formuler les propriétés qui font la matérialité de la lumière (de l’« agent lumineux ») et les caractères de sa propagation, de sa réflexion, de sa réfraction, en faisant appel à des notions comme celles de corps opaques ou transparents, etc. Ibn al-Haytham caractérise la lumière comme matière « de feu », en invoquant l’expérience de l’inflammation d’objets sur lesquels elle est concentrée. C’est aussi l’expérience qu’il invoque pour conclure à sa propagation rectiligne (rais de lumière sortant d’une ouverture, visée à l’aide d’une règle le long d’un rayon lumineux), et aux propriétés de la réflexion par les corps opaques et de la réfraction dans les corps transparents[37].
En quelque sorte, c’est la formulation (argumentée rationnellement et sur une base expérimentale) du caractère physique de la lumière, et indépendant de la vision, qui a permis à Ibn al Haytham de formuler une optique qui est en même temps physique et géométrique. L’optique physique fournit le support matériel de l’optique géométrique et en garantit la légitimité. R. Rashed indique que, dans cette nouvelle conception, « le rapport entre géométrie et optique est un isomorphisme de structure, et nullement une synthèse » comme on le concevait avant ce savant. « Désormais », écrit-il, « l’optique géométrique peut être interprétée en termes d’une optique physique qui assure l’existence et l’indépendance de l’agent lumineux et fonde ses propriétés »[38]. Les propriétés de la lumière sont désormais posées comme étant de nature mécanique, dynamique, et son mouvement conçu en analogie avec celui d’un corps grave : c’est par ce côté, et par la réflexion et la réfraction de la lumière (dont les caractéristiques, également étayées sur l’expérimentation, sont interprétées en analogies aux chocs et aux mouvements des corps), que les mathématiques sont introduites en optique physique (même si cet usage de l’analogie reste ici assez flou).
On ne saurait je crois, surestimer l’importance de l’innovation introduite par Ibn al Haytham en optique. C’est bien d’une véritable révolution de la pensée de l’optique qu’il s’agit, et l’on pourrait sans doute à bon droit qualifier le changement de perspective qu’il introduit de « copernicien », et parler de « révolution copernicienne » (avant la lettre), bien que le terme n’ait pas été, à ma connaissance, employé à son égard. On y trouve le même décentrement par rapport à l’homme, observateur ou sujet de la connaissance, avec la mise à distance de l’objet étudié comme autonome, la soumission argumentée à des lois mathématiques, et l’ouverture d’un nouvel univers pour la pensée scientifique, avec les innombrables conséquences qui en résulteront...
Le commentaire que l’on peut en faire du point de vue de la question de la rationalité s’impose de lui-même. Par delà la levée d’un « obstacle épistémologique » (qui ne peut être jugée qu’a posteriori), on constate, dans les modalités de cette pensée en acte, un élargissement de la perspective qui dégage, en le formulant comme tel, un objet de science dans sa matérialité et dans son autonomie, et en même temps dans sa capacité à être étudié et décrit, y compris à être conçu selon la géométrie, comme on le fait des corps par leurs figures, tout en ignorant quelle est exactement sa nature physique substantielle ou accidentelle... Autrement dit, une forme nouvelle de rationalité se fait jour, qui rend possible la pensée d’une optique physique (à travers la matérialité du rayon lumineux et les propriétés des corps qui lui sont associés) concomitante d’une optique géométrique, dont elle constitue, en quelque sorte le support.
J’emprunterai le second exemple à l’histoire des mathématiques, et au même Ibn al Haytham, qui fut véritablement un savant universel, de la carrure des plus grands. Cet exemple se rapporte à un autre facteur d’évolution de la rationalité, dont on trouverait d’autres cas pour d’autres problèmes et d’autres moments historiques (y compris en dehors du seul domaine des mathématiques), à savoir la résolution de problèmes qui paraissaient insolubles tant que l’on n’avait pas dépassé les limites étroites de leur formulation en un état cognitif donné. L’histoire des mathématiques en fourmille d’exemples, des nombres irrationnels des Grecs aux fonctions fuchsiennes de Poincaré, ou à la manière de ce dernier de « penser autrement » les solutions des systèmes d’équations différentielles (en développant l’« approche qualitative » des problèmes par l’étude du comportement des solutions et des familles de solutions). On en trouve aussi maint exemples dans le développement des mathématiques arabes. Dans telle étude des problèmes solides dont il cherche les solutions par l’intersection de coniques, où il s’interroge sur l’existence des solutions en étudiant le comportement à l’infini (c’est-à-dire les asymptotes de l’hyperbole utilisée), Ibn al-Haytham fait montre d’une inventivité d’une nature assez semblable, qui modifie les données initiales du problème en les transformant, ouvrant ainsi la voie de solutions inédites.
Ibn al-Haytham aborde ces problèmes dans ses deux traités successifs L’analyse et la synthèse et Les Connus, que R. Rashed examine dans son étude de 1991 sur « L’analyse et la synthèse selon Ibn al Haytham »[39]. Il a prolongé tout récemment ce travail par un autre, sur « L’art analytique : entre histoire et philosophie des mathématiques », qui prend en compte les travaux de disciples et successeurs d’Ibn al-Haytham, dont il a entre-temps, découvert, étudié, traduit et publié les œuvres [40]. Dans son premier essai, R. Rashed étudie la pratique mathématique d’Ibn al-Haytham et de ses prédécesseurs de langue arabe[41], qui traitaient de problèmes non constructibles à la règle et au compas, mais pouvant l’être à l’aide de coniques ou de courbes transcendantes. Jusqu’alors la construction par règle et compas assurait d’elle-même l’existence, qui était « en quelque sorte définie par la construction »[42]. Mais le dépassement de la construction géométrique des points d’une courbe à l’aide de la règle et du compas dissociait ces deux notions mathématiques, que la nouvelle situation rencontrée obligeait désormais à distinguer.
C’est chez Ibn al-Haytham qu’apparaît la nécessité de justifier l’existence d’une solution après avoir résolu la construction, de « transformer la construction en preuve logique d’existence ». Cela demandait de recourir à des considérations sur les « propriétés primordiales des courbes », qui relèvent d’une géométrie de situation, d’une « proto-topologie »[43]. De tels objets sont des « objets inexprimables » du point de vue mathématique même et du point de vue méthodologique, « car ces propriétés primordiales doivent être ou bien postulées, ou déduites d’autres propriétés elles-mêmes postulées »[44] (voir la solution de pbs solides par Ibn al-Haytham, évoqués plus haut). Autrement dit, il fallait inventer autre chose que ce que l’on connaissait en mathématiques.
C’est ce qui ressort clairement des analyses qu’en donne R. Rashed, notamment dans le texte sur « L’analyse et la synthèse selon Ibn al-Haytham »[45]. Il montre comment cette innovation met en jeu de nouvelles notions - qui sont en fait des concepts -, comme l’intérieur et l’extérieur d’une courbe, la concavité ou la convexité, le comportement asymptotique, ainsi qu’une notion implicite mais effective, celle de continuité. Cette dernière est mise en œuvre par un recours au mouvement en géométrie, posé dès la définition même des objets. Il s’agit donc d’une pensée différente des objets de la géométrie, qui revient, selon notre perspective, à modifier le substrat du rationnel qui fonde l’intelligibilité des figures et de leurs propriétés. Si le mouvement coordonné (à vitesse uniforme selon deux directions) par lequel on construit les courbes est ainsi amené à pénétrer « les notions primitives de la géométrie », c’est en raison de l’exigence posée que les objets de la géométrie sont invariants dans les transformations dues au mouvement, ce qui leur confère un statut d’existence[46].
C’est ainsi, par exemple, qu’Ibn al-Haytham définit la droite comme « la ligne telle que si on fixe deux quelconques de ses points et si on la fait tourner, sa position ne change pas ». Un effet de cette introduction effective de la continuité par le mouvement est de l’amener à utiliser des « propriétés appartenant à une géométrie de situations, ou [...] propriétés topologiques », selon les termes de R. Rashed. Ces nouvelles approches qui correspondent à une nouvelle configuration d’intelligibilité entraînent des conséquences sur les problèmes abordés, mais aussi, plus généralement, une autre manière de penser en géométrie avec des effets durables, tels que le rôle du concept de continuité, mais peut-être aussi l’idée d’invariance des figures dans les transformations d’espace.
« Le connu chez les mathématiciens est ce qui ne change pas », exposait Ibn al Haytham, et l’existence était assurée par l’invariance dans de tels mouvements. Il faudrait aussi se reporter à d’autres textes d’Ibn al Haytham, ses Commentaires sur les postulats des Eléments d’Euclide et ses Doutes sur la résolution des doutes dans les Eléments, cités par Boris A. Rosenfeld et Adolf P. Youschkevitch, dans le chapitre sur la géométrie de l’Histoire des sciences arabes[47]. Dans le second de ces textes, Ibn al Haytham écrit, en se référant au premier : « Nous nous sommes assurés dans les Commentaires sur les postulats, de l’existence mathématique des quantités telles que les solides, les surfaces et les lignes ; ils existent dans l’œil de l’esprit et cette existence se fait en faisant abstraction des corps palpables ». Et : « Les choses qui existent en imagination existent vraiment et absolument, car la forme qui se façonne elle-même dans l’imagination est réelle puisqu’elle ne disparaît ni ne change. » Cette autre façon de penser l’existence mathématique est évidemment corrélative d’implications philosophiques, et concerne directement la rationalité mathématique sous-jacente à ces approches.
Il n’est pas exclu de penser que cette manière d’aborder la géométrie en relation au mouvement aura eu une influence sur la postérité, d’une part par son effet sur la pensée du mouvement en tant que tel, qui fait intervenir le temps (déplacements dans l’espace suivant le temps), et d’autre part par sa distinction ultérieure d’avec les déplacements seulement spatiaux à quoi s’en tiendraient les considérations de la géométrie proprement dite. L’idée de formuler la continuité par le mouvement serait centrale dans l’élaboration par Newton de sa géométrie temporelle infinitésimale, la doctrine « des premières et dernières raisons des grandeurs », équivalent géométrique de sa méthode des fluxions mise en œuvre pour les problèmes de mécanique[48]. L’effet de cette innovation newtonienne devait ainsi être double : la formulation explicite de la mécanique comme science du mouvement des corps dans l’espace et dans le temps, et la spécification ultérieure a contrario de la géométrie indépendamment des variations temporelles. Ces effets seraient pleinement pris en compte au xviiie siècle, comme on le voit, notamment, dans les considérations de d’Alembert, tant dans son Traité de dynamique que dans ses articles de l’Encyclopédie.
Un des traits caractéristiques de l’innovation que constituent ces nouveaux concepts mis en œuvre en géométrie, c’est leur cohérence les uns vis-à-vis des autres et par rapport aux différents problèmes abordés, dans tout le champ mathématique concerné, dépassant la pensée d’un seul auteur. (Je renvoie ici à quelques éléments évoqués au début). La notion de convexité, par exemple, tient un rôle fondamental aussi bien chez Ibn al-Haytham que chez al-Tusi, guidant ce dernier vers l’étude des maxima et minima des courbes : en introduisant les transformations affines, il se trouva en mesure d’écrire pour la première fois la forme de ce qui devait être plus tard conceptualisé comme la dérivée[49]. Cette cohérence signale l’aspect véritablement systémique de cette nouvelle pensée géométrique, aspect qui nous renvoie aux soubassements mêmes de cette pensée, c’est-à-dire à la structure de la rationalité qui permet de la concevoir : il fallait bien que cette structure se modifie en accompagnant le travail de création des nouveaux concepts qui autorisaient une meilleure intelligibilité avec la maîtrise des problèmes considérés.
Former de telles notions, c’était penser l’impensable et en même temps le fonder, comme le laisse entendre la co-formulation de l’existence et de la construction des objets considérés, objets inexprimables jusqu’alors. Cette opération s’accompagne de modifications de l’intelligibilité qui la rendent effectivement possible, et qui s’expriment directement par « une autre manière » de caractériser l’existence des solutions mathématiques..
Il n’est pas très étonnant, dès lors, que ces innovations de structure en ce qui concerne la connaissance, qui affecte la rationalité mathématique correspondante, se trouvent réfléchies dans la pensée de l’auteur lui-même en considération de portée générale et méthodologique. C’est, selon R. Rashed, l’intérêt des mathématiciens de cette période, et notamment d’Ibn al Haytham, pour les « problèmes inconstructibles » (à la règle et au compas), qui porte ce dernier vers la question de l’analyse et de la synthèse. « Les « connus » désignent des propriétés invariables, indépendamment de la connaissance que nous en avons. (...) [Ibn al Haytham écrit aussi dans L’Analyse et la synthèse] que le but de l’analyste est précisément d’aboutir à ces notions connues, et que c’est seulement lorsqu’il atteint ces notions que sa tâche s’achève et que la synthèse ppeut être engagée. (...) La discipline géométrique qui porte sur “les connus” semble donc être destinée à relier les chapitres particuliers de la géométrie, ce qui la rend plus générale et plus substantielle que chacun de ces chapitres ». Cette discipline des « connus » dessine avant l’heure des notions comme la géométrie descriptive, la géométrie des coordonnées, la proto-topologie. Ainsi, l’analyse et la synthèse (comme métamathématique et perspective philosophique) se fonde sur une discipline mathématique dont est esquissée la nécessité, aux yeux d’Ibn al Haytham. Telle est la conclusion de l’article de 1991[50]. Mais il est indiqué aussi qu’elles correspondent à une question plus générale, posée par d’autres mathématiciens et philosophes, aspect que développe la conférence de 2002 (« L’art analytique : entre histoire et philosophie des mathématiques »), à la lumière de l’étude de nouveaux textes révélés et examinés depuis, d’autres mathématiciens, comme Ibn Sinan, et de la position propre d’Ibn al Haytham par rapport à ceux-ci. (Il s’agissait de l’extension de l’analyse et de la synthèse au-delà de la seule géométrie).


5. Remarques de conclusion.

Un autre facteur d’évolution de la rationalité à considérer serait la réorganisation d’un corpus de savoir rationnel en fonction de l’acquisition de nouvelles connaissances. De telles réorganisations sont marquées ici encore, et de manière flagrante, par leur caractère systémique qui, comme dans le cas de figure précédent, laisse directement voir que c’est la rationalité elle-même qui prend en charge, par sa propre réorganisation, ces changements conceptuels et théoriques.
Des exemples de réorganisations de cette nature nous sont également proposés dans le champ des mathématiques arabes, par exemple lorsque l’algèbre, l’arithmétique, la géométrie se rencontrent et se nourrissent mutuellement, ces rencontres et nutritions mutuelles s’étendant également à l’optique, à l’astronomie et à la statique – plus tard, à la mécanique et aux autres sciences physiques.
Il est possible de concevoir, par la connaissance historique des faits de science indiqués et de nombreux autres semblables, que les changements de concepts et de représentations, que l'on peut ramener au niveau de l'entendement, par le jeu des objets et des opérations, correspondent à des élargissements successifs des éléments de rationalité dans la pensée, qui permettent d'assimiler l’expérience des données, tant celles des formes (ou objets formels) que celles du monde de l'empirie.
La rationalité, qui caractérise les modalités de l'approche scientifique et les contenus de science, n'est pas uniforme et univoque pour tous, même dans la perspective d'un unité et d'une universalité de la raison humaine. Le rationnel n'est pas univoque et déborde largement le logique ; il peut prendre, dans les modalités de la compréhension, appui sur l'intuition intellectuelle, qui n’est pas formulable en termes explicites, et qui porte sur des « conditions initiales » intellectuelles (pour employer une métaphore malgré tout parlante) qui sont très différentes selon chacun. On constate (par exemple, par des études comparatives sur la diversité d'approches d'un même problème scientifique à une époque donnée) l'existence, dans l'activité et la pensée scientifique, de styles propres à chaque savant, à chaque chercheur, correspondant à différentes manières d'assimiler les savoirs disponibles ou reçus et de concevoir et formuler les problèmes à résoudre. Cette diversité de styles correspond à différentes manières de comprendre l'ensemble des aspects d'un champ scientifique donné, de s'en donner l'intelligibilité, et d’exercer ses capacités créatrices.
Cette diversité pose le problème de l'objectivité et de l'unicité de la connaissance scientifique : pour la connaissance acquise, certes, mais surtout dans la mesure où elle pointe vers son futur. Ce futur est non déterminé, ce qui laisse devant la pensée objectivante la marge d'une ouverture, parfois béante, à ce qui n'est pas encore connu.
Il reste, malgré les nombreuses question non résolues sur ce thème, que le rationnel, même différent, modifié, nourri d’éléments venus du monde empirique, garde la capacité d'être reconnu pour tel (rationnel), moyennant des traductions de l'une à l'autre de ses formes. Et que c’est cette propriété qui donne la possibilité de décrire et de communiquer les connaissances scientifiques acquises, y compris quand nous tentons de comprendre les œuvres de science écrites dans un tout autre contexte historique, et que nous éprouvons, selon les jugements de notre propre entendement, que nous comprenons leurs raisons.


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[1] équipe REHSEIS (UMR 7596), CNRS et Université Paris 7-Denis Diderot, Centre Javelot,
F- 75251 Paris-Cedex 05. Courriél : paty@paris7.jussieu.fr
[2] Michel Paty, La tradition mathématique arabe, Archives de Philosophie 50, 1987 (cahier 2, avril-juin), 199-217 (Paty [1987]) ; Repris dans M. Paty, L’analyse critique des sciences, ou le tétraèdre épistémologique (sciences, philosophie, épistémologie, histoire des sciences), L'Harmattan, Paris, 1990 (Paty [1990a]), chapitre 6, p. 87-104.
[3] J’avais publié l’année précédente, dans la revue La Recherche, un article plus résumé sous le titre « La tradition retrouvée des algébristes arabes », qui avait suscité une correspondance polémique de la part du P. Pierre Costabel, puis ma réponse : La Recherche, 16, 1985 (n° 167, juin), 820-821 suivi d'une correspondance avec P. Costabel, ibid. (n° 169, septembre), 1103-1104) (Paty [1985]).
[4] Voir, notamment, Gilles Gaston Granger, Essai d’une philosophie du style, Armand Colin, Paris, 1968 (Granger [1968]) ; M. Paty, L'endoréférence d'une science formalisée de la nature, in Dilworth, Craig (ed.), Intelligibility in science, Rodopi, Amsterdam, 1992, p. 73-110 (Paty [1992]).
[5] M. Paty, L’analyse critique des sciences, ou le tétraèdre épistémologique, op. cit. (Paty [1990]), chapitre 4.
[6] M. Paty, Intelligibilité et historicité (Science, rationalité, histoire), in Saldaña, Juan José (ed.), Science and Cultural Diversity. Filling a Gap in the History of Science, Cadernos de Quipu 5,México, 2001, p. 59-95 (Paty [2001]) ; Des fondements vers l'avant. Sur la rationalité des mathématiques et des sciences formalisées, Contribution au Colloque International «Aperçus philosophiques en logique et en mathématiques. Histoire et actualité des théories sémantiques et syntaxiques alternatives», Nancy, 30 sept.-4 oct. 2002, sous presse (Paty [à paraître b]) ; La raison créatrice et le problème des fondements de la connaissance, en préparation (Paty [en prép.]).
[7] R. Rashed, Problems of the transmission of greek scientific thought into arabic : examples from mathematics and optics, History of Science, 27, 1989, 199-209 (Rashed [1989]) ; repris dans R. Rashed, Optique et mathématique, Recherches sur l’histoire de la pensée scientiifique en arabe, Variorum, Ashgate Publ., Aldershot (UK), 1992 (Rashed [1992]), chap. 1.
[8] Roshdi Rashed, La périodisation des mathématiques classiques, Revue de synthèse, 4è série, n° 3-4, 1987, 349-360 (Rashed [1987]) ; repris dans R. Rashed, Optique et mathématiques, op. cit. (Rashed [1992]), chap. 8.
[9] R. Rashed, Optique et mathématiques, op. cit (Rashed [1992]), chap. 8.
[10] R. Rashed, Optique et mathématiques, op. cit (Rashed [1992]), chap. 4.
[11] Jean D’Alembert, Essai sur les éléments de philosophie ou sur les principes des connaissances humaines, Paris, 1758 ; Ré-éd., suivie des Eclaircissements, par Richard N. Schwab, Olms Verlag, Hildesheim, 1965 (D’Alembert [1758]1965), p. 465. Voir aussi « Eclaircissement. De l’application de l’algèbre à la géométrie », in ibid., p. 341-345.
[12] D’Alembert précise que « les différents sujets de physique ne sont pas également susceptibles de l’application de la géométrie » (ibid., p. 468). Sur l’abstraction des objets, voir l’analyse donnée, dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie, de la genèse des connaissances par abstraction : D’Alembert, Discours préliminaire de l'Encyclopédie, 1751 ; éd. introduite et annoté par Michel Malherbe, Vrin, Paris, 2000 (d’Alembert [1751]).
[13] Jean d'Alembert, Traité de dynamique, David, Paris, 1743 ; 2ème éd., modif. et augm., David, Paris, 1758 (D’Alembert [1743]) ; M. Paty, L’élément différentiel de temps et la causalité physique dans la dynamique de Alembert, in Allard, André & Morelon, Régis, et al. (eds.), Livre de Mélanges en hommage à Roshdi Rashed (Paty [à paraître,a])
[14] Respectivement : L’analyse et la synthèse selon Ibn al-Haytham (in Optique et mathématique, op. cit. (Rashed [1992]), chap. 14, reprenant un article de 1991), et « L’Art analytique : entre histoire et philosophie des mathématiques », Conférence donné à Paris (Rashed [2002]).
[15] In : Optique et mathématique, op. cit. (Rashed [1992], chap. 15).
[16] In :R. Rashed, Entre Arithmétique et algèbre. Recherches sur l’histoire des mathématiques arabes, Belles Lettres, Paris, 1984 (Rashed [1984a]).
[17] In R. Rashed, Entre Arithmétique et algèbre, op. cit. (Rashed [1984a]). Voir M. Paty, L’analyse critique des sciences, op. cit. (Paty [1990]), p. 79-86 ; L'universalité de la science. Une idée philosophique à l'épreuve de l'histoire, Mâat. Revue Africaine de Philosophie, 1ère année, n° 1, avril 1999, 1-26 (Paty [1999a]) ; version en angl. : Universality of Science : Historical Validation of a Philosophical Idea, as Chapter 12, in Habib, S. Irfan and Raina, Dhruv (eds.), Situating the history of science : Dialogues with Joseph Needham, Oxford University Press (New Delhi), 1999, p. 303-324 ; Comparative history of modern science and the context of dependency, Science, Technology and Society. An International Journal Devoted to the Developping World (New Delhi, Sage Publications), vol. 4, 2 (july-dec.) 1999, 171-204 (Paty [1999b]).
[18] Roshdi Rashed, Entre Arithmétique et algèbre, op. cit. (Rashed 1984])
[19] Thomas Kuhn, The structure of scientific revolutions (1962) ; Second ed. enl., University of Chicago Press, Chicago, 1970. Trad. fr., La structure des révolutions scientifiques, Flammarion, Paris, 1972 (Kuhn[1962]1970).
[20] Je renvoie à quelques considérations esquissées à ce propos dans M. Paty, (Paty [1999]).
[21] R. Rashed, édition des Oeuvres mathématiques de Sharaf-al-Din-al-Tusi, Les Belles Lettres, Paris, 1986, 2 vols. (Rashed [1986]).
[22] J’ai évoqué cet exemple, emprunté aux travaux de R. Rashed, dans M. Paty, L’analyse critique des sciences, op. cit. (Paty [1990]), p. 19, 20. Et l’exemple suivant, ibid., p. 89-90.
[23] R. Rashed, Entre arithmétique et algèbre, op. cit. (Rashed [1984a]) (souligné par moi, MP). Je ne reviens pas sur ces considérations, évoquées précédemment dans M. Paty, L’analyse critique des sciences, op.cit., p. 89-101.
[24] R. Rashed, édition des Oeuvres mathématiques de Sharaf-al-Din-al-Tusi, op. cit. (Rashed [1986), vol 1, p. xiv ; La périodisation des mathématiques classiques, Revue de synthèse, 4è série, n° 3-4, 1987, 349-360 (repris dans R. Rashed, Optique et mathématique, op. cit. (Rashed [1992]), chap. 8.
[25] Jean Ladrière, Rationalité, in Lecourt, Dominique (éd.), Dictionnaire d'histoire et de philosophie des sciences, Presses Universitaires de France, Paris, 1999, p. 799-801 (Ladrière [1999]).
[26] Gaston Bachelard, Le rationalisme appliqué, Presses Universitaires de France, Paris, 1949 ; 1970 (Bachelard [1949] ; Jean Ladrière, Les enjeux de la rationalité. Le défi de la science et de la technologie aux cultures, Aubier-Montaigne/Unesco, Paris, 1977 (Ladrière [1977]).
[27] Jean Ladrière, Rationalité, op. cit. (Ladrière [1999]).
[28] Ibid.
[29] Immanuel Kant, Die Metaphysik der Sitten (1797) ; trad. fr. et notes par Joëlle et Olivier Masson, Métaphysique des mœurs, in I. Kant, Oeuvres philosophiques, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard, Paris, vol. 3, p. 447-791 (Kant [1797]).
[30] Henri Poincaré, La logique et l’intuition dans la science mathématique et dans l’enseignement, L’Enseignement mathématique 1, 1889, 157-162 (Poincaré [1889]) ; repris dans H. Poincaré, Oeuvres, Gauthier-Villars, Paris, 11 vols., 1916-1965, vol. 11, p. 129-133.
[31] M. Paty, Des Fondements vers l’avant. Sur la rationalité des mathématiques et des sciences formalisées, Contribution au Colloque International «Aperçus philosophiques en logique et en mathématiques. Histoire et actualité des théories sémantiques et syntaxiques alternatives», Nancy, 30 sept.-4 oct. 2002, sous presse (Paty [à paraître,b]).
[32] Jean Cavaillès, Remarques sur la formation de la théorie abstraite des ensembles (Thèse complémentaire, 1937, 1e éd, 1938), in J. Cavaillès, Philosophie mathématique, Hermann, Paris, 1962, p. 23-174. (Cavaillès [1938]). Voir aussi Gilles Gaston Granger, Science, langage, philosophie, Coll. « Penser avec les sciences », EDP-Sciences, Paris, 2003 (Granger [2003]), chapitre 8.
[33] M. Paty, Des Fondements vers l’avant, op. cit.
[34] M. Paty, Intelligibilité et historicité (Science, rationalité, histoire), in Saldaña, Juan José (ed.), Science and Cultural Diversity. Filling a Gap in the History of Science, Cadernos de Quipu 5,México, 2001, p. 59-95 (Paty [2001]).
[35] R. Rashed, Lumière et vision : l’application des mathématiques dans l’optique d’Ibn al-Haytham (texte de 1978), repris dans R. Rashed, Géométrie et optique, Variorum, Ashgate Publ., Aldershot (GB), chap. 4, p. 19-44. Voir aussi : R. Rashed, Optique géométrique et doctrine optique chez Ibn al Haytham (1970), repris dans R. Rashed, Géométrie et optique, op. cit., chap 2, p. 271-298.
[36] Ibn al Haytham, Le Livre de l’Optique (dans lequel il développait par ailleurs une doctrine de l’œil et de la vision) ; Discours de la Lumière, trad. fr. par R. Rashed in : R. Rashed, Le “Discours de la Lumière” d’Ibn al Haytham (1968), repris dans R. Rashed, Géométrie et optique, op. cit., chap 2, p. 197-224 (Rashed [1992]), chapitre 5.
[37] R. Rashed, L’analyse et la synthèse selon Ibn al Haytham, repris dans Géométrie et optique, op. cit., chapitre 14, p. 134.
[38] Ibn al Haytham, Discours de la Lumière, op. cit.
[39] R. Rashed, Lumière et vision : l’application des mathématiques dans l’optique d’Ibn al-Haytham, initialement paru dans R. Rashed (éd.), Mathématiques et philosophie, de l’Antiquité à l’âge classique, livre d’hommage à Jules Vuillemin, Paris, 1991 ; repris dans R. Rashed, Géométrie et optique, op. cit. (Rashed [1992]), chapitre 4,p. 27, 28.
[40] R. Rashed, L’analyse et la synthèse selon Ibn al Haytham (1968), repris dans R. Rashed, Géométrie et optique, 1992, chapitre 14, p. 131-149 (p. 134).
[41] R. Rashed, L’art analytique : entre histoire et philosophie des mathématiques, Conférence au Congrès conjoint de la Division d’histoire des sciences (DHS) et de la Division de logique, méthodologie et philosophie des sciences (DLMPS) de l’Union internationale d’histoire et philosophgie des sciences (UIHPS), « Vers une nouvelle alliance ? », Paris, 3-5 octobre 2002.
[42] R. Rashed, L’analyse et la synthèse selon Ibn al Haytham, op. cit., chap. 14, p. 134.
[43] R. Rashed, ibid.
[44] R. Rashed, ibid.
[45] R. Rashed, ibid., p. 135.
[46] Ibid.
[47] Cet aspect est surtout développé par Ibn al-Haytham dans son traité sur les Connus.
[48] Roshdi Rashed et Régis Morelon (éds.), Histoire des sciences arabes, Seuil, Paris, 3 vols, 1997, vol. 2, p. 135 (Rashed et Morelon [1997]).
[49] Newton, Isaac, Philosophiae Naturalis Principia Mathematica, London, 1687 ; 2ème éd., 1713 ; 3ème éd., 1726 ; éd. par Alexandre Koyré et I. Bernard Cohen, Cambridge University Press, Cambridge, 1972 (Newton [1687]1726), Livre 1. Il est intéressant de remarquer que Newton se réfère à la question de l’analyse et de la synthèse pour justifier son approche des problèmes de la mécanique (ibid, préface).
[50] Al-Tusi, Oeuvres mathématiques, édition et trad. fr. R. Rashed, Belles Lettres, Paris, 1986, 2 vols, et commentaires de R. Rashed (Rashed [1986]).
[51] R. Rashed, L’analyse et la synthèse selon Ibn al Haytham, op. cit., p. 143, 146, 147.



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