DOGMA


Christian Magnan

(Astrophysicien, Collège de France et Université de Montpellier II,
Courriel : magnan@graal.univ-montp2.fr)

Les gros mensonges des cosmologistes


(Voir les deux essais de Christian Magnan, La nature sans foi ni loi et La science pervertie, L’Harmattan, 2005)



1. La responsabilité des cosmologistes

La responsabilité des scientifiques dans le cheminement de la pensée humaine est d’autant plus grande que parmi toutes les disciplines intellectuelles seule la science possède la capacité de nous ouvrir à la vérité des choses. Mais ce pouvoir ne lui est accordé (et réservé) que si les scientifiques se plient à l’objectivité et à la rectitude d’esprit que réclame l’exercice de leur art. Or les savants modernes sont-ils fidèles à cet impératif d’honnêteté intellectuelle ? En cosmologie, je ne le pense pas. Je vais montrer que dans ce domaine les spécialistes se rendent coupables de véritables mensonges, ceux-ci se révélant d’autant plus dangereux qu’ils sont avidement relayés par les médias tout-puissants et imprègnent gravement les mentalités sans que la juste critique puisse se faire entendre.

J’examinerai successivement les questions suivantes : (i) l’imposture de l’univers infini, (ii) les déclarations sur la platitude de l’Univers et (iii) les annonces sur la présence de vie ailleurs que sur Terre.

2. La science source de vérité

L’enjeu du débat cosmologique est capital puisqu’il s’agit pour l’être humain d’apprécier sa place dans l’Univers et de comprendre (est-ce d’ailleurs possible ?) le sens de la vie. À cause de cette dimension métaphysique, le danger existe pour un chercheur ou une chercheure en cosmologie de se laisser influencer dans son travail professionnel par ses préjugés philosophiques ou religieux. C’est ainsi que je constate actuellement un retour massif et extrêmement regrettable de la doctrine anthropocentrique, selon laquelle la raison d’exister (la « raison d’être ») de l’Univers résiderait dans l’apparition de la vie, celle-ci couronnant une évolution cosmique décrite, façon Teilhard de Chardin, comme une marche intentionnelle et directionnelle vers le progrès. J’appelle volontiers cette nouvelle religion le « pananthropisme » pour souligner le caractère proprement universel que ces savants à mon sens pas assez honnêtes accordent à tort au phénomène humain. Pour étayer leur point de vue, les cosmologistes prétendent s’appuyer sur des résultats scientifiques mais en réalité, comme nous le verrons, ils n’hésitent pas à travestir la réalité.

Si la science est la seule discipline née de la pensée humaine capable de découvrir la vérité des choses, c’est qu’elle seule maîtrise le langage mathématique et l’intègre dans son discours[1]. Nous savons bien que des siècles de discussions philosophiques ou religieuses, notamment avant la révolution copernicienne mais aussi après, ne nous ont rien appris sur la réalité du monde. Pendant ces siècles, on a pu continuer à croire et à enseigner que c’est le Ciel qui tournait autour de la Terre, celle-ci constituant le centre géométrique et spirituel du monde voulu par Dieu comme tel. Ce n’est que lorsque la symbolisation mathématique est apparue comme élément de la pensée scientifique que la vérité a surgi. La science moderne est née à l’époque de Newton (1642-1727) car alors s’est produite la rencontre fécondante entre observation empirique des positions des astres sur le ciel et théorisation mathématique de problèmes de cinématique. C’est ainsi que je situe (de façon symbolique, et par conséquent sans prétention sur le plan historique) la naissance de cette science au moment où (je vais expliquer ce que ceci veut dire) l’ellipse calculée de Newton rejoignit l’ellipse observée de Kepler. Kepler (1571-1630) avait déduit de l’analyse soigneuse des observations de la planète Mars consignées par Tycho Brahé (1546-1601) les lois régissant le mouvement des planètes. En particulier il avait abouti à cette conclusion révolutionnaire que ces astres (« vagabonds » dans leur trajectoire apparente par rapport aux étoiles fixes) décrivaient une ellipse dans leur course autour du Soleil, faisant ainsi sauter le dogme qui cadenassait la pensée scientifique : celui qui prescrivait aux corps célestes de se mouvoir selon des cercles parfaits. Or Newton, grâce aux outils de calcul mathématique qu’il avait forgés, fit une découverte d’une portée immense dans ce contexte en montrant que la trajectoire suivie par un corps soumis à la gravité d’une masse centrale diminuant comme l’inverse du carré de la distance (selon sa fameuse loi de l’attraction universelle) était aussi, précisément, une ellipse (dont la masse attractive était le foyer). C’est cette découverte qu’au mois d’août 1684 il rapporta à Halley (1656-1742), venu l’interroger sur ses travaux.

Ellipse, lois observationnelles de Kepler, force de gravitation universelle variant comme l’inverse du carré de la distance entre les masses attractives : tout se tenait magiquement. Le miracle de la science dans sa conjonction de l’expérience et de la théorie se produisait pour la première fois de l’histoire. La science nouveau-née pouvait prendre son essor. Mais s’il est vrai que depuis l’époque de la révolution copernicienne la science est restée le seul et unique moyen de connaître le monde des choses, il est d’autant plus capital que son intégrité soit préservée. Il est notamment indispensable et urgent de s’attacher à distinguer le vrai du faux dans le flot de découvertes annoncées à grand renfort de publicité, publicité soumise à des lois de rentabilité et donc facilement oublieuse de la probité intellectuelle exigée de la recherche.


3. Le mensonge de l’infini

3.1 Le concept d’un espace fini mais néanmoins dépourvu de bord

Ce n’est que depuis les années 1915-1916, celles qui ont vu l’invention de la théorie de la relativité générale d’Einstein (en réalité une nouvelle théorie de la gravitation, supplantant celle de Newton), que le débat sur les limites de notre Univers a pu prendre une tournure scientifique. Auparavant nos idées sur l’espace étaient insuffisantes, aucune théorie ne permettant de traiter la question de l’étendue du monde, de sorte que toute discussion à ce sujet ne pouvait être que stérile. La découverte stupéfiante et inattendue d’Einstein (selon moi la plus géniale victoire de l’effort de théorisation de l’esprit humain), réside dans la conception d’un modèle d’espace qui quoique dépourvu de limite se révèle bel et bien fini (et quoique fini ne possède pas de limite !).

L’idée de l’espace qui prévalait depuis disons Newton était celle d’une structure préexistante, d’un cadre indépendant dans lequel la matière pouvait trouver place. Cet espace était considéré comme intemporel et illimité. Dans la vision einsteinienne, avant toute chose, l’espace ne peut plus être séparé du temps et c’est uniquement la nouvelle structure combinant les deux entités en une seule, l’espace-temps, qui a un sens physique (c’est-à-dire qui permet d’établir un rapport avec la réalité). Surtout, dans la nouvelle théorie de la gravitation, l’espace-temps n’existe plus indépendamment de la matière mais au contraire fait corps avec elle. Le lieu est indissociable de l’occupante.

Les formules d’Einstein décrivent mathématiquement la symbiose entre espace-temps et matière selon le schéma suivant. C’est l’espace-temps qui guide la trajectoire des points matériels un peu comme si la route était imprimée en son sein (les routes de l’espace-temps suivies par les particules libres s’appellent les « géodésiques »). En retour, c’est la matière qui fixe la texture et la forme de ces routes. On peut énoncer en raccourci que le contenu de matière-énergie détermine la forme de l’espace-temps.

Dans sa description einsteinienne l’espace acquiert des propriétés nouvelles, différentes de celles de l’espace euclidien dans lequel se déroulent nos raisonnements ordinaires. On dit de ce nouvel espace issu de la relativité générale qu’il est « courbe », l’origine de sa courbure résidant dans la gravité des masses qu’il contient. L’univers courbe conçu par Einstein possède la propriété d’être fini mais néanmoins sans limite. On peut explorer un tel univers dans sa totalité, à condition d’en prendre le temps. On peut s’y déplacer dans tous les sens, en visiter toutes les galaxies mais jamais on n’y rencontrera de bord. L’espace est partout le même et ne présente aucune brisure ou interruption. Si on va tout droit on finit par revenir au point de départ, ce qui suggère l’idée d’un « tour du monde » à la Magellan et impose artificiellement à l’esprit l’image d’une sphère. Il faut cependant essayer de se défaire de cette fausse image-là, hélas prégnante : le modèle d’univers en question n’a pas forme de sphère puisqu’une sphère a un bord et que l’univers courbe n’en a pas.

Notre propre Univers est selon toute certitude un univers courbe fini structuré selon ce modèle, même si (nous allons y venir) les observations paraissent présenter encore des points de désaccord avec une théorie qui de toutes façons n’est pas achevée et souffre de faiblesses notoires montrant qu’elle est incomplète (en particulier la description du big bang échappe à toute formalisation). Dans ce schéma, il est capital de prendre conscience que notre monde représente l’entièreté de l’espace. Notre Univers, c’est « partout » et nous ne pouvons pas concevoir un au-delà, un extérieur, dans lequel il serait immergé (selon la fausse image de la sphère). De la même façon, il n’existe aucun temps extérieur à celui de notre monde, de sorte que l’on ne peut pas dire que le big bang, qui remonte à une douzaine ou une quinzaine de milliards d’années (peu importe la valeur exacte), se soit produit à une certaine date sur une échelle de temps qui transcenderait celle que nous connaissons. Le temps est né avec notre Univers et en dehors de celui-ci notre physique ne connaît pas le temps absolu et idéal auquel rapporter la naissance et, plus tard, la disparition de notre monde.

Notre Univers est fini dans le temps et dans l’espace. Mais en même temps, notre Univers c’est partout et toujours.

Remarquons encore qu’un tel modèle d’espace et de temps ne pouvait pas être obtenu par simple déduction logique à partir de notions ordinaires de bon sens. À nouveau seule la science, en la personne d’Einstein et grâce à un appareil théorique puissant, pouvait concevoir des modèles d’univers courbés par la gravitation et apporter une réponse physiquement cohérente à la question des limites de l’Univers. Sans cette théorie, les discussions sur ce point sont vaines.


3.2 Pourquoi avoir introduit l’infini ?

Hélas, les cosmologistes (à une écrasante majorité, mais sans manifester un écrasant supplément d’esprit critique), jetant du même coup le trouble dans ce merveilleux et clairvoyant canevas de pensée, se sont crus avisés d’affirmer que notre Univers serait infini (courbe certes, mais infini). Or cette position n’est pas tenable physiquement, est incohérente sur le plan logique et présente un danger réel pour le matérialisme auquel la science est organiquement attachée[2].

L’argumentation en faveur d’un univers infini n’est pas convaincante. Elle se résume en ces termes : (i) notre Univers satisfait au principe cosmologique, c’est-à-dire qu’il est homogène et isotrope, la densité de matière étant supposée la même en tous ses points, (ii) la mesure du taux d’expansion actuel fournit par une formule simple la valeur actuelle d’un paramètre appelé « densité critique », (iii) si notre Univers est fini la densité de matière actuellement mesurée doit, selon la théorie, être supérieure à la densité critique trouvée en (ii), or (iv) la densité mesurée semble plutôt inférieure à la densité critique donc (v) notre Univers n’est pas fini. Conclusion : notre Univers serait infini.

L’argumentation est faible. Premièrement il n’y a aucune raison d’imposer à l’espace-temps de satisfaire au principe cosmologique. J’estime que l’adhésion à ce principe témoigne d’une démarche d’esprit analogue à la croyance aveugle et sclérosante de nos ancêtres dans la suprématie du cercle, cette figure parfaite sur laquelle les planètes étaient enjointes de se déplacer. Deuxièmement, il est physiquement absurde de penser que la densité de l’Univers puisse être la même sur toute échelle de distance, jusqu’à l’infini (!) : par quel mécanisme physique cette situation pourrait-elle se voir réalisée ? Troisièmement, la détermination de la densité critique et de la densité vraie de matière est sujette à bien des incertitudes, notamment à cause de l’imprécision sur les mesures de distance des galaxies, de sorte que la distinction entre les deux cas fini ou infini est très délicate et non encore pleinement concluante. À ce sujet, il faut savoir (nous le redirons plus bas) que les modèles d’univers prévoient que ces deux densités sont de toute façon voisines. Par conséquent le fait de trouver que le rapport de la densité réelle à la densité critique est voisin de l’unité représente d’abord une éclatante confirmation de la théorie et non la preuve d’une incompatibilité entre modèle et réalité. Selon moi il faut donc se féliciter de l’accord et se garder de faire croire à un désaccord.

De toute façon il est impossible de progresser dans la discussion pour la bonne raison que nous n’avons pas la théorie pour le faire. J’ai suffisamment insisté sur l’impérieuse nécessité de disposer d’un schéma théorique pour ne pas tomber dans le panneau d’un débat stérile et donc inutile. Le fait même de poser la question de savoir si notre univers est fini ou infini est tout simplement la preuve de notre ignorance profonde en matière de confection d’univers. En effet, nulle théorie ne nous dit comment créer un univers et ne nous indique ce qui est permis ou interdit. En l’absence de théorie pour nous guider et de cadre formel pour poser la question, il serait profondément antiscientifique de se contenter de la seule observation pour trancher le débat. La théorisation est absolument nécessaire. L’observation seule ne suffit pas et si la cosmologie devenait une discipline observationnelle, elle perdrait du même coup son statut scientifique en se dépouillant de tout pouvoir de découverte.


3.3 Le modèle infini n’a pas de sens physique

Cependant, bien que le débat ne puisse être que limité et inconclusif, une vérité doit être dite concernant ce problème : un modèle d’univers fini a un sens physique, un modèle infini n’en a pas. Par conséquent en déclarant que notre univers serait infini, les cosmologistes se trompent (et nous trompent) car ils font référence à un modèle qui par construction n’a pas et ne peut pas avoir de rapport avec la réalité, au sens strict de cette expression.

(Avant de poursuivre, j’insiste sur le fait, car un certain expert a jugé bon de traiter de caricaturale ma critique de l’infini, que si je me livre à une attaque en règle de l’introduction de cette notion abstraite en physique, je n’en critique en rien l’usage en mathématique. Il n’y a là aucune contradiction car de façon générale les symboles mathématiques ne se retrouvent pas tel quel dans la réalité. En l’occurrence, l’infini mathématique, cela n’existe pas réellement. Mais pas plus que le nombre pi.)

Premièrement, introduire l’infini dans le monde physique c’est dire que l’inconnaissable absolu existe. Cette proposition est logiquement et scientifiquement inacceptable car elle introduit un arbitraire total dans la réflexion : on pourrait aussi affirmer que Dieu ou les anges, inobservables par essence, existent. Par définition même un univers infini ne pourra jamais être exploré entièrement et à tout moment un volume (lui-même infini) de cet espace échappera à toute détection. Mais affirmer que quelque chose existe alors qu’on sait avec certitude qu’on ne pourra jamais l’observer, est-ce bien raisonnable ? La vérité est que réalité et physique sont organiquement indissociables : la physique s’occupe de la réalité, et la réalité, c’est ce dont s’occupe la physique. Or la physique expérimente et observe. Du coup, ce qui échappe au domaine expérimental (Dieu, les anges, etc.) n’appartient pas à la réalité. Comme le concept d’infini ne relève pas, par essence même, du domaine expérimental et observationnel, il n’a pas de caractère physique. En termes équivalents : l’infini n’appartient pas à la réalité. Peut-on accepter par conséquent que des savants soutiennent leurs balivernes sur l’infini ? Non car on réalise bien que s’en référer à un univers concrètement infini c’est se permettre de dire n’importe quoi. C’est ouvrir grand la porte à des spéculations irrationnelles. Je prétends que la science ne peut pas cautionner un tel discours et que les cosmologistes artisans et partisans de la réalité de l’infini font preuve d’errance de pensée.

Une remarque s’impose. Dans le cas d’un univers fini, il existe (« aussi » pourrait-on dire) des galaxies qui, trop lointaines pour que leur lumière ait eu le temps de nous parvenir, se révèlent momentanément inaccessibles à notre vue. Elles se situent au-delà de la frontière de l’horizon cosmologique, par définition de celui-ci. Cependant le caractère physique de ces galaxies pour l’instant invisibles ne fait aucun doute car on peut toujours imaginer une expérience (certes virtuelle car irréalisable en pratique, mais néanmoins logiquement saine) permettant la détection, à la longue, de toutes les galaxies du cosmos. (De toutes façons, chaque seconde une nouvelle portion d’univers de une seconde de lumière de profondeur, soit 300 000 kilomètres, entre dans notre champ de vision et il serait ridicule de prétendre qu’avant de le voir ce morceau d’univers n’existait pas physiquement !) Le temps au bout duquel notre Univers se dévoilera dans sa totalité se compte vraisemblablement en dizaines ou plutôt centaines de milliards d’années (un nombre à vérifier dans l’avenir !).

Deuxièmement, l’infini c’est le non mesurable. Or pour la physique connaître c’est mesurer, et mesurer c’est connaître. Donc l’infini, qui nie la mesure, n’est pas physique. Sous ses grands airs d’infini le monde est doté de dimensions s’exprimant par des nombres bel et bien finis. Les nombres dits « astronomiques » ont été domptés par la science, et ce n’est pas le moindre mérite de cette dernière d’avoir mesuré ce qui semblait démesuré. Sait-on sur combien d’ordres de grandeur s’étend notre portion visible d’Univers ? Pour venir de la Lune il faut à la lumière une seconde 1/3 tandis que pour venir de l’horizon cosmologique, la plus lointaine frontière accessible, il lui faut entre une douzaine et une quinzaine de milliards d’années (ce nombre représente l’âge de l’Univers, par définition même de l’horizon). Combien de puissances de dix séparent ces deux durées de parcours ? Eh bien, il « suffit » de multiplier dix-sept fois par dix la grosse seconde qui nous sépare de la Lune pour atteindre les limites de la partie visible de notre Univers. (Algébriquement, cela signifie que quinze milliards d’années valent approximativement 1017 secondes.) Je me permets d’utiliser l’expression « il suffit de » pour attirer l’attention sur le fait que l’exposant « 17 » de la puissance de dix mesurant notre Univers en secondes de lumière n’est finalement pas si grand, du moins en tant que quantité considérée en elle-même et pour elle-même. Pourtant le nombre 1017 lui-même dépasse tout entendement par son immensité : il est proprement « inconcevable ».

En vérité, les nombres physiques (c’est-à-dire ceux relatifs à notre monde), les plus petits comme les plus grands, s’écrivent avec des puissances de dix qui n’ont que deux chiffres. Ainsi le nombre d’atomes dans l’Univers (l’un des plus grands nombres que la physique sache écrire) vaut dans les 1080, avec l’exposant de deux chiffres « 80 ». En contradiction avec cette taille effective des nombres physiques, considérer l’infini comme une réalité physique, comme le font nos trop peu vigilants cosmologistes, reviendrait à accepter comme correspondant à la réalité des nombres doués d’exposants de plus de deux chiffres et comportant (l’infini n’a pas de limites) trois, cinq, dix, voire des centaines, des milliers, des millions ou des milliards de chiffres (ou encore plus, arbitrairement plus !). Cette hypothèse est totalement extravagante. Je sais qu’il est difficile pour le profane de juger le degré de déraison (infini !) qu’implique le fait d’envisager des puissances de dix très supérieures à disons la centaine : la raison en est qu’il est malaisé de visualiser l’échelle des puissances de dix tant elle dépasse vite nos mesures humaines. C’est une raison supplémentaire pour condamner ces physiciens du cosmos qui, au lieu de brouiller les pistes, feraient mieux d’expliquer à leurs sœurs et frères humains ce qu’est la mesure physique et comment se comportent les puissances de dix au fur et à mesure qu’on en accroît l’exposant. À propos, à l’époque des calculettes électroniques ou sur ordinateur, essayez donc d’élever 10 à la puissance 999 : une surprise vous attend...

Troisièmement, croire notre monde réellement infini, c’est croire que tout ce que l’on peut imaginer comme événement, à condition qu’il soit conforme aux lois de la physique, se produira (ou s’est déjà produit) certainement quelque part. Et même il se re-produira. Aberrant non ? Il faut pourtant pousser la logique de l’infini jusqu’à son illogisme total. On peut en effet envisager un événement comme la combinaison adéquate d’atomes dotés de telles ou telles propriétés. Cette combinaison de particules élémentaires a une certaine probabilité de se produire. Si cette probabilité est trop faible, on pourrait penser que l’événement considéré ne se produira jamais. Mais si notre monde est infini, cette conclusion n’est plus valable car par définition même, un monde infini dispose de suffisamment d’espace et de temps pour que tout événement, si faible que soit sa probabilité d’occurrence se produise effectivement. J’étais interloqué l’autre soir (le 8 septembre 2005) en entendant par hasard sur France-Info un entretien entre Marie-Odile Monchicourt et l’astronome de renom Joseph Silk[3], ce dernier déclarant, sans émettre la moindre réserve sur la véracité de ses paroles et sans manifester d’étonnement, qu’un univers infini était effectivement toujours suffisamment grand pour que puisse se produire quelque part n’importe quel événement imaginé. Dans son discours, c’était même la différence essentielle avec un univers fini, pour sa part limité dans le nombre des événements qui le constituent. Je frémis de l’impact auprès du grand public de telles affirmations : si un savant le dit, comment ne pas y croire ? Comment contester l’incontestable ? Un bel exemple de beau mensonge. Comme cas particulier de l’existence de toute situation imaginable physiquement, l’infini soulève le paradoxe de la duplication. Si notre monde est réellement infini, alors existe ailleurs une Terre en tous points semblable à la nôtre, avec la même histoire et les mêmes personnages. Cette idée ne relève évidemment plus du domaine de la science.

Si donc les cosmologistes veulent voir leur science rester science, il faut qu’ils abandonnent dare-dare le concept d’univers infini et retournent à leurs chères études, coûte que coûte du côté des modèles finis (bien entendu non homogènes).


3.4 Infini cosmologique, infini mystique

Quatrièmement, l’infini quelque part c’est Dieu, et si la science parle de l’infini comme une réalité elle verse dans ce que j’appellerais le mysticisme cosmique, terrain tristement favorable à l’intrusion du spiritualisme. Dieu, dans notre monde occidental, est éternel et englobe tout. Il est plus grand que toute chose. Faire référence à l'infini, surtout en liaison avec le cosmos, alors que le ciel est facilement, dans l'imaginaire des peuples, le domaine de Dieu, ou des dieux, peut conduire à des dérives spiritualistes évidentes. Si la science banalise l'infini, ou lui apporte sa caution, elle flirte avec des modes de représentation non scientifique du monde et bascule dans la métaphysique. Dans la philosophie de Bouvard et Pécuchet, Flaubert fait rappeler à ce dernier la troisième preuve cartésienne de l'existence de Dieu : « Être fini, comment aurais-je une idée de l'infini ? - et puisque nous avons cette idée, elle nous vient de Dieu, donc Dieu existe ! » Par leur apologie de l’infini, les cosmologistes ne défendent-ils pas du même coup indirectement et sournoisement la thèse de l’existence de Dieu ? Ce qui n’entre tout de même pas dans leurs attributions ! Parallèlement, se parer de l’infini, n’est-ce pas s’investir d’une puissance divine ?

Sérieusement, cette dérive de l’infini est à replacer dans un contexte qui la rend particulièrement malsaine : en effet il faut prendre conscience du fait (qui d’ailleurs me contrarie à l’extrême) que l’astrophysicien ou le cosmologiste jouit dans notre société d’un prestige assuré et d’un pouvoir non contesté. Dans les situations extrêmes, surtout dans un milieu artistique et culturel branché, il bénéficie de l’image d’un gourou salvateur sachant tout sur tout : sur la vie, sur la mort, sur le cosmos, sur l’au-delà et, pourquoi pas, sur Dieu. Le savant anglais que vous connaissez, médiatisé au-delà de toute convenance, n’insinue-t-il pas que la science, sa science, serait sur le point de découvrir la formule magique qui contiendrait le Grand Tout et expliquerait, sans avoir besoin d’un Dieu tout-puissant, toute la réalité cosmique ? (Pour le moins, si on oublie le délai de réalisation, cette possibilité est clairement exprimée, ce qui constitue déjà une prétention inouïe, mais gratuite et fantasmatique.) Ce que je veux dire ici, c’est que les prétentions des astrophysiciens trop complaisants envers l’image que leur renvoie le miroir de leurs admirateurs et admiratrices sont largement injustifiées, car leurs pouvoirs et leurs savoirs ne sont pas à la mesure de ce qu’on leur prête, à preuve les mensonges dont ils se montrent coupables. Le pouvoir dont ils s’investissent est largement usurpé. Utiliser le prestige dont ils jouissent pour tromper les gens est difficile à accepter.

Or dans la panoplie des tromperies et affirmations illégitimes l’infini occupe une place de choix. C’est la notion qui ne souffre pas la moindre contestation. C’est l’introduction de l’invérifiable par excellence. De ce point de vue, l'infini est un refuge fort commode face à des questions embarrassantes puisque, inaccessible par essence, il oppose une fin de non-recevoir trop facile mais radicale à la légitime interrogation. Imposer ce concept sans apporter la preuve de sa véracité et de sa validité (et apporter cette preuve est impossible), c'est user de la contrainte et de l'arbitraire au lieu d'essayer de convaincre et de dialoguer. Parler de l'infini, c'est comme vouloir exercer un pouvoir illusoire, ne reposant sur rien de légitime. C’est une usurpation caractérisée de pouvoir.

4. Notre Univers est-il exceptionnellement plat ?

4.1 Le théorème du jardin

Selon l’une des dernières nouvelles à sensation notre Univers serait « plat » et cette caractéristique serait tellement exceptionnelle pour un univers de big bang (c’est-à-dire un univers né d’un état singulier extrêmement condensé et subissant une expansion) que seul un réglage intentionnel et diaboliquement précis des paramètres physiques universels, en vue par exemple de garantir l’avènement de la vie, pourrait l’expliquer. Après l’infini cet autre mensonge est de taille : la vérité est que tous les univers de big bang paraissent plats au début de leur évolution, je vais dire ce que cela signifie, et le nôtre partage sans surprise ce sort commun : il ne se distingue en rien du lot. Au contraire, s’il ne paraissait pas plat, il contredirait si profondément la théorie du big bang que celle-ci devrait être mise au panier[4].

Bien que la courbure de l’espace-temps soit de nature différente de la courbure du globe terrestre, déjà parce que la courbure de la Terre est celle d’une surface à deux dimensions alors que l’espace de l’espace-temps en compte trois (et ensuite parce que la dimension temporelle intervient aussi dans le formalisme einsteinien) il est néanmoins tout à fait légitime, pour la question qui nous occupe, d’établir un parallèle entre la courbure de l’espace cosmique et la courbure de la surface terrestre. En effet, la courbure se manifeste de la même façon dans l’un et l’autre cas par l’inadéquation des formules euclidiennes qui permettent de résoudre les problèmes d’angles et de distances (par exemple : calculer la longueur du troisième côté d’un triangle connaissant la longueur des deux autres côtés et l’angle qu’ils forment ; calculer la distance mutuelle de deux galaxies connaissant leur distance à la Terre et la distance angulaire les séparant sur le ciel). La présence de courbure nécessite l’emploi d’autres formules que les formules euclidiennes.

Le nœud de la question de la platitude apparente de notre Univers réside dans ce que j’appelle le « théorème du jardin » (une dénomination qui m’est propre). Celui-ci reconnaît simplement que la détection de la courbure de la surface terrestre ne peut se faire que si la portion de surface mesurée est suffisamment grande. Si au contraire cette portion est trop petite les écarts à la géométrie euclidienne seront minimes et la courbure se révèlera indétectable. Ce qu’énonce mon théorème du jardin : « À l’échelle d’un petit jardin, la surface terrestre paraît plate ». C’est exactement la même situation pour l’Univers. Lorsque l’on sonde l’Univers sur une profondeur trop faible, sa courbure est indétectable (c’est-à-dire : les écarts à la géométrie euclidienne sont trop petits pour être mis en évidence) et l’espace paraît plat. (Qu’il soit clair que l’espace, comme la surface terrestre, est courbe à grande échelle ! L’espace ne semble plat qu’à petite échelle, localement, selon d’ailleurs la précision des mesures.)


4.2 Quand un univers atteint-il son « âge adulte » ?

Après cette nécessité de disposer d’un espace suffisamment vaste pour détecter une courbure le deuxième élément fondamental de la discussion est que notre Univers se partage entre une partie visible et une partie invisible. Par conséquent la portion d’espace explorable, mesurable, est imposée : elle se réduit forcément, c’est évident, à la seule partie visible, celle située en deçà de l’horizon.

Tout le problème est alors : la profondeur de cet espace sondable est-elle suffisante pour permettre la détection de la courbure ? Les modèles donnent la réponse : « non » juste après le big bang, « oui » à partir d’un certain degré d’évolution.

Lorsque les univers de big bang naissent, la portion relative d’espace visible autour d’un point est toute petite (et même mathématiquement infiniment petite, ce qui pose d’ailleurs des problèmes conceptuels que nos théories sont incapables de résoudre), trop petite pour que la courbure puisse être décelée. Ce qui se traduit par l’énoncé : à leur naissance tous les univers de big bang paraissent plats. (Nous verrons au paragraphe suivant que cela signifie aussi qu’il est impossible à cette phase de distinguer un univers fini d’un univers infini.) Ensuite, au fur et à mesure que l’univers évolue, en poursuivant l’expansion initiale qui l’anime, la portion relative d’espace visible augmente. Autrement dit l’horizon cosmologique en un point recule (il recule d’une année de lumière en un an !). Cela se comprend puisque, le temps s’écoulant, la durée des trajets de lumière augmente et la lumière, disposant de plus en plus de temps, peut établir une connexion entre des galaxies de plus en plus lointaines les unes des autres. Il va ainsi arriver un moment où l’horizon se trouvera suffisamment loin pour que la courbure universelle devienne enfin détectable.

Cette circonstance se produit lorsque l’univers en question atteint un état d’évolution suffisamment avancé qu’on peut appeler « âge adulte ». Cet âge diffère d’un univers à l’autre. Dans les modèles les plus simples, ce paramètre d’âge adulte caractérise d’ailleurs entièrement l’univers en déterminant l’évolution de ses paramètres physiques (densité, volume, vitesse d’expansion, etc.) en fonction du temps.

En résumé, un univers paraît plat à sa naissance et ne se dévoile sa courbure qu’en atteignant son âge adulte.

Quid de notre propre Univers ? La discussion des cosmologistes étant actuellement faussée pour les raisons que j’ai indiquées (notamment parce qu’ils s’en réfèrent à tort au modèle infini homogène et isotrope) on ne peut pas donner de chiffres sûrs. Cependant, on peut admettre que notre Univers est âgé d’environ douze à quinze milliards d’années car plusieurs estimations indépendantes de ce nombre (dont celles basées sur l’évolution et l’âge des étoiles) se recoupent autour de cette valeur. Or, il semble bien que notre Univers soit à un âge moyen de sa « vie », c’est-à-dire qu’il n’est ni trop jeune ni trop vieux, tout simplement car cela se verrait. (Ce fait a d’ailleurs une résonance « copernicienne » que j’aime bien car s’il se révélait juste il signifierait que nous ne nous trouvons pas à une étape particulière de l’évolution.) Cela veut justement dire qu’il est en train d’atteindre son âge adulte et que sa courbure commence à peine à être détectable. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que notre Univers paraisse encore plat, car, pour déceler une courbure encore peu affirmée, les mesures, se faisant sur des distances atteignant les milliards d’années de lumière, sont délicates et peu sûres.


4.3 À propos du prétendu réglage fin de notre Univers

Nous avons signalé plus haut qu’il existe en mathématiques deux catégories de modèles d’univers : les modèles finis (les seuls pertinents physiquement) et les modèles infinis. Observationnellement parlant, dans les premiers la densité effective est supérieure à la densité critique, dans les seconds elle lui est inférieure. Nos cosmologistes affirment que la densité de notre propre Univers aurait été « choisie » de façon à le doter des propriétés physiques que nous lui connaissons aujourd’hui. De plus, soutiennent-ils, le réglage de densité aurait été réalisé de façon diaboliquement précise parce que le moindre écart à la valeur désirée aurait conduit l’univers à subir une expansion beaucoup trop rapide pour que les étoiles aient eu le temps de se former ou à d’autres circonstances défavorables à la formation des nécessaires planètes. Je prétends qu’ils ont tout faux : voici pourquoi.

Je ne sais pas par qui la densité de l’univers peut être « choisie », mais ce que je sais c’est que dans les modèles d’univers la densité n’est pas un paramètre libre, ce qui veut dire que l’on ne peut pas lui donner une valeur arbitraire. En particulier il est stupide (que l’on me pardonne le qualificatif mais c’est le « mot juste ») de penser que l’on peut changer de type d’univers en changeant de densité. C’est le type d’univers, fini ou infini, qui détermine la densité (et notamment son rapport à la densité critique) ; ce n’est pas la densité qui détermine le type d’univers. Par conséquent dire que la densité de notre Univers a été choisie de façon à lui donner telle structure est un nouveau mensonge. Si on considère un univers fini, alors sa densité, donnée par les équations classiques, sera forcément supérieure à tout instant à la densité critique. C’est la situation inverse (densité inférieure à la densité critique) qui prévaut pour un modèle infini. Mais il serait absurde de prétendre que la donnée de la densité fixe l’univers, pour la bonne raison que les équations d’un univers fini ne sont pas les mêmes que celles d’un univers infini et que par conséquent, tant qu’on n’a pas fait son choix entre les deux systèmes, on ne peut conduire aucun calcul. Conclusion : n’étant pas optionnelle, la densité de matière de notre Univers n’a pas pu être choisie pour quelque motif de convenance que ce soit.

La question de la précision du réglage (impossible) recouvre une autre escroquerie. En accord avec notre théorème du jardin, la courbure de l’espace n’est pas décelable au big bang ni dans les premiers stades évolutifs de l’univers. Il en résulte que la distinction ne peut pas se faire au départ entre univers fini et univers infini, et que pareillement dans les équations la densité est « presque strictement », pourrait-on dire, égale à la densité critique. Mathématiquement parlant, l’égalité n’est pas exactement réalisée, évidemment, puisque dans un cas (fini) le rapport est supérieur à l’unité, ne serait-ce que d’une quantité infime, et dans l’autre il est inférieur, ne serait-ce que d’une quantité infime. L’entourloupette consiste à faire croire que c’est ce terme « infime », celui qui fait la différence entre univers fini et univers infini, ce terme qui contient en germe la courbure future, qui précisément pourrait être choisi par ajustement du rapport de la densité réelle à la densité critique (ce rapport est souvent baptisé Oméga, comme le savent les amateurs éclairés en matière de big bang). Or nous venons de voir qu’il est faux de penser que ce terme (et notamment son signe) pourrait être ajusté.

Au-delà du réglage lui-même, dont nous relevons l’absurdité qu’il y aurait à y croire, pourquoi maintenant les cosmologistes parlent-ils d’un caractère de précision extrême dans l’ajustement du paramètre Oméga ? La réponse est facile : la précision alléguée tient dans la différence fantastique d’échelle, différence incompréhensible, entre le monde atomique et le monde cosmique. En ce début de troisième millénaire les modèles d’univers sont concoctés par deux catégories un peu distinctes de chercheurs : les physiciens théoriciens et les astronomes. Les premiers travaillent à l’échelle de l’atome, les seconds à celle de l’Univers. Les premiers font appel à la mécanique dite quantique, celle de l’atome, les seconds à la théorie de la gravitation. Le problème est le suivant : au big bang les deux théories sont nécessaires puisque d’un côté il s’agit de l’univers entier et de l’autre la taille du cosmos est réduite à celle d’un atome ! Or on le sait, et on le sait de façon absolument certaine : ces deux théories sont incompatibles. Par conséquent nous savons que nous ne pouvons pas savoir. Nous savons que nous ne possédons pas la théorie voulue pour décrire le big bang. Dans ce cas, oser parler de « conditions physiques » au big bang et oser prétendre que la valeur des paramètres initiaux (ainsi qu’on les nomme) a été fixée de telle ou telle façon est malhonnête et par conséquent forcément mensonger. La physique du début de l’Univers échappe à notre théorie.

Il est facile de chiffrer le degré d’incompatibilité entre atomique et cosmique et de localiser de la sorte l’origine de cette croyance en l’extrême précision du réglage des paramètres primordiaux. Les physiciens théoriciens se placent à ce que l’on appelle l’échelle de Planck, qui correspond à un temps d’environ 10 -43 seconde. L’Univers dans son ensemble est caractérisé, nous l’avons vu, par l’âge auquel il atteint sa maturité. Pour notre Univers, cet âge se compte en dizaines de milliards d’années, soit en chiffres ronds 1017 secondes (un nombre déjà rencontré plus haut). La distance (le rapport) entre ces deux temps caractéristiques est de 1060 : autrement dit soixante ordres de grandeur séparent l’atome du cosmos. Aucune théorie ne peut expliquer ce nombre, aucune théorie ne le contient. Hic jacet lupus.


4.4 Le problème de la platitude

« Notre Univers est-il exceptionnellement plat ? » C’était la question posée en ce début de section. Si cette partie a pu sembler rébarbative à certaines ou certains, en voici un bon et honnête résumé, facile à retenir : entre l’échelle atomique et l’échelle cosmique existe un écart de soixante puissances de dix et aucune théorie présente ne peut rendre compte de l’immensité de cet écart. Le « problème de la platitude » (si on tient à voir un problème dans l’apparente platitude de notre Univers), c’est celui de l’incompatibilité entre ces deux échelles. (Je me permets de noter que cette « incompatibilité » n’existe qu’au niveau de nos théories : la nature, elle, sait les faire coexister !)


5. La vie est-elle le fruit d’une nécessité ?

Copernic a de quoi se retourner dans sa tombe. Et je ne suis pas fier de mes confrères astrophysiciens. Alors que des siècles de combat nous avaient délivrés d’une vision anthropocentrique des choses, les cosmologistes modernes se tournent de nouveau vers une sorte de religion espérée « réconcilier » l’Homme avec l’Univers, religion que je qualifie de « pananthropique » pour souligner le destin cosmique qui est voué à l’être humain dans cette conception moderniste. Ces savants prêchent leur foi en la nécessité de la vie en avançant l’idée que l’Univers a été créé avec l’intention d’y faire naître cette vie. Je suis surpris de l’influence exercée par les cosmologistes sur la pensée philosophique mais constate avec d’autant plus de regret qu’ils défendent un point de vue partial. Chercheraient-ils à nous tromper une fois encore ? Leur conviction est-elle basée sur des arguments scientifiques solides ou n’est-elle que le reflet de préjugés métaphysiques ? Pour rester dans l’esprit de cet article, que valent les arguments par eux avancés ? Aucun n’est convaincant mais surtout certains sont spécieux, d’autres sont carrément faux. Il y a aussi des mensonges par omission. Je n’ai certes pas la place d’examiner ici à fond le sujet de la vie dans l’Univers, mais je voulais simplement rétablir la vérité sur quelques points[5].


5.1 Le principe de complexité : encore un beau mensonge

Peu soucieux du caractère hasardeux des événements qui ont amené la vie à apparaître, les cosmologistes que je mets ici en cause défendent la thèse selon laquelle la vie aurait été programmée dès l’origine des temps de façon à surgir de façon certaine. Insistant sur l'aspect évolutif du monde ils décrivent la marche vers l’humanité comme le trajet d’une « flèche » se dirigeant droit vers son but après avoir reçu l’impulsion convenable. Ils voient dans cette évolution cosmique, de la naissance des particules élémentaires à la synthèse des différents noyaux atomiques puis aux assemblages atomiques incroyablement complexes des êtres vivants, le signe que l’être humain est rattaché de façon nécessaire à la création de l'Univers. Ils vont jusqu'à énoncer un principe selon lequel « l'Univers possède, depuis les temps les plus reculés accessibles à notre exploration, les propriétés requises pour amener la matière à gravir les échelons de la complexité ». Reeves le baptise « principe de complexité ».

Cependant, sous ses grands airs, la phrase citée ne veut pas dire grand-chose et le raisonnement sous-tendant ce genre d'argumentation est spécieux. En effet, que l'Univers possède toutes les propriétés nécessaires à l'apparition de la vie relève de la simple évidence logique : si ces conditions nécessaires n'avaient pas été réalisées, la vie n'existerait pas ! Par exemple si l'eau est nécessaire à la vie, alors, sans eau, pas de vie. La proposition incriminée enfonce donc des portes ouvertes : bien entendu l’Univers possède les propriétés qu’il manifeste ! Le point litigieux c'est que ce genre d'affirmation veut faire croire, sans le dire explicitement, que les conditions réunies étaient aussi suffisantes (de l'eau, donc de la vie...), c'est-à-dire que l'Univers réunit des circonstances telles que la vie devait assurément y surgir, ici ou là (ce caractère de nécessité faisant d’ailleurs que la vie posséderait alors un caractère universel). Et à ce point, il faut y regarder de plus près.

La vie est-elle le fruit d’une nécessité ?

Scientifiquement parlant, il n'existe aucun principe selon lequel la matière devrait forcément évoluer du plus élémentaire au plus organisé, aucun principe selon lequel nous aurions été forcés d'exister. Élever l'apparition de la vie au statut de principe relève de l'acte de foi ou de la spéculation, mais pas de la démarche scientifique. Je ne prétends évidemment pas que les processus ayant amené la matière à se complexifier seraient contraires aux lois de la physique (puisqu’ils se sont produits c’est qu’ils étaient permis !), mais la vérité est que ces processus sont largement imprévisibles et qu’on n’y retrouve aucune trace d’obligation. Une discussion complète sur les conditions d’apparition de la vie (dont nous ne savons rien d’ailleurs) déborderait du cadre de l’article mais je veux surtout relever ici le mensonge sur le principe de complexité invoqué par Reeves et d’autres. Il faut savoir en effet qu’en physique il n’existe pas de principe de complexité. Un étudiant ou un chercheur qui se laisserait guider par un tel théorème pour conduire ses calculs ou ses raisonnements ferait tout faux. D’autres lois régissent l’évolution des systèmes physiques (loi de conservation de l’énergie, principe de relativité, égalité de l’action et de la réaction, conservation du moment cinétique, etc.) mais aucune d’entre elles n’agit dans le sens indiqué d’une complexification obligatoire. Il se trouve justement qu’à l’opposé d’un illusoire principe de complexité existe un principe, juste celui-là, imposant que le degré de désordre (mesuré par ce que l’on nomme l’entropie) d’un système isolé subissant des transformations ne peut que croître. Un système physique réel verra donc augmenter son degré de désorganisation, mais en aucun cas de façon globale son degré d’organisation. (Cela prouve d’ailleurs que l’augmentation de la complexité dans une partie du système doit forcément être compensée par une désorganisation plus grande de l’autre partie. Trinh Xuan Thuan[6] parle justement, à ce propos, des étoiles comme « des machines à fabriquer du désordre ». Ce point n’est pas non plus ignoré par Reeves.) Par conséquent invoquer une loi de complexification (ou laisser entendre qu’elle existe) et affirmer que l’évolution de l’Univers se traduit nécessairement par une montée de la complexité est une imposture scientifique.

L’argument de la croissance de la complexité n’est pas nouveau. Dans sa vision globalisante de la place de l’Être humain dans l’Univers, Teilhard de Chardin (1881-1955) fait référence à un processus cosmique d’organisation capable de regrouper de façon cohérente l’« immense succession de faits » conduisant au « phénomène humain ». À ceci près que le jésuite paléontologue fait explicitement référence à une conscience universelle vers laquelle convergerait l’humanité pour se fondre en elle (conscience que les cosmologistes d’aujourd’hui n’osent pas encore, majoritairement, introduire dans leur schémas), l’idée de la croissance de toute matière vers plus de complexité est la même.

La nouveauté déconcertante c’est la caution scientifique apportée par les cosmologistes à cette loi de complexification, devenue maintenant, publicité aidant, la nouvelle tarte à la crème de la pensée moderne sur la place de l’Homme dans l’Univers. On parlera d’une « ascension » vers la complexité, comme si la réalité d’une marche progressive et orientée de l’évolution cosmique était avérée, et on entendra affirmer, pour marquer la filiation directe entre cosmos et espèce humaine que nous sommes « poussières d’étoiles ».

Certes, les astrophysiciens nous ont beaucoup appris sur l’évolution de l’Univers, en découvrant notamment le big bang et l’expansion de l’espace, mais dérouler l’histoire universelle comme si elle « convergeait » vers l’Homme est scientifiquement injustifié. En effet, si on prend soin ne pas se laisser aveugler par des préjugés métaphysico-religieux dans l’émergence de l’être pensant que nous sommes, la montée vers la complexité (indéniable !) qui sur notre Terre a abouti à la vie apparaît unique et surtout ne se présentera jamais comme une loi universelle incontournable. Ce que la science a découvert sur la réalité de la nature avant que la mode pananthropique ne la corrompe c’est bien que la vie fait exception. Face aux fantasmes de l'humanité, toujours prête à peupler les autres astres de civilisations merveilleuses ou monstrueuses, elle nous a appris que les astres que nous connaissons sont tous inhabités. Et bel et bien inhabitables.


5.2 L’universalité des lois de la nature

Avancer que l’universalité des lois de la nature aurait pour conséquence directe quasiment inéluctable l’existence de vie ailleurs que sur Terre est ce que j’appelle un « argument d’avocat », c’est-à-dire un argument déformant la vérité jusqu’à la rendre carrément mensongère. Pour être juste, cet argument n’est pas trop utilisé directement par les cosmologistes professionnels mais si je le cite ici c’est qu’il l’est souvent en revanche par certains défenseurs inconditionnels et peu scrupuleux de la possibilité d’existence de vie extraterrestre. Autant mettre en garde les personnes qui pourraient se laisser prendre au piège.

Après Fontenelle (1657-1757), qui diffusa les nouvelles idées scientifiques et philosophiques de son temps, dont la cosmologie copernicienne, l’astronome et formidable vulgarisateur Camille Flammarion (1842-1925) est sans doute l’un des spécialistes qui contribua le plus à la répandre l’idée de la pluralité des mondes auprès du public. Pour tenter d’apporter des éléments scientifiques à son raisonnement il distingue entre mondes imaginaires et mondes réels en s’appuyant justement sur les lois de la physique et de la chimie. Puisque leurs principes s’appliquent partout pourquoi la vie ne se trouverait-elle pas, elle aussi, partout ?

Il est vrai que les lois de la physique et de la chimie sont universelles : elles sont valables toujours et partout, dans quelque endroit de l’Univers que ce soit et à toute époque. Cependant, toute la question est là, il ne faudrait pas en déduire que les conditions physiques sont les mêmes partout dans l’Univers. Le faire serait verser dans le mensonge. Si les lois de la physique sont les mêmes dans le Soleil, depuis son centre jusqu’à sa surface, et sur Terre, on voit bien que les conditions physiques ne sont pas les mêmes dans ces deux astres. Rien de comparable entre le plasma du centre du Soleil à une température de quelque quinze millions de degrés, le gaz de sa surface à environ six mille degrés et la surface de la Terre avec une température de grossièrement trois cents degrés Kelvin (soit quelques dizaines de degrés ordinaires). Les mêmes lois physique sont capables de produire une quantité prodigieuse de situations différentes : voilà ce qu’il faut savoir. Dans sa prodigalité, l'Univers abrite une immense quantité de mondes extrêmement dissemblables, au point qu’il est impossible de comparer une planète et un quasar, une étoile et une comète, un nuage de poussières interstellaires et une supernova en train d’exploser. Prétendre donc que les mêmes lois produiraient les mêmes effets est une aberration. D’ailleurs, même pour des corps finalement comparables entre eux comme le sont les planètes de notre système solaire, si un résultat de l’exploration spatiale a vraiment frappé au plus haut point les scientifiques, c’est bien l’extraordinaire diversité des astres concernés. Chaque planète est un monde en soi, en tous points différent des autres.

En toute bonne foi, on peut certes admettre qu’à partir du moment où les mêmes conditions physiques que sur Terre seraient réalisées sur une autre planète (ce qui n’est déjà en rien facile), alors les mêmes lois physiques rendraient plausibles la présence de vie. Mais plausibles jusqu’à quel point ? Nous ne savons absolument rien sur les mécanismes physiques qui ont permis à cette vie de surgir. À quelque étape que ce soit, tout semble indiquer que les processus ayant joué un rôle dans l’histoire qui s’est terminée en « vie » entrent dans la catégorie des phénomènes qualifiés en physique de hors équilibre et non linéaires, lesquels sont largement imprévisibles, de sorte que nous en sommes en fait réduits, dans l’état actuel de notre ignorance, à estimer une probabilité d’apparition de la vie. Et dans ce problème le facteur principal à considérer est le nombre de planètes, qui conditionne évidemment le nombre d’essais envisageables concrètement.


5.3 Le nombre de planètes dans l’Univers

Reeves écrit[7] : « Il y a vraisemblablement des millions de planètes habitées dans notre Galaxie comme dans les autres galaxies ». Il est présomptueux de lancer une telle affirmation. Comme l’apparition de la vie baigne dans le mystère le plus épais, aucun mécanisme physique capable de la produire n’ayant été identifié, les scientifiques essayent de repérer les conditions physiques susceptibles de créer la vie et tentent d’évaluer les chances que de telles circonstances favorables aient été réunies quelque part. Autrement dit, nous nous plaçons dans le cadre d’un calcul de probabilité et posons la question de savoir quelle est la chance que la vie soit apparue ailleurs que sur Terre. Nous allons montrer ici que dans ce contexte probabiliste, le nombre de planètes disponibles par galaxie est finalement très petit et que de ce fait il est fort possible (et même très vraisemblable selon moi) que nous soyons seuls dans l’Univers. Le mensonge est de dire que le nombre de planètes est si grand que l’événement « vie » aurait eu de fortes chances de se reproduire.

La première chose à comprendre (le faux contre-argument m’est souvent opposé) est qu’il n’y a pas le moindre paradoxe à déclarer que la vie avait une probabilité quasiment nulle d’apparaître alors qu’elle est effectivement apparue. Pour dire les choses très (et trop) rapidement, mais le contexte aidera à en saisir le sens, un événement de probabilité à priori pratiquement nulle peut très bien s’être produit dans la réalité sans que cela soulève une quelconque contradiction. Prenons l’exemple suivant. Considérons un dé à dix faces permettant d’obtenir au hasard un chiffre entre 0 et 9. Par jets successifs tirons au sort un nombre de taille donnée, de par exemple quatre-vingts chiffres. Le raisonnement est simple : si nous procédons à un tirage, forcément nous obtiendrons un nombre : appelons-le « N ». Or, ce nombre N n’est qu’un parmi une quantité de possibles de 1080, tellement phénoménale (nous l’avons vu plus haut : cette valeur est celle du nombre d’atomes dans tout l’Univers !) que la probabilité de sortir ce nombre N donné à l’avance est nulle en pratique. Donc ce « N » avait une probabilité nulle de sortir, et pourtant il est sorti. Illustration concrète : je tire un nombre de quatre-vingts chiffres et j’obtiens par exemple : 83007 83870 28770 53913 36956 33121 03707 26401 92491 06768 23119 92883 75641 14142 20167 42752. Ce nombre est sorti (il fallait bien qu’il en sorte un !) : il est sous mes yeux. Cependant, ce nombre précis, je ne le retrouverai jamais par tirage aléatoire. Autrement dit la probabilité que ce nombre sorte est bien nulle (nulle : en pratique). De même, si je me donne un nombre à priori, par exemple : 29693 82719 58568 97597 59626 10415 91526 57577 79078 23349 80567 84002 29015 32052 13893 53737, eh bien, jamais je n’obtiendrai non plus ce nombre par tirage aléatoire. Sa probabilité d’apparition est nulle, toujours en pratique (mathématiquement, elle est de 10 -80).

Premier point donc : si la vie s’est produite, elle s’est produite, un point c’est tout, chance ou pas chance. Le fait que la vie existe sur Terre ne nous renseigne en rien sur la « probabilité que cette vie se soit produite ». Qu’entendons-nous donc par cette dernière phrase ? Imaginons que nous revenions au point de départ, c’est-à-dire que nous considérions dans les premières étapes de son évolution un univers possédant des propriétés physiques absolument identiques au nôtre (même densité, même température, même taux d’expansion, même durée de vie, etc.). Quelle est la probabilité que cet univers abrite plus tard la vie ? Quelle est la probabilité que la vie se reproduise dans ce nouvel univers ?

Voici les bases du calcul à conduire, et surtout les nombres qui lui correspondent.

Comme les étapes décisives dans la production de la vie (dont nous sommes loin d’avoir dressé l’inventaire) semblent imprévisibles, on peut imaginer cette création de vie comme le résultat, chanceux ou malchanceux, d’une série de lancers de dés. Nous utiliserons comme plus haut un dé comportant dix faces, permettant donc de tirer à chaque lancer un chiffre entre 0 et 9. Imaginons alors que les planètes jouent au loto cosmique en tirant au hasard à leur naissance un nombre de longueur donnée. Les planètes gagnantes seront celles qui auront trouvé le numéro de la vie et leur récompense sera de voir naître cette dernière sur leur sol. Quel est le nombre de planètes que nous nous attendons à voir gagner ? Tout dépend en premier lieu du nombre de planètes candidates. Or il se trouve que nous connaissons ce nombre, égal au nombre de planètes dans l’Univers. Nous pouvons donc préciser les choses.

Dans un groupe de personnes, combien d’individus en moyenne sont susceptibles de gagner au loto ? Ou, ce qui revient au même mais permet d’exprimer les choses de façon plus concise, pour un nombre donné d’essais, quelle est la chance de trouver le bon numéro ? Le résultat de la théorie complète (d’ailleurs facile à mener) paraît normal. On s’attend bien déjà à ce qu’il faille un nombre d’essais suffisant pour trouver le bon numéro (car ce n’est pas en moyenne au bout d’un seul essai que vous trouverez le numéro à quatre chiffres d’une carte bancaire) et à ce que le nombre d’essais nécessaires soit d’autant plus grand que la taille du numéro à trouver est grande. Le calcul indique en fait que la chance de réussite n’est appréciable que lorsque le nombre d’essais devient égal au nombre de possibilités de choix. Ainsi un code de carte bancaire étant un nombre compris entre 0000 et 9999, la bonne combinaison est une possibilité parmi dix mille possibilités et par conséquent en moyenne il faut effectuer dix mille essais avant de la trouver dans ce lot des possibles. (Comme annoncé, et comme on peut le constater expérimentalement, on ne devine donc pas le code du premier coup !)

Le théorème est général. S’il s’agit de trouver un nombre de un chiffre parmi les dix possibles (0, 1, 2, 3...) de 0 à 9, il faudra réunir en moyenne dix personnes pour qu’une ou plusieurs d’entre elles gagne dans le groupe. Dans le cas d’un nombre de deux chiffres, il faudra cent personnes en moyenne pour qu’une au moins trouve le numéro gagnant parmi les cent numéros possibles de 00 à 99. Dans le cas d’un nombre de trois chiffres, il faudra en moyenne mille personnes (ou mille essais) pour trouver le numéro gagnant parmi les mille possibles de 000 à 999. Et ainsi de suite. Il faut toujours en moyenne n essais pour trouver le numéro gagnant parmi n possibilités de choix. En gros, il faudra cent mille essais ou tirages pour trouver le nombre 93395 parmi les nombres de cinq chiffres. Les adeptes du loto font quotidiennement l’expérience de ce genre de considérations théoriques inéluctables ! (Notons toutefois que si elle donne bien le nombre de personnes gagnantes, en moyenne, la théorie n’est pas capable de fournir leur nom...)

Appliquons notre résultat statistique au loto cosmique de la vie. À combien s’élève le nombre de planètes participant au jeu de la vie ? En gros à mille milliards (soit 1012) par galaxie. En ordre de grandeur, ce chiffre est sûr. Si incertitude il y a dans l’appréciation de la probabilité de présence d’une vie hors de Terre, elle ne vient pas de l’estimation du nombre de planètes disponibles. Ce nombre grossier de mille milliards se base sur une bonne mesure de dix à cent milliards d’étoiles dans une galaxie moyenne et sur le nombre arbitraire mais assez plausible d’une population d’en moyenne dix planètes autour des étoiles (ce nombre pourrait se révéler inférieur mais il ne peut pas se trouver plus grand par plusieurs ordres de grandeur). D’après la théorie que nous venons d’exposer, une population de mille milliards de planètes est capable de trouver en son sein une gagnante à la condition que le nombre de possibilités de choix soit inférieur à ce mille milliards, c’est-à-dire que la longueur du nombre à trouver ne dépasse pas douze chiffres (mille milliards, c’est le nombre de nombres de 12 chiffres, de 000 000 000 000 à 999 999 999 999, juste avant 1 000 000 000 000, ou mille milliards).

En conclusion : si ce que j’appelle le « nombre de la vie » comporte moins de douze chiffres, alors on peut en conclure que d’autres planètes sont habitées. Si au contraire il est plus long, et même beaucoup plus long jusqu’à en compter des milliers ou plus, alors nous sommes seuls dans l’Univers et la vie y fait exception.

Comme annoncé, le point ressortant de cette discussion est que contrairement à ce que laissent entendre la plupart des cosmologistes le nombre de planètes dans notre Univers est petit si on l’envisage dans le cadre d’un calcul de probabilité (or nous sommes dans ce cas). Si mille milliards est bien le nombre moyen d’essais pour trouver un numéro de douze chiffres, ce nombre est insuffisant par exemple pour trouver avec une chance non négligeable le numéro de quatorze chiffres venant de me servir à créditer le compte de mon téléphone portable (il faudrait en moyenne cent fois plus d’essais pour le trouver). Cette conclusion-là sur la petitesse relative du nombre de planètes est ignorée, voire intentionnellement cachée. Maintenant le nombre de la vie ne comporte-t-il que douze chiffres ou est-il plus long ? Il serait à mon tour présomptueux de ma part d’indiquer la longueur du nombre gagnant, cette quantité critique qui finalement décide de tout : je ne la connais pas, pas plus que quiconque. Mais après analyse de la situation j’avoue que je me rallie sans hésitation, au vu des résultats scientifiques sur le caractère imprévisible de la venue de l’espèce humaine, à la thèse de Jacques Monod (1910-1976) selon laquelle[8] la longueur du nombre de la vie atteindrait des valeurs considérables (le million, ou plus ?) nous forçant à conclure que la vie n’a aucun caractère de nécessité dans un monde comme le nôtre et que par conséquent nous y sommes bien seuls. À ce propos, que l’on me permette de déplorer amèrement le peu d’estime dont bénéficie de nos jours la pensée pourtant si élevée, riche, honnête et cohérente de Jacques Monod, cet auteur étant jugé comme dépassé par nos penseurs contemporains, qui doivent sans doute s’estimer eux-mêmes plus savants et plus habiles. J’en veux aux cosmologistes et autres astrophysiciens, car ils sont selon moi hautement responsables de cet état de fait, injuste, comme j’ai tenté de le dire ici.


6. La religion est irréconciliablement antagoniste de la science

Quelle leçon tirer du fait que les cosmologistes en arrivent à mentir ? Personnellement j’y vois là une belle preuve des dommages sur la pensée rationnelle que peut provoquer l’irruption en science de considérations et préjugés d’ordre spirituel, religieux ou métaphysique. Forcément les cosmologistes touchent à la question de la place de l’Être humain dans l’Univers, et par conséquent à un domaine que la religion a toujours voulu annexer. Forcément leurs interrogations ont une dimension métaphysique. Pourtant c’est à la science, et à la science seule, de se prononcer sur la vérité des choses. La religion n’a rien à dire sur la question. Elle n’en a d’ailleurs pas la capacité. Il faut accepter les résultats de la science, à condition bien entendu, c’est l’objet de cette intervention, que ses serviteurs restent honnêtes avec eux-mêmes. Pour un chercheur, se laisser contaminer par ses convictions personnelles conduit à la faillite de la mission qui lui est confiée puisque cette conduite peut le pousser à méconnaître ou travestir la réalité. Cette irrationalité d’attitude d’esprit de la part des cosmologistes est selon moi une preuve de la stérilité d’un dialogue par ailleurs impossible entre Science et Foi[9]. Cette preuve s’ajoute à d’autres puisque l’histoire montre que jamais la foi n’a permis la moindre avancée dans la découverte de la réalité.

Le cas échéant, comme on le voit ici, l’influence de la religion sur la science peut s’avérer nocive à cette dernière. Personnellement, dans le débat toujours relancé sur les rapports entre Science et Foi, je suis de plus en plus persuadé en avançant dans ma réflexion que ces deux formes de pensée sont profondément et irréconciliablement incompatibles et je vois de moins en moins comment un savant quelque peu honnête pourrait se laisser entraîner dans les considérations irrationnelles, arbitraires et dogmatiques de la doctrine religieuse, sauf à aliéner sa raison (comme dans l’emploi de l’infini), user d’une logique tordue (comme pour le principe anthropique) ou mentir (comme pour la platitude de l’Univers). Les valeurs des Lumières sont ici en danger parce que des scientifiques de profession cherchent à concilier leur démarche rationnelle avec l’affirmation dogmatique d’une vérité d’ordre religieux sur le sens de l’aventure humaine, voulant notamment voir confirmée, malgré les apparences contraires, leur foi dans le caractère prémédité de la vie. Or s’ils veulent découvrir le pourquoi de la Vie, les cosmologistes doivent impérativement abandonner l’idée qu’une religion leur fournit la réponse. Que la vie soit unique dans l’Univers ou qu’elle soit universelle, qu’elle soit le fruit du hasard ou de la nécessité, c’est à la science de trancher.

Le succès funeste de la doctrine pananthropique, qui emmêle les deux domaines, scientifique et spirituel, et le retour de l’idée selon laquelle la vie répondrait à une intention universelle en couronnant l’ascension nécessaire de la matière vers la complexité et le progrès traduisent pour moi un recul considérable de la pensée humaine. Ou, plus simplement, trahissent la vérité des choses.


[1] Angèle Kremer Marietti, Quelle(s) définition(s) de la matière un matérialisme contemporain pourrait-il revendiquer ?, in Les matérialismes (et leurs détracteurs), Éditions Syllepse, 2004, p. 61
[2] Christian Magnan, L’infini des cosmologistes : réalité ou imposture ? in Les matérialismes (et leurs détracteurs), Éditions Syllepse, 2004, p. 181
[3] Joseph Silk, L’Univers et l’infini, Éditions Odile Jacob, 2005
[4] Charles W. Misner, Kip S. Thorne, John Archibald Wheeler, Gravitation, W. H. Freeman and Company, 1973, p. 742
[5] Christian Magnan, Les « raisonnements anthropiques » ont-ils des fondements théoriques ? in Les matérialismes (et leurs détracteurs), Éditions Syllepse, 2004, p. 493
[6] Trinh Xuan Thuan, La mélodie secrète, Fayard, 1988
[7] Hubert Reeves, Patience dans l’azur, Seuil, 1981, 1988
[8] Jacques Monod, le Hasard et la Nécessité, Seuil, 1970
[9] Pierre Deleporte et Jean-Sébastien Pierre, Jacques Arnould et le recul élastique du dogme in Les matérialismes (et leurs détracteurs), Syllepse, 2004, p. 545
Jean Dubessy et Guillaume Lecointre (sous la direction de), Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences, Éditions Syllepse, 2001

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