DOGMA


Sara H. Szabó


Angèle Kremer Marietti: Le kaléidoscope épistémologique d’Auguste Comte Sentiments Images Signes, L’Harmattan, 2007. Paris, 310 p.




Je viens de recevoir cet ouvrage intéressant d’Angèle Kremer Marietti, publié chez L’Harmattan et j’en suis très heureuse. L’auteure bien connue a déjà écrit et publié 37 ouvrages philosophiques en France et aux États-Unis. Á l’instant, j’aimerais présenter cette œuvre au public de Hongrie, aussi bien en hongrois et en français, ainsi qu’au public francophone également. Cet ouvrage a paru dans la collection « Épistémologie et Philosophie des Sciences » dirigée par Angèle Kremer-Marietti qui est l’experte en philosophie mondialement connue.
Comme je suis contente et heureuse de feuilleter ce beau livre, dont le titre contient le mot « kaléidoscope ». Que veut dire ce mot ? C’est ce que je me demande en pensant à un jouet magique qui donne la possibilité de revoir tout à fait autrement les mêmes mosaïques brillantes après les avoir secouées. Larousse en écrit : « un appareil formé d’un tube opaque, contenant plusieurs miroirs disposés de façon que l’objet regardé ou les petits objets colorés placés dans le tube y produisent les dessins symétriques et variés. » [1] En ce qui concerne son étymologie grecque, on retrouve : kalos=beau, lidos= aspect, skopein =regarder ; la traduction française est « suite rapide de sensations vives et variées. » [2] Cette idée a été confirmée par le sous-titre de l’ouvrage : Sentiments Images Signes . Chercheur chevronné de la philosophie d’Auguste Comte, l’auteure pourrait nous faire penser au kaléidoscope aussi bien au sens figuré qu’au sens propre, comme si elle avait choisi les beaux aspects de la philosophie d’Auguste Comte pour en partager les moments joyeux avec ses lecteurs.
Angèle Kremer Marietti avoue elle-même les raisons de la méthode spéciale qu’elle a appliquée ici ; notamment :
« Le kaléidoscope est un modèle de pensée utilisé pour décrire comment de multiples éléments en un nombre fini compris dans une topique finie, peuvent se combiner un nombre indéfini de fois en suivant un simple réagencement du donné. »[3]
Allons-y, commençons à regarder ces images multiples.  Sa première image reflète la vie et les œuvres du philosophe, plus exactement les points tournants de son destin comme ceux de ses œuvres. Je ne savais pas que son premier opuscule  ne fut édité qu’en appendice du second grand ouvrage fondamental, le Système de politique positive[4]. En ce qui concerne le second opuscule, il parut sous la signature de Saint-Simon, qui était alors son maître, et il servit même parmi les sources idéologiques du marxisme, car « Karl Marx dut le lire. » [5] Marx naturellement ne fut pas au courant du nom du véritable auteur, mais il dut apprécier ses pensées de la réorganisation de la société. Pour moi, ce fut le moment de la justice : puisque
je n’ai étudié que l’influence idéologique considérable de Saint-Simon sur Karl Marx. Je n’étais au courant que de la lettre écrite par Engels à Tönnies, dans laquelle Engels ne mentionnait Comte qu’avec un vif mécontentement.
L’auteur m’a confirmé en énumérant les disciples philosophiques d’Auguste Comte en France comme en Angleterre. Mais j’ai pu découvrir un tout à fait nouvel aspect pour moi, quand elle a indiqué qu’il y avait tant de médecins parmi ces derniers.

La deuxième image : « Introduction à la philosophie et à l’épistémologie, » [6] m’a également frappée par son sous-titre faisant de Comte « Un fils de la Révolution française », bien que sa famille fût catholique. Mais il ne faut pas oublier cependant « qu’une nouvelle Terreur anticléricale avait commencé dès l’an VI de la Révolution. » [7] Aussi je veux citer la constatation de l’auteur, à savoir que Comte se souviendra d’une phrase qu’il attribuait à Danton : ‘On ne détruit bien ce qu’on remplace’, phrase qui « annonçait la synthèse de l’ordre et du progrès qui permettrait solidarité et continuité. » [8]
J’ai lu avec une grande curiosité les rapports d’Auguste Comte avec les philosophes précédents « pré-positifs » comme Descartes, Francis Bacon et « positifs » ou « post-positifs » comme Pierre Laffitte. L’auteur analyse les idées de ces philosophes en en soulignant les tendances communes avec les idées d’Auguste Comte. On y peut lire premièrement les positions de Descartes. L’auteur remarque que « Lévy-Bruhl avait souligné le caractère anthropologique commun de Descartes et de Comte. » [9] Le grand chercheur du positivisme, Henri Gouhier, le remarqua aussi: « Il y a une homogénéité entre la philosophie et la science comme dans l’arbre de Descartes. » [10] L’auteur y ajoute l’avis de Pierre Ducassé qui avait écrit à propos de la méthode comtienne. Les traces idéologiques de Francis Bacon sont aussi explicitement considérables, selon l’auteur qui mentionne que Comte le citait souvent dans ses leçons du Cours de philosophie positive. J’ai trouvé la même opinion dans l’article du professeur universitaire József Halassy-Nagy dans le périodique hongrois Association Minerva du numéro de l’année 1926.
Angèle Kremer Marietti présente les débuts des positions positivistes dans l’histoire de la philosophie avec l’entreprise de la géométrie analytique de Descartes, qui convenait à cet idéal quantitatif.(...) La théorie de Bacon affirmait que le savoir, issu de l’expérience scientifique, devenait le pouvoir de la bourgeoisie progressive de l’Europe moderne, comme le prouve la citation baconienne : « scientia et potentia humana in idem coincidunt ».  [11]
Dans un autre aspect du kaléidoscope «épistémologique dont le titre est «De Comte à Laffitte, la Philosophie Première, » l’auteur découvre le lien spirituel du maître à son disciple : « Laffitte a en effet réalisé ce qui, de ce point de vue, resta longtemps en projet chez Auguste Comte. » [12] Laffitte a redécouvert la première loi de la « Philosophie première » : « former l’hypothèse la plus simple en rapport avec l’ensemble des données. » [13] Cette loi exprimée dans le Traité élémentaire de géométrie analytique d’Auguste Comte, est également reconnaissable dans le Système de politique positive.

L’auteur considère que Laffitte était le disciple fidèle de Comte et, comme le bon disciple qu’il était, il continua à élaborer l’idée de son maître en créant un système en deux tomes dont le titre fut la Philosophie Première. Laffitte donna des leçons publiques comme son maître. Malgré tout, le disciple ne fit pas qu’imiter simplement son maître. L’auteur a souligné l’originalité de Laffitte. Du moins : « Le disciple en philosophie a travaillé dans le prolongement immédiat du maître, comme cela se fait généralement dans les sciences, en améliorant certains sillons, en élaborant d’autres perspectives. » [14]
Dans son Kaléidoscope, l’auteur revoit le problème de la méthode dans la section : « Méthode objective et méthode subjective selon Comte » ; autrement dit, elle définit la méthode subjective comme « nécessitée par le mouvement épistémologique conçu dans l’aller-retournant du monde à l’homme et de l’homme au mode. » [15] Quant à la méthode objective, l’auteur l’affirme comme « s’élevant toujours du monde à l’homme. » [16]
L’image suivante est « Auguste Comte et l’Éthique de l’avenir » sur laquelle on peut découvrir l’aspect écologique et la coexistence de la morale avec la politique dans le sens du pouvoir spirituel. L’aspect rhétorique et sémiotique, abordé par Angèle Kremer Marietti, est très original aussi, car le lecteur peut bien constater que Comte était le précurseur de la philosophie du langage, ainsi que de la sémiotique, et aussi l’initiateur de la renaissance du positivisme sous une nouvelle forme, c’est-à-dire dans le néopositivisme du XXème siècle. C’est pourquoi Angèle Kremer Marietti consacre une partie importante de son travail au problème de la philosophie du langage. « La philosophie du langage élaborée par Auguste Comte combine quatre théories différentes : les théories du langage, du signe et de l’art, ainsi qu’une théorie de l’affectivité. » [17] Certains de ces aspects ont pour base les sources des nouvelles branches de la linguistique moderne au XXème siècle.
Un aspect plus concret, le biologique, a été traité par les sections ou images suivantes du kaléidoscope : « L’Homme biologique selon Comte et les théories nouvelles », « La théorie des milieux », « Le biologique et le social chez Auguste Comte », « Le positivisme de Claude Bernard », « Les Concepts de Normal et de Pathologique de Comte à Canguilhem ».
Charles Péguy, le grand poète catholique, connaissait bien le positivisme de Comte appliqué dans la critique littéraire qui lui était contemporaine et il écrit à propos d’une analyse littéraire contemporaine concernant La Fontaine avec quelque ambivalence.  « Dans l’intention d’étudier une fable de La Fontaine, cette méthode préconise de commencer l’analyse des circonstances historiques qui créèrent de toutes pièces l’écrivain et, par la suite, l’œuvre. (...) L’objet de la recherche devrait concerner d’abord et surtout l’encadrement historico-social de l’artiste ou de l’écrivain en tant qu’individu singulier. » [18] Angèle Kremer Marietti souligne que Péguy présente la pratique de la critique de littérature positiviste de son époque avec une attitude critique aiguë. Péguy lui-même aurait pu être d’accord avec les principes de Comte, si la mise au point contemporaine des idées comtiennes avait été meilleure à son époque.
Quant à la conclusion, dont le titre est le même que le sous-titre de l’ouvrage « Sentiments Images et Signes », l’auteur constate que ces trois notions de Comte forment « un rouage essentiel de son système. » [19]
Dans l’Appendice, on peut lire un compte rendu de l’auteur, écrit en 1968, sur l’œuvre de Georges Canguilhem : « De Comte à Bachelard. Pourquoi étudier l’histoire des sciences? »   La question posée a sa réponse même dans le titre, car dans le développement il s’agit bien de l’objet de l’histoire d’une science. La conclusion contient l’avis de Bachelard : la compréhension du temps ainsi secrété par l’histoire d’une science ne peut se produire chez l’historien que par son contact avec la science fraîche[20]. Angèle Kremer Marietti mentionne et cite une autre thèse pour compléter l’image philosophique de Gaston Bachelard par « l’usage simultané de ces trois concepts, celui d’obstacle épistémologique, celui de dialectique et celui de nouvel esprit scientifique » [21] dont la conséquence serait le concept de récurrence historique.
Ce kaléidoscope a pu faire se refléter de nouveaux aspects des perspectives thématiques comtiennes dans le domaine des sentiments, des images et des signes. Notre auteur comme le grand savant a été capable de les faire jouer au regard de ses lecteurs. Son kaléidoscope prouve bien qu’Auguste Comte fut un véritable polygraphe de son époque, et, ce faisant, il put réviser les sciences de son époque, encyclopédiquement et temporellement, car ses idées pourraient servir de base à la naissance de certaines branches de sciences spécialisées nouvelles.
Le lecteur peut tenir lui-même la conclusion, en ce qui concerne la manière dont la science homogène du XXème siècle put devenir hétérogène et variée selon la loi positive de l’évolution ou plutôt celle de la marche de la civilisation. J’ai le grand plaisir de recommander la lecture de cet ouvrage unique d’une philosophe, d’une femme spirituelle aux yeux de lecteurs sensibles à la philosophie et avides d’aventures spirituelles.


Kaposvár, le 17 Août 2007.




















[1] Le Petit Larousse, Grand format, Larousse –Bordas, Paris, 1997. p. 57
[2] Ibidem p. 574
[3] Angèle Kremer Marietti: Le kaléidoscope épistémologique d’Auguste Comte Sentiments Images Signes,
L’Harmattan, 2007. Paris, p. 9
[4] Ibidem p. 13
[5] Ibidem p. 13
[6] Ibidem p. 27
[7] Ibidem p. 27
[8] Angèle Kremer Marietti: Le kaléidoscope épistémologique d’Auguste Comte Sentiments Images Signes,
L’Harmattan, 2007. Paris, pp. 27-28
[9] Ibidem p.35
[10] Ibidem p. 35
[11] Sára H. Szabó: La réception du positivisme d’ Auguste Comte en Hongrie au XIX e et au début du XXe siècles
Dávid Kiadó, Kaposvár, 2007 , pp. 170-171
[12] Angèle Kremer Marietti: Le kaléidoscope épistémologique d’Auguste Comte Sentiments Images Signes,
L’Harmattan, 2007. Paris, p. 64
[13] Ibidem p. 68
[14] Ibidem p. 80
[15] Angèle Kremer -Marietti: Le kaléidoscope épistémologique d’Auguste Comte Sentiments Images Signes,
L’Harmattan, 2007. Paris, p. 87
[16] Ibidem p. 88
[17] Ibidem p. 151
[18] Ibidem pp. 241-242
[19] Ibidem p. 291
[20] Ibidem p. 295
[21] Ibidem p. 296



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