Christian Magnan
(Astrophysicien, Collège de France et
Université de Montpellier II,
Courriel :
magnan@graal.univ-montp2.fr)
Les gros mensonges des cosmologistes
(Voir les deux essais de Christian Magnan, La nature sans foi ni
loi et La science pervertie, L’Harmattan, 2005)
1. La responsabilité des cosmologistes
La responsabilité des scientifiques dans le cheminement de la
pensée humaine est d’autant plus grande que parmi toutes les
disciplines intellectuelles seule la science possède la capacité
de nous ouvrir à la vérité des choses. Mais ce pouvoir ne
lui est accordé (et réservé) que si les scientifiques se
plient à l’objectivité et à la rectitude
d’esprit que réclame l’exercice de leur art. Or les savants
modernes sont-ils fidèles à cet impératif
d’honnêteté intellectuelle ? En cosmologie, je ne le
pense pas. Je vais montrer que dans ce domaine les spécialistes se
rendent coupables de véritables mensonges, ceux-ci se
révélant d’autant plus dangereux qu’ils sont avidement
relayés par les médias tout-puissants et imprègnent
gravement les mentalités sans que la juste critique puisse se faire
entendre.
J’examinerai successivement les questions
suivantes : (i) l’imposture de l’univers infini, (ii) les
déclarations sur la platitude de l’Univers et (iii) les annonces
sur la présence de vie ailleurs que sur Terre.
2. La science source de
vérité
L’enjeu du débat cosmologique est capital puisqu’il
s’agit pour l’être humain d’apprécier sa place
dans l’Univers et de comprendre (est-ce d’ailleurs possible ?)
le sens de la vie. À cause de cette dimension métaphysique, le
danger existe pour un chercheur ou une chercheure en cosmologie de se laisser
influencer dans son travail professionnel par ses préjugés
philosophiques ou religieux. C’est ainsi que je constate actuellement un
retour massif et extrêmement regrettable de la doctrine anthropocentrique,
selon laquelle la raison d’exister (la « raison
d’être ») de l’Univers résiderait dans
l’apparition de la vie, celle-ci couronnant une évolution cosmique
décrite, façon Teilhard de Chardin, comme une marche
intentionnelle et directionnelle vers le progrès. J’appelle
volontiers cette nouvelle religion le « pananthropisme »
pour souligner le caractère proprement universel que ces savants à
mon sens pas assez honnêtes accordent à tort au
phénomène humain. Pour étayer leur point de vue, les
cosmologistes prétendent s’appuyer sur des résultats
scientifiques mais en réalité, comme nous le verrons, ils
n’hésitent pas à travestir la
réalité.
Si la science est la seule discipline
née de la pensée humaine capable de découvrir la
vérité des choses, c’est qu’elle seule maîtrise
le langage mathématique et l’intègre dans son
discours
[1]. Nous savons bien que des
siècles de discussions philosophiques ou religieuses, notamment avant la
révolution copernicienne mais aussi après, ne nous ont rien appris
sur la réalité du monde. Pendant ces siècles, on a pu
continuer à croire et à enseigner que c’est le Ciel qui
tournait autour de la Terre, celle-ci constituant le centre
géométrique et spirituel du monde voulu par Dieu comme tel. Ce
n’est que lorsque la symbolisation mathématique est apparue comme
élément de la pensée scientifique que la
vérité a surgi. La science moderne est née à
l’époque de Newton (1642-1727) car alors s’est produite la
rencontre fécondante entre observation empirique des positions des astres
sur le ciel et théorisation mathématique de problèmes de
cinématique. C’est ainsi que je situe (de façon
symbolique, et par conséquent sans prétention sur le plan
historique) la naissance de cette science au moment où (je vais expliquer
ce que ceci veut dire) l’ellipse calculée de Newton rejoignit
l’ellipse observée de Kepler. Kepler (1571-1630) avait
déduit de l’analyse soigneuse des observations de la planète
Mars consignées par Tycho Brahé (1546-1601) les lois
régissant le mouvement des planètes. En particulier il avait
abouti à cette conclusion révolutionnaire que ces astres
(« vagabonds » dans leur trajectoire apparente par rapport
aux étoiles fixes) décrivaient une ellipse dans leur course autour
du Soleil, faisant ainsi sauter le dogme qui cadenassait la pensée
scientifique : celui qui prescrivait aux corps célestes de se
mouvoir selon des cercles parfaits. Or Newton, grâce aux outils de calcul
mathématique qu’il avait forgés, fit une découverte
d’une portée immense dans ce contexte en montrant que la
trajectoire suivie par un corps soumis à la gravité d’une
masse centrale diminuant comme l’inverse du carré de la distance
(selon sa fameuse loi de l’attraction universelle) était aussi,
précisément, une ellipse (dont la masse attractive était le
foyer). C’est cette découverte qu’au mois d’août
1684 il rapporta à Halley (1656-1742), venu l’interroger sur ses
travaux.
Ellipse, lois observationnelles de Kepler, force de
gravitation universelle variant comme l’inverse du carré de la
distance entre les masses attractives : tout se tenait magiquement. Le
miracle de la science dans sa conjonction de l’expérience et de la
théorie se produisait pour la première fois de l’histoire.
La science nouveau-née pouvait prendre son essor. Mais s’il est
vrai que depuis l’époque de la révolution copernicienne la
science est restée le seul et unique moyen de connaître le monde
des choses, il est d’autant plus capital que son intégrité
soit préservée. Il est notamment indispensable et urgent de
s’attacher à distinguer le vrai du faux dans le flot de
découvertes annoncées à grand renfort de publicité,
publicité soumise à des lois de rentabilité et donc
facilement oublieuse de la probité intellectuelle exigée de la
recherche.
3. Le mensonge de l’infini
3.1 Le concept d’un espace fini mais
néanmoins dépourvu de bord
Ce n’est que depuis les années 1915-1916, celles qui ont vu
l’invention de la théorie de la relativité
générale d’Einstein (en réalité une nouvelle
théorie de la gravitation, supplantant celle de Newton), que le
débat sur les limites de notre Univers a pu prendre une tournure
scientifique. Auparavant nos idées sur l’espace étaient
insuffisantes, aucune théorie ne permettant de traiter la question de
l’étendue du monde, de sorte que toute discussion à ce sujet
ne pouvait être que stérile. La découverte
stupéfiante et inattendue d’Einstein (selon moi la plus
géniale victoire de l’effort de théorisation de
l’esprit humain), réside dans la conception d’un
modèle d’espace qui quoique dépourvu de limite se
révèle bel et bien fini (et quoique fini ne possède pas de
limite !).
L’idée de l’espace qui
prévalait depuis disons Newton était celle d’une structure
préexistante, d’un cadre indépendant dans lequel la
matière pouvait trouver place. Cet espace était
considéré comme intemporel et illimité. Dans la vision
einsteinienne, avant toute chose, l’espace ne peut plus être
séparé du temps et c’est uniquement la nouvelle structure
combinant les deux entités en une seule, l’espace-temps, qui a un
sens physique (c’est-à-dire qui permet d’établir un
rapport avec la réalité). Surtout, dans la nouvelle théorie
de la gravitation, l’espace-temps n’existe plus
indépendamment de la matière mais au contraire fait corps avec
elle. Le lieu est indissociable de l’occupante.
Les formules
d’Einstein décrivent mathématiquement la symbiose entre
espace-temps et matière selon le schéma suivant. C’est
l’espace-temps qui guide la trajectoire des points matériels un peu
comme si la route était imprimée en son sein (les routes de
l’espace-temps suivies par les particules libres s’appellent les
« géodésiques »). En retour, c’est la
matière qui fixe la texture et la forme de ces routes. On peut
énoncer en raccourci que le contenu de matière-énergie
détermine la forme de l’espace-temps.
Dans sa
description einsteinienne l’espace acquiert des propriétés
nouvelles, différentes de celles de l’espace euclidien dans lequel
se déroulent nos raisonnements ordinaires. On dit de ce nouvel espace
issu de la relativité générale qu’il est
« courbe », l’origine de sa courbure résidant
dans la gravité des masses qu’il contient. L’univers courbe
conçu par Einstein possède la propriété
d’être fini mais néanmoins sans limite. On peut explorer un
tel univers dans sa totalité, à condition d’en prendre le
temps. On peut s’y déplacer dans tous les sens, en visiter toutes
les galaxies mais jamais on n’y rencontrera de bord. L’espace est
partout le même et ne présente aucune brisure ou interruption. Si
on va tout droit on finit par revenir au point de départ, ce qui
suggère l’idée d’un « tour du
monde » à la Magellan et impose artificiellement à
l’esprit l’image d’une sphère. Il faut cependant
essayer de se défaire de cette fausse image-là, hélas
prégnante : le modèle d’univers en question n’a
pas forme de sphère puisqu’une sphère a un bord et que
l’univers courbe n’en a pas.
Notre propre Univers est
selon toute certitude un univers courbe fini structuré selon ce
modèle, même si (nous allons y venir) les observations paraissent
présenter encore des points de désaccord avec une théorie
qui de toutes façons n’est pas achevée et souffre de
faiblesses notoires montrant qu’elle est incomplète (en particulier
la description du big bang échappe à toute formalisation). Dans ce
schéma, il est capital de prendre conscience que notre monde
représente l’entièreté de l’espace. Notre
Univers, c’est « partout » et nous ne pouvons pas
concevoir un au-delà, un extérieur, dans lequel il serait
immergé (selon la fausse image de la sphère). De la même
façon, il n’existe aucun temps extérieur à celui de
notre monde, de sorte que l’on ne peut pas dire que le big bang, qui
remonte à une douzaine ou une quinzaine de milliards
d’années (peu importe la valeur exacte), se soit produit à
une certaine date sur une échelle de temps qui transcenderait celle que
nous connaissons. Le temps est né avec notre Univers et en dehors de
celui-ci notre physique ne connaît pas le temps absolu et idéal
auquel rapporter la naissance et, plus tard, la disparition de notre monde.
Notre Univers est fini dans le temps et dans l’espace. Mais en
même temps, notre Univers c’est partout et
toujours.
Remarquons encore qu’un tel modèle
d’espace et de temps ne pouvait pas être obtenu par simple
déduction logique à partir de notions ordinaires de bon sens.
À nouveau seule la science, en la personne d’Einstein et
grâce à un appareil théorique puissant, pouvait concevoir
des modèles d’univers courbés par la gravitation et apporter
une réponse physiquement cohérente à la question des
limites de l’Univers. Sans cette théorie, les discussions sur ce
point sont vaines.
3.2 Pourquoi avoir introduit
l’infini ?
Hélas, les cosmologistes (à une écrasante
majorité, mais sans manifester un écrasant supplément
d’esprit critique), jetant du même coup le trouble dans ce
merveilleux et clairvoyant canevas de pensée, se sont crus avisés
d’affirmer que notre Univers serait infini (courbe certes, mais infini).
Or cette position n’est pas tenable physiquement, est incohérente
sur le plan logique et présente un danger réel pour le
matérialisme auquel la science est organiquement
attachée
[2].
L’argumentation
en faveur d’un univers infini n’est pas convaincante. Elle se
résume en ces termes : (i) notre Univers satisfait au
principe
cosmologique, c’est-à-dire qu’il est homogène et
isotrope, la densité de matière étant supposée la
même en tous ses points, (ii) la mesure du taux d’expansion actuel
fournit par une formule simple la valeur actuelle d’un paramètre
appelé « densité critique », (iii) si notre
Univers est fini la densité de matière actuellement mesurée
doit, selon la théorie, être supérieure à la
densité critique trouvée en (ii), or (iv) la densité
mesurée semble plutôt inférieure à la densité
critique donc (v) notre Univers n’est pas fini. Conclusion : notre
Univers serait infini.
L’argumentation est faible.
Premièrement il n’y a aucune raison d’imposer à
l’espace-temps de satisfaire au principe cosmologique. J’estime que
l’adhésion à ce principe témoigne d’une
démarche d’esprit analogue à la croyance aveugle et
sclérosante de nos ancêtres dans la suprématie du cercle,
cette figure parfaite sur laquelle les planètes étaient enjointes
de se déplacer. Deuxièmement, il est physiquement absurde de
penser que la densité de l’Univers puisse être la même
sur toute échelle de distance, jusqu’à l’infini
(!) : par quel mécanisme physique cette situation pourrait-elle se
voir réalisée ? Troisièmement, la détermination
de la densité critique et de la densité vraie de matière
est sujette à bien des incertitudes, notamment à cause de
l’imprécision sur les mesures de distance des galaxies, de sorte
que la distinction entre les deux cas fini ou infini est très
délicate et non encore pleinement concluante. À ce sujet, il faut
savoir (nous le redirons plus bas) que les modèles d’univers
prévoient que ces deux densités sont de toute façon
voisines. Par conséquent le fait de trouver que le rapport de la
densité réelle à la densité critique est voisin de
l’unité représente d’abord une éclatante
confirmation de la théorie et non la preuve d’une
incompatibilité entre modèle et réalité. Selon moi
il faut donc se féliciter de l’accord et se garder de faire croire
à un désaccord.
De toute façon il est impossible
de progresser dans la discussion pour la bonne raison que nous n’avons pas
la théorie pour le faire. J’ai suffisamment insisté sur
l’impérieuse nécessité de disposer d’un
schéma théorique pour ne pas tomber dans le panneau d’un
débat stérile et donc inutile. Le fait même de poser la
question de savoir si notre univers est fini ou infini est tout simplement la
preuve de notre ignorance profonde en matière de confection
d’univers. En effet, nulle théorie ne nous dit comment créer
un univers et ne nous indique ce qui est permis ou interdit. En l’absence
de théorie pour nous guider et de cadre formel pour poser la question, il
serait profondément antiscientifique de se contenter de la seule
observation pour trancher le débat. La théorisation est absolument
nécessaire. L’observation seule ne suffit pas et si la cosmologie
devenait une discipline observationnelle, elle perdrait du même coup son
statut scientifique en se dépouillant de tout pouvoir de
découverte.
3.3 Le modèle infini n’a pas de sens
physique
Cependant, bien que le débat ne puisse être que limité
et inconclusif, une vérité doit être dite concernant ce
problème : un modèle d’univers fini a un sens physique,
un modèle infini n’en a pas. Par conséquent en
déclarant que notre univers serait infini, les cosmologistes se trompent
(et
nous trompent) car ils font référence à un
modèle qui par construction n’a pas et ne peut pas avoir de rapport
avec la réalité, au sens strict de cette expression.
(Avant de poursuivre, j’insiste sur le fait, car un certain
expert a jugé bon de traiter de
caricaturale ma critique de
l’infini, que si je me livre à une attaque en règle de
l’introduction de cette notion abstraite en physique, je n’en
critique en rien l’usage en mathématique. Il n’y a là
aucune contradiction car de façon générale les symboles
mathématiques ne se retrouvent pas tel quel dans la
réalité. En l’occurrence, l’infini
mathématique, cela n’existe pas réellement. Mais pas plus
que le nombre pi.)
Premièrement, introduire l’infini
dans le monde physique c’est dire que l’inconnaissable absolu
existe. Cette proposition est logiquement et scientifiquement inacceptable car
elle introduit un arbitraire total dans la réflexion : on pourrait
aussi affirmer que Dieu ou les anges, inobservables par essence, existent. Par
définition même un univers infini ne pourra jamais être
exploré entièrement et à tout moment un volume
(lui-même infini) de cet espace échappera à toute
détection. Mais affirmer que quelque chose existe alors qu’on sait
avec certitude qu’on ne pourra jamais l’observer, est-ce bien
raisonnable ? La vérité est que réalité et
physique sont organiquement indissociables : la physique s’occupe de
la réalité, et la réalité, c’est ce dont
s’occupe la physique. Or la physique expérimente et observe. Du
coup, ce qui échappe au domaine expérimental (Dieu, les anges,
etc.) n’appartient pas à la réalité. Comme le concept
d’infini ne relève pas, par essence même, du domaine
expérimental et observationnel, il n’a pas de caractère
physique. En termes équivalents : l’infini n’appartient
pas à la réalité. Peut-on accepter par conséquent
que des savants soutiennent leurs balivernes sur l’infini ? Non car
on réalise bien que s’en référer à un univers
concrètement infini c’est se permettre de dire n’importe
quoi. C’est ouvrir grand la porte à des spéculations
irrationnelles. Je prétends que la science ne peut pas cautionner un tel
discours et que les cosmologistes artisans et partisans de la
réalité de l’infini font preuve d’errance de
pensée.
Une remarque s’impose. Dans le cas d’un
univers fini, il existe (« aussi » pourrait-on dire) des
galaxies qui, trop lointaines pour que leur lumière ait eu le temps de
nous parvenir, se révèlent momentanément inaccessibles
à notre vue. Elles se situent au-delà de la frontière de
l’horizon cosmologique, par définition de celui-ci. Cependant le
caractère physique de ces galaxies pour l’instant invisibles ne
fait aucun doute car on peut toujours imaginer une expérience (certes
virtuelle car irréalisable en pratique, mais néanmoins logiquement
saine) permettant la détection, à la longue, de toutes les
galaxies du cosmos. (De toutes façons, chaque seconde une nouvelle
portion d’univers de une seconde de lumière de profondeur, soit
300 000 kilomètres, entre dans notre champ de vision et il serait
ridicule de prétendre qu’avant de le voir ce morceau
d’univers n’existait pas physiquement !) Le temps au bout
duquel notre Univers se dévoilera dans sa totalité se compte
vraisemblablement en dizaines ou plutôt centaines de milliards
d’années (un nombre à vérifier dans
l’avenir !).
Deuxièmement, l’infini
c’est le non mesurable. Or pour la physique connaître c’est
mesurer, et mesurer c’est connaître. Donc l’infini, qui nie la
mesure, n’est pas physique. Sous ses grands airs d’infini le monde
est doté de dimensions s’exprimant par des nombres bel et bien
finis. Les nombres dits « astronomiques » ont
été domptés par la science, et ce n’est pas le
moindre mérite de cette dernière d’avoir mesuré ce
qui semblait
démesuré. Sait-on sur combien d’ordres
de grandeur s’étend notre portion visible d’Univers ?
Pour venir de la Lune il faut à la lumière une seconde 1/3 tandis
que pour venir de l’horizon cosmologique, la plus lointaine
frontière accessible, il lui faut entre une douzaine et une quinzaine de
milliards d’années (ce nombre représente l’âge
de l’Univers, par définition même de l’horizon).
Combien de puissances de dix séparent ces deux durées de
parcours ? Eh bien, il « suffit » de multiplier
dix-sept fois par dix la grosse seconde qui nous sépare de la Lune pour
atteindre les limites de la partie visible de notre Univers.
(Algébriquement, cela signifie que quinze milliards d’années
valent approximativement 10
17 secondes.) Je me permets
d’utiliser l’expression « il suffit de » pour
attirer l’attention sur le fait que l’exposant
« 17 » de la puissance de dix mesurant notre Univers en
secondes de lumière n’est finalement pas si grand, du moins en tant
que quantité considérée en elle-même et pour
elle-même. Pourtant le nombre 10
17 lui-même
dépasse tout entendement par son immensité : il est
proprement « inconcevable ».
En
vérité, les nombres physiques (c’est-à-dire ceux
relatifs à notre monde), les plus petits comme les plus grands,
s’écrivent avec des puissances de dix qui n’ont que deux
chiffres. Ainsi le nombre d’atomes dans l’Univers (l’un des
plus grands nombres que la physique sache écrire) vaut dans les
10
80, avec l’exposant de deux chiffres
« 80 ». En contradiction avec cette taille effective des
nombres physiques, considérer l’infini comme une
réalité physique, comme le font nos trop peu vigilants
cosmologistes, reviendrait à accepter comme correspondant à la
réalité des nombres doués d’exposants de plus de deux
chiffres et comportant (l’infini n’a pas de limites) trois, cinq,
dix, voire des centaines, des milliers, des millions ou des milliards de
chiffres (ou encore plus, arbitrairement plus !). Cette hypothèse
est totalement extravagante. Je sais qu’il est difficile pour le profane
de juger le degré de déraison (infini !) qu’implique le
fait d’envisager des puissances de dix très supérieures
à disons la centaine : la raison en est qu’il est
malaisé de visualiser l’échelle des puissances de dix tant
elle dépasse vite nos mesures humaines. C’est une raison
supplémentaire pour condamner ces physiciens du cosmos qui, au lieu de
brouiller les pistes, feraient mieux d’expliquer à leurs sœurs
et frères humains ce qu’est la mesure physique et comment se
comportent les puissances de dix au fur et à mesure qu’on en
accroît l’exposant. À propos, à l’époque
des calculettes électroniques ou sur ordinateur, essayez donc
d’élever 10 à la puissance 999 : une surprise vous
attend...
Troisièmement, croire notre monde réellement
infini, c’est croire que tout ce que l’on peut imaginer comme
événement, à condition qu’il soit conforme aux lois
de la physique, se produira (ou s’est déjà produit)
certainement quelque part. Et même il se re-produira. Aberrant non ?
Il faut pourtant pousser la logique de l’infini jusqu’à son
illogisme total. On peut en effet envisager un événement comme la
combinaison adéquate d’atomes dotés de telles ou telles
propriétés. Cette combinaison de particules
élémentaires a une certaine probabilité de se produire. Si
cette probabilité est trop faible, on pourrait penser que
l’événement considéré ne se produira jamais.
Mais si notre monde est infini, cette conclusion n’est plus valable car
par définition même, un monde infini dispose de suffisamment
d’espace et de temps pour que tout événement, si faible que
soit sa probabilité d’occurrence se produise effectivement.
J’étais interloqué l’autre soir (le 8 septembre 2005)
en entendant par hasard sur France-Info un entretien entre Marie-Odile
Monchicourt et l’astronome de renom Joseph
Silk
[3], ce dernier déclarant,
sans émettre la moindre réserve sur la véracité de
ses paroles et sans manifester d’étonnement, qu’un univers
infini était effectivement toujours suffisamment grand pour que puisse se
produire quelque part n’importe quel événement
imaginé. Dans son discours, c’était même la
différence essentielle avec un univers fini, pour sa part limité
dans le nombre des événements qui le constituent. Je frémis
de l’impact auprès du grand public de telles affirmations : si
un savant le dit, comment ne pas y croire ? Comment contester
l’incontestable ? Un bel exemple de beau mensonge. Comme cas
particulier de l’existence de toute situation imaginable physiquement,
l’infini soulève le paradoxe de la duplication. Si notre monde est
réellement infini, alors existe ailleurs une Terre en tous points
semblable à la nôtre, avec la même histoire et les
mêmes personnages. Cette idée ne relève évidemment
plus du domaine de la science.
Si donc les cosmologistes veulent
voir leur science rester science, il faut qu’ils abandonnent dare-dare le
concept d’univers infini et retournent à leurs chères
études, coûte que coûte du côté des
modèles finis (bien entendu non homogènes).
3.4 Infini cosmologique, infini mystique
Quatrièmement, l’infini quelque part c’est Dieu, et si
la science parle de l’infini comme une réalité elle verse
dans ce que j’appellerais le mysticisme cosmique, terrain tristement
favorable à l’intrusion du spiritualisme. Dieu, dans notre monde
occidental, est éternel et englobe tout. Il est plus grand que toute
chose. Faire référence à l'infini, surtout en liaison avec
le cosmos, alors que le ciel est facilement, dans l'imaginaire des peuples, le
domaine de Dieu, ou des dieux, peut conduire à des dérives
spiritualistes évidentes. Si la science banalise l'infini, ou lui apporte
sa caution, elle flirte avec des modes de représentation non scientifique
du monde et bascule dans la métaphysique. Dans la philosophie de Bouvard
et Pécuchet, Flaubert fait rappeler à ce dernier la
troisième preuve cartésienne de l'existence de Dieu :
« Être fini, comment aurais-je une idée de
l'infini ? - et puisque nous avons cette idée, elle nous vient
de Dieu, donc Dieu existe ! » Par leur apologie de
l’infini, les cosmologistes ne défendent-ils pas du même coup
indirectement et sournoisement la thèse de l’existence de
Dieu ? Ce qui n’entre tout de même pas dans leurs
attributions ! Parallèlement, se parer de l’infini,
n’est-ce pas s’investir d’une puissance
divine ?
Sérieusement, cette dérive de
l’infini est à replacer dans un contexte qui la rend
particulièrement malsaine : en effet il faut prendre conscience du
fait (qui d’ailleurs me contrarie à l’extrême) que
l’astrophysicien ou le cosmologiste jouit dans notre société
d’un prestige assuré et d’un pouvoir non contesté.
Dans les situations extrêmes, surtout dans un milieu artistique et
culturel branché, il bénéficie de l’image d’un
gourou salvateur sachant tout sur tout : sur la vie, sur la mort, sur le
cosmos, sur l’au-delà et, pourquoi pas, sur Dieu. Le savant anglais
que vous connaissez, médiatisé au-delà de toute convenance,
n’insinue-t-il pas que la science, sa science, serait sur le point
de découvrir la formule magique qui contiendrait le Grand Tout et
expliquerait, sans avoir besoin d’un Dieu tout-puissant, toute la
réalité cosmique ? (Pour le moins, si on oublie le
délai de réalisation, cette possibilité est clairement
exprimée, ce qui constitue déjà une prétention
inouïe, mais gratuite et fantasmatique.) Ce que je veux dire ici,
c’est que les prétentions des astrophysiciens trop complaisants
envers l’image que leur renvoie le miroir de leurs admirateurs et
admiratrices sont largement injustifiées, car leurs pouvoirs et leurs
savoirs ne sont pas à la mesure de ce qu’on leur prête,
à preuve les mensonges dont ils se montrent coupables. Le pouvoir dont
ils s’investissent est largement usurpé. Utiliser le prestige dont
ils jouissent pour tromper les gens est difficile à
accepter.
Or dans la panoplie des tromperies et affirmations
illégitimes l’infini occupe une place de choix. C’est la
notion qui ne souffre pas la moindre contestation. C’est
l’introduction de l’invérifiable par excellence. De ce point
de vue, l'infini est un refuge fort commode face à des questions
embarrassantes puisque, inaccessible par essence, il oppose une fin de
non-recevoir trop facile mais radicale à la légitime
interrogation. Imposer ce concept sans apporter la preuve de sa
véracité et de sa validité (et apporter cette preuve est
impossible), c'est user de la contrainte et de l'arbitraire au lieu d'essayer de
convaincre et de dialoguer. Parler de l'infini, c'est comme vouloir exercer un
pouvoir illusoire, ne reposant sur rien de légitime. C’est une
usurpation caractérisée de pouvoir.
4. Notre Univers est-il exceptionnellement
plat ?
4.1 Le théorème du jardin
Selon l’une des dernières nouvelles à sensation notre
Univers serait « plat » et cette caractéristique
serait tellement exceptionnelle pour un univers de big bang
(c’est-à-dire un univers né d’un état singulier
extrêmement condensé et subissant une expansion) que seul un
réglage intentionnel et diaboliquement précis des
paramètres physiques universels, en vue par exemple de garantir
l’avènement de la vie, pourrait l’expliquer. Après
l’infini cet autre mensonge est de taille : la vérité
est que tous les univers de big bang paraissent plats au début de leur
évolution, je vais dire ce que cela signifie, et le nôtre partage
sans surprise ce sort commun : il ne se distingue en rien du lot. Au
contraire, s’il ne paraissait pas plat, il contredirait si
profondément la théorie du big bang que celle-ci devrait
être mise au
panier
[4].
Bien que la
courbure de l’espace-temps soit de nature différente de la courbure
du globe terrestre, déjà parce que la courbure de la Terre est
celle d’une surface à deux dimensions alors que l’espace de
l’espace-temps en compte trois (et ensuite parce que la dimension
temporelle intervient aussi dans le formalisme einsteinien) il est
néanmoins tout à fait légitime, pour la question qui nous
occupe, d’établir un parallèle entre la courbure de
l’espace cosmique et la courbure de la surface terrestre. En effet, la
courbure se manifeste de la même façon dans l’un et
l’autre cas par l’inadéquation des formules euclidiennes qui
permettent de résoudre les problèmes d’angles et de
distances (par exemple : calculer la longueur du troisième
côté d’un triangle connaissant la longueur des deux autres
côtés et l’angle qu’ils forment ; calculer la
distance mutuelle de deux galaxies connaissant leur distance à la Terre
et la distance angulaire les séparant sur le ciel). La présence de
courbure nécessite l’emploi d’autres formules que les
formules euclidiennes.
Le nœud de la question de la platitude
apparente de notre Univers réside dans ce que j’appelle le
« théorème du jardin » (une
dénomination qui m’est propre). Celui-ci reconnaît simplement
que la détection de la courbure de la surface terrestre ne peut se faire
que si la portion de surface mesurée est suffisamment grande. Si au
contraire cette portion est trop petite les écarts à la
géométrie euclidienne seront minimes et la courbure se
révèlera indétectable. Ce qu’énonce mon
théorème du jardin : « À
l’échelle d’un petit jardin, la surface terrestre
paraît plate ». C’est exactement la même situation
pour l’Univers. Lorsque l’on sonde l’Univers sur une
profondeur trop faible, sa courbure est indétectable
(c’est-à-dire : les écarts à la
géométrie euclidienne sont trop petits pour être mis en
évidence) et l’espace paraît plat. (Qu’il soit clair
que l’espace, comme la surface terrestre, est courbe à grande
échelle ! L’espace ne semble plat qu’à petite
échelle,
localement, selon d’ailleurs la précision
des mesures.)
4.2 Quand un univers atteint-il son
« âge adulte » ?
Après cette nécessité de disposer d’un espace
suffisamment vaste pour détecter une courbure le deuxième
élément fondamental de la discussion est que notre Univers se
partage entre une partie visible et une partie invisible. Par conséquent
la portion d’espace explorable, mesurable, est imposée : elle
se réduit forcément, c’est évident, à la seule
partie visible, celle située en deçà de l’horizon.
Tout le problème est alors : la profondeur de cet espace
sondable est-elle suffisante pour permettre la détection de la
courbure ? Les modèles donnent la réponse :
« non » juste après le big bang,
« oui » à partir d’un certain degré
d’évolution.
Lorsque les univers de big bang naissent,
la portion relative d’espace visible autour d’un point est toute
petite (et même mathématiquement infiniment petite, ce qui pose
d’ailleurs des problèmes conceptuels que nos théories sont
incapables de résoudre), trop petite pour que la courbure puisse
être décelée. Ce qui se traduit par
l’énoncé : à leur naissance tous les univers
de big bang paraissent plats. (Nous verrons au paragraphe suivant que cela
signifie aussi qu’il est impossible à cette phase de distinguer un
univers fini d’un univers infini.) Ensuite, au fur et à mesure que
l’univers évolue, en poursuivant l’expansion initiale qui
l’anime, la portion relative d’espace visible augmente. Autrement
dit l’horizon cosmologique en un point recule (il recule d’une
année de lumière en un an !). Cela se comprend puisque, le
temps s’écoulant, la durée des trajets de lumière
augmente et la lumière, disposant de plus en plus de temps, peut
établir une connexion entre des galaxies de plus en plus lointaines les
unes des autres. Il va ainsi arriver un moment où l’horizon se
trouvera suffisamment loin pour que la courbure universelle devienne enfin
détectable.
Cette circonstance se produit lorsque
l’univers en question atteint un état d’évolution
suffisamment avancé qu’on peut appeler « âge
adulte ». Cet âge diffère d’un univers à
l’autre. Dans les modèles les plus simples, ce paramètre
d’âge adulte caractérise d’ailleurs entièrement
l’univers en déterminant l’évolution de ses
paramètres physiques (densité, volume, vitesse d’expansion,
etc.) en fonction du temps.
En résumé, un univers
paraît plat à sa naissance et ne se dévoile sa courbure
qu’en atteignant son âge adulte.
Quid de notre propre
Univers ? La discussion des cosmologistes étant actuellement
faussée pour les raisons que j’ai indiquées (notamment parce
qu’ils s’en réfèrent à tort au modèle
infini homogène et isotrope) on ne peut pas donner de chiffres
sûrs. Cependant, on peut admettre que notre Univers est âgé
d’environ douze à quinze milliards d’années car
plusieurs estimations indépendantes de ce nombre (dont celles
basées sur l’évolution et l’âge des
étoiles) se recoupent autour de cette valeur. Or, il semble bien que
notre Univers soit à un âge moyen de sa
« vie », c’est-à-dire qu’il n’est
ni trop jeune ni trop vieux, tout simplement car cela se verrait. (Ce fait a
d’ailleurs une résonance « copernicienne » que
j’aime bien car s’il se révélait juste il signifierait
que nous ne nous trouvons pas à une étape particulière de
l’évolution.) Cela veut justement dire qu’il est en train
d’atteindre son âge adulte et que sa courbure commence à
peine à être détectable. Il n’y a donc rien
d’étonnant à ce que notre Univers paraisse encore plat, car,
pour déceler une courbure encore peu affirmée, les mesures, se
faisant sur des distances atteignant les milliards d’années de
lumière, sont délicates et peu sûres.
4.3 À propos du prétendu réglage
fin de notre Univers
Nous avons signalé plus haut qu’il existe en
mathématiques deux catégories de modèles
d’univers : les modèles finis (les seuls pertinents
physiquement) et les modèles infinis. Observationnellement parlant, dans
les premiers la densité effective est supérieure à la
densité critique, dans les seconds elle lui est inférieure. Nos
cosmologistes affirment que la densité de notre propre Univers aurait
été « choisie » de façon à le
doter des propriétés physiques que nous lui connaissons
aujourd’hui. De plus, soutiennent-ils, le réglage de densité
aurait été réalisé de façon diaboliquement
précise parce que le moindre écart à la valeur
désirée aurait conduit l’univers à subir une
expansion beaucoup trop rapide pour que les étoiles aient eu le temps de
se former ou à d’autres circonstances défavorables à
la formation des nécessaires planètes. Je prétends
qu’ils ont tout faux : voici pourquoi.
Je ne sais pas par
qui la densité de l’univers peut être
« choisie », mais ce que je sais c’est que dans les
modèles d’univers la densité n’est pas un
paramètre libre, ce qui veut dire que l’on ne peut pas lui
donner une valeur arbitraire. En particulier il est stupide (que l’on me
pardonne le qualificatif mais c’est le « mot juste »)
de penser que l’on peut changer de type d’univers en changeant de
densité. C’est le type d’univers, fini ou infini, qui
détermine la densité (et notamment son rapport à la
densité critique) ; ce n’est pas la densité qui
détermine le type d’univers. Par conséquent dire que la
densité de notre Univers a été choisie de façon
à lui donner telle structure est un nouveau mensonge. Si on
considère un univers fini, alors sa densité, donnée par les
équations classiques, sera forcément supérieure à
tout instant à la densité critique. C’est la situation
inverse (densité inférieure à la densité critique)
qui prévaut pour un modèle infini. Mais il serait absurde de
prétendre que la donnée de la densité fixe l’univers,
pour la bonne raison que les équations d’un univers fini ne sont
pas les mêmes que celles d’un univers infini et que par
conséquent, tant qu’on n’a pas fait son choix entre les deux
systèmes, on ne peut conduire aucun calcul. Conclusion :
n’étant pas optionnelle, la densité de matière de
notre Univers n’a pas pu être choisie pour quelque motif de
convenance que ce soit.
La question de la précision du
réglage (impossible) recouvre une autre escroquerie. En accord avec notre
théorème du jardin, la courbure de l’espace n’est pas
décelable au big bang ni dans les premiers stades évolutifs de
l’univers. Il en résulte que la distinction ne peut pas se faire au
départ entre univers fini et univers infini, et que pareillement dans les
équations la densité est « presque
strictement », pourrait-on dire, égale à la
densité critique. Mathématiquement parlant,
l’égalité n’est pas exactement réalisée,
évidemment, puisque dans un cas (fini) le rapport est supérieur
à l’unité, ne serait-ce que d’une quantité
infime, et dans l’autre il est inférieur, ne serait-ce que
d’une quantité infime. L’entourloupette consiste à
faire croire que c’est ce terme « infime », celui qui
fait la différence entre univers fini et univers infini, ce terme qui
contient en germe la courbure future, qui précisément pourrait
être choisi par ajustement du rapport de la densité réelle
à la densité critique (ce rapport est souvent baptisé
Oméga, comme le savent les amateurs éclairés en
matière de big bang). Or nous venons de voir qu’il est faux de
penser que ce terme (et notamment son signe) pourrait être
ajusté.
Au-delà du réglage lui-même, dont
nous relevons l’absurdité qu’il y aurait à y croire,
pourquoi maintenant les cosmologistes parlent-ils d’un caractère de
précision extrême dans l’ajustement du paramètre
Oméga ? La réponse est facile : la précision
alléguée tient dans la différence fantastique
d’échelle, différence incompréhensible, entre le
monde atomique et le monde cosmique. En ce début de troisième
millénaire les modèles d’univers sont concoctés par
deux catégories un peu distinctes de chercheurs : les physiciens
théoriciens et les astronomes. Les premiers travaillent à
l’échelle de l’atome, les seconds à celle de
l’Univers. Les premiers font appel à la mécanique dite
quantique, celle de l’atome, les seconds à la théorie de la
gravitation. Le problème est le suivant : au big bang les deux
théories sont nécessaires puisque d’un côté il
s’agit de l’univers entier et de l’autre la taille du cosmos
est réduite à celle d’un atome ! Or on le sait, et on
le sait de façon absolument certaine : ces deux théories sont
incompatibles. Par conséquent nous savons que nous ne pouvons pas
savoir. Nous savons que nous ne possédons pas la théorie
voulue pour décrire le big bang. Dans ce cas, oser parler de
« conditions physiques » au big bang et oser
prétendre que la valeur des paramètres initiaux (ainsi qu’on
les nomme) a été fixée de telle ou telle façon est
malhonnête et par conséquent forcément mensonger. La
physique du début de l’Univers échappe à notre
théorie.
Il est facile de chiffrer le degré
d’incompatibilité entre atomique et cosmique et de localiser de la
sorte l’origine de cette croyance en l’extrême
précision du réglage des paramètres primordiaux. Les
physiciens théoriciens se placent à ce que l’on appelle
l’échelle de Planck, qui correspond à un temps
d’environ 10 -43 seconde. L’Univers dans son
ensemble est caractérisé, nous l’avons vu, par
l’âge auquel il atteint sa maturité. Pour notre Univers, cet
âge se compte en dizaines de milliards d’années, soit en
chiffres ronds 1017 secondes (un nombre déjà
rencontré plus haut). La distance (le rapport) entre ces deux temps
caractéristiques est de 1060 : autrement dit soixante
ordres de grandeur séparent l’atome du cosmos. Aucune
théorie ne peut expliquer ce nombre, aucune théorie ne le
contient. Hic jacet lupus.
4.4 Le problème de la platitude
« Notre Univers est-il exceptionnellement plat ? »
C’était la question posée en ce début de section. Si
cette partie a pu sembler rébarbative à certaines ou certains, en
voici un bon et honnête résumé, facile à
retenir : entre l’échelle atomique et l’échelle
cosmique existe un écart de soixante puissances de dix et aucune
théorie présente ne peut rendre compte de l’immensité
de cet écart. Le « problème de la platitude »
(si on tient à voir un problème dans l’apparente platitude
de notre Univers), c’est celui de l’incompatibilité entre ces
deux échelles. (Je me permets de noter que cette
« incompatibilité » n’existe qu’au niveau
de nos théories : la nature, elle, sait les faire
coexister !)
5. La vie est-elle le fruit d’une
nécessité ?
Copernic a de quoi se retourner dans sa tombe. Et je ne suis pas fier de
mes confrères astrophysiciens. Alors que des siècles de combat
nous avaient délivrés d’une vision anthropocentrique des
choses, les cosmologistes modernes se tournent de nouveau vers une sorte de
religion espérée « réconcilier »
l’Homme avec l’Univers, religion que je qualifie de
« pananthropique » pour souligner le destin cosmique qui est
voué à l’être humain dans cette conception moderniste.
Ces savants prêchent leur foi en la nécessité de la vie en
avançant l’idée que l’Univers a été
créé avec l’intention d’y faire naître cette
vie. Je suis surpris de l’influence exercée par les cosmologistes
sur la pensée philosophique mais constate avec d’autant plus de
regret qu’ils défendent un point de vue partial. Chercheraient-ils
à nous tromper une fois encore ? Leur conviction est-elle
basée sur des arguments scientifiques solides ou n’est-elle que le
reflet de préjugés métaphysiques ? Pour rester dans
l’esprit de cet article, que valent les arguments par eux
avancés ? Aucun n’est convaincant mais surtout certains sont
spécieux, d’autres sont carrément faux. Il y a aussi des
mensonges par omission. Je n’ai certes pas la place d’examiner ici
à fond le sujet de la vie dans l’Univers, mais je voulais
simplement rétablir la vérité sur quelques
points
[5].
5.1 Le principe de complexité : encore
un beau mensonge
Peu soucieux du caractère hasardeux des événements qui
ont amené la vie à apparaître, les cosmologistes que je mets
ici en cause défendent la thèse selon laquelle la vie aurait
été programmée dès l’origine des temps de
façon à surgir de façon certaine. Insistant sur l'aspect
évolutif du monde ils décrivent la marche vers
l’humanité comme le trajet d’une
« flèche » se dirigeant droit vers son but
après avoir reçu l’impulsion convenable. Ils voient dans
cette évolution cosmique, de la naissance des particules
élémentaires à la synthèse des différents
noyaux atomiques puis aux assemblages atomiques incroyablement complexes des
êtres vivants, le signe que l’être humain est rattaché
de façon nécessaire à la création de l'Univers. Ils
vont jusqu'à énoncer un principe selon lequel
« l'Univers possède, depuis les temps les plus reculés
accessibles à notre exploration, les propriétés requises
pour amener la matière à gravir les échelons de la
complexité ». Reeves le baptise «
principe de
complexité ».
Cependant, sous ses grands airs,
la phrase citée ne veut pas dire grand-chose et le raisonnement
sous-tendant ce genre d'argumentation est spécieux. En effet, que
l'Univers possède toutes les propriétés
nécessaires à l'apparition de la vie relève de la
simple évidence logique : si ces conditions nécessaires
n'avaient pas été réalisées, la vie n'existerait
pas ! Par exemple si l'eau est nécessaire à la vie, alors,
sans eau, pas de vie. La proposition incriminée enfonce donc des portes
ouvertes : bien entendu l’Univers possède les
propriétés qu’il manifeste ! Le point litigieux c'est
que ce genre d'affirmation veut faire croire, sans le dire explicitement, que
les conditions réunies étaient aussi
suffisantes (de l'eau,
donc de la vie...), c'est-à-dire que l'Univers réunit des
circonstances telles que la vie devait assurément y surgir, ici ou
là (ce caractère de nécessité faisant
d’ailleurs que la vie posséderait alors un caractère
universel). Et à ce point, il faut y regarder de plus près.
La vie est-elle le fruit d’une
nécessité ?
Scientifiquement parlant, il n'existe
aucun principe selon lequel la matière devrait forcément
évoluer du plus élémentaire au plus organisé, aucun
principe selon lequel nous aurions été forcés d'exister.
Élever l'apparition de la vie au statut de principe relève de
l'acte de foi ou de la spéculation, mais pas de la démarche
scientifique. Je ne prétends évidemment pas que les processus
ayant amené la matière à se complexifier seraient
contraires aux lois de la physique (puisqu’ils se sont produits
c’est qu’ils étaient permis !), mais la
vérité est que ces processus sont largement imprévisibles
et qu’on n’y retrouve aucune trace d’obligation. Une
discussion complète sur les conditions d’apparition de la vie (dont
nous ne savons rien d’ailleurs) déborderait du cadre de
l’article mais je veux surtout relever ici le mensonge sur le principe de
complexité invoqué par Reeves et d’autres. Il faut savoir en
effet qu’en physique il n’existe pas de principe de
complexité. Un étudiant ou un chercheur qui se laisserait guider
par un tel théorème pour conduire ses calculs ou ses raisonnements
ferait tout faux. D’autres lois régissent l’évolution
des systèmes physiques (loi de conservation de l’énergie,
principe de relativité, égalité de l’action et de la
réaction, conservation du moment cinétique, etc.) mais aucune
d’entre elles n’agit dans le sens indiqué d’une
complexification obligatoire. Il se trouve justement qu’à
l’opposé d’un illusoire principe de complexité existe
un principe, juste celui-là, imposant que le degré de
désordre (mesuré par ce que l’on nomme l’entropie)
d’un système isolé subissant des transformations ne peut que
croître. Un système physique réel verra donc augmenter son
degré de désorganisation, mais en aucun cas de façon
globale son degré d’organisation. (Cela prouve d’ailleurs que
l’augmentation de la complexité dans une partie du système
doit forcément être compensée par une désorganisation
plus grande de l’autre partie. Trinh Xuan
Thuan
[6] parle justement, à ce
propos, des étoiles comme « des machines à fabriquer du
désordre ». Ce point n’est pas non plus ignoré par
Reeves.) Par conséquent invoquer une loi de complexification (ou laisser
entendre qu’elle existe) et affirmer que l’évolution de
l’Univers se traduit nécessairement par une montée de la
complexité est une imposture scientifique.
L’argument de
la croissance de la complexité n’est pas nouveau. Dans sa vision
globalisante de la place de l’Être humain dans l’Univers,
Teilhard de Chardin (1881-1955) fait référence à un
processus cosmique d’organisation capable de regrouper de façon
cohérente l’« immense succession de faits »
conduisant au « phénomène humain ». À
ceci près que le jésuite paléontologue fait explicitement
référence à une conscience universelle vers laquelle
convergerait l’humanité pour se fondre en elle (conscience que les
cosmologistes d’aujourd’hui n’osent pas encore,
majoritairement, introduire dans leur schémas), l’idée de la
croissance de toute matière vers plus de complexité est la
même.
La nouveauté déconcertante c’est la
caution scientifique apportée par les cosmologistes à cette loi de
complexification, devenue maintenant, publicité aidant, la nouvelle tarte
à la crème de la pensée moderne sur la place de
l’Homme dans l’Univers. On parlera d’une
« ascension » vers la complexité, comme si la
réalité d’une marche progressive et orientée de
l’évolution cosmique était avérée, et on
entendra affirmer, pour marquer la filiation directe entre cosmos et
espèce humaine que nous sommes « poussières
d’étoiles ».
Certes, les astrophysiciens nous
ont beaucoup appris sur l’évolution de l’Univers, en
découvrant notamment le big bang et l’expansion de l’espace,
mais dérouler l’histoire universelle comme si elle
« convergeait » vers l’Homme est scientifiquement
injustifié. En effet, si on prend soin ne pas se laisser aveugler par des
préjugés métaphysico-religieux dans
l’émergence de l’être pensant que nous sommes, la
montée vers la complexité (indéniable !) qui sur notre
Terre a abouti à la vie apparaît unique et surtout ne se
présentera jamais comme une loi universelle incontournable. Ce que la
science a découvert sur la réalité de la nature avant que
la mode pananthropique ne la corrompe c’est bien que la vie fait
exception. Face aux fantasmes de l'humanité, toujours prête
à peupler les autres astres de civilisations merveilleuses ou
monstrueuses, elle nous a appris que les astres que nous connaissons sont tous
inhabités. Et bel et bien inhabitables.
5.2 L’universalité des lois de la
nature
Avancer que l’universalité des lois de la nature aurait pour
conséquence directe quasiment inéluctable l’existence de vie
ailleurs que sur Terre est ce que j’appelle un « argument
d’avocat », c’est-à-dire un argument
déformant la vérité jusqu’à la rendre
carrément mensongère. Pour être juste, cet argument
n’est pas trop utilisé directement par les cosmologistes
professionnels mais si je le cite ici c’est qu’il l’est
souvent en revanche par certains défenseurs inconditionnels et peu
scrupuleux de la possibilité d’existence de vie extraterrestre.
Autant mettre en garde les personnes qui pourraient se laisser prendre au
piège.
Après Fontenelle (1657-1757), qui diffusa les
nouvelles idées scientifiques et philosophiques de son temps, dont la
cosmologie copernicienne, l’astronome et formidable vulgarisateur Camille
Flammarion (1842-1925) est sans doute l’un des spécialistes qui
contribua le plus à la répandre l’idée de la
pluralité des mondes auprès du public. Pour tenter
d’apporter des éléments scientifiques à son
raisonnement il distingue entre mondes imaginaires et mondes réels en
s’appuyant justement sur les lois de la physique et de la chimie. Puisque
leurs principes s’appliquent partout pourquoi la vie ne se trouverait-elle
pas, elle aussi, partout ?
Il est vrai que les lois de la
physique et de la chimie sont universelles : elles sont valables toujours
et partout, dans quelque endroit de l’Univers que ce soit et à
toute époque. Cependant, toute la question est là, il ne faudrait
pas en déduire que les conditions physiques sont les mêmes partout
dans l’Univers. Le faire serait verser dans le mensonge. Si les lois de la
physique sont les mêmes dans le Soleil, depuis son centre
jusqu’à sa surface, et sur Terre, on voit bien que les conditions
physiques ne sont pas les mêmes dans ces deux astres. Rien de comparable
entre le plasma du centre du Soleil à une température de quelque
quinze millions de degrés, le gaz de sa surface à environ six
mille degrés et la surface de la Terre avec une température de
grossièrement trois cents degrés Kelvin (soit quelques dizaines de
degrés ordinaires). Les mêmes lois physique sont capables de
produire une quantité prodigieuse de situations différentes :
voilà ce qu’il faut savoir. Dans sa prodigalité, l'Univers
abrite une immense quantité de mondes extrêmement dissemblables, au
point qu’il est impossible de comparer une planète et un quasar,
une étoile et une comète, un nuage de poussières
interstellaires et une supernova en train d’exploser. Prétendre
donc que les mêmes lois produiraient les mêmes effets est une
aberration. D’ailleurs, même pour des corps finalement comparables
entre eux comme le sont les planètes de notre système solaire, si
un résultat de l’exploration spatiale a vraiment frappé au
plus haut point les scientifiques, c’est bien l’extraordinaire
diversité des astres concernés. Chaque planète est un monde
en soi, en tous points différent des autres.
En toute bonne
foi, on peut certes admettre qu’à partir du moment où les
mêmes conditions physiques que sur Terre seraient réalisées
sur une autre planète (ce qui n’est déjà en rien
facile), alors les mêmes lois physiques rendraient plausibles la
présence de vie. Mais plausibles jusqu’à quel point ?
Nous ne savons absolument rien sur les mécanismes physiques qui ont
permis à cette vie de surgir. À quelque étape que ce soit,
tout semble indiquer que les processus ayant joué un rôle dans
l’histoire qui s’est terminée en « vie »
entrent dans la catégorie des phénomènes qualifiés
en physique de hors équilibre et non linéaires,
lesquels sont largement imprévisibles, de sorte que nous en sommes en
fait réduits, dans l’état actuel de notre ignorance,
à estimer une probabilité d’apparition de la vie. Et
dans ce problème le facteur principal à considérer est le
nombre de planètes, qui conditionne évidemment le nombre
d’essais envisageables concrètement.
5.3 Le nombre de planètes dans
l’Univers
Reeves
écrit
[7] :
« Il y a vraisemblablement des millions de planètes
habitées dans notre Galaxie comme dans les autres galaxies ».
Il est présomptueux de lancer une telle affirmation. Comme
l’apparition de la vie baigne dans le mystère le plus épais,
aucun mécanisme physique capable de la produire n’ayant
été identifié, les scientifiques essayent de repérer
les conditions physiques susceptibles de créer la vie et tentent
d’évaluer les chances que de telles circonstances favorables aient
été réunies quelque part. Autrement dit, nous nous
plaçons dans le cadre d’un calcul de probabilité et posons
la question de savoir quelle est la chance que la vie soit apparue ailleurs que
sur Terre. Nous allons montrer ici que dans ce contexte probabiliste, le nombre
de planètes disponibles par galaxie est finalement très petit et
que de ce fait il est fort possible (et même très vraisemblable
selon moi) que nous soyons seuls dans l’Univers. Le mensonge est de dire
que le nombre de planètes est
si grand que
l’événement « vie » aurait eu de fortes
chances de se reproduire.
La première chose à
comprendre (le faux contre-argument m’est souvent opposé) est
qu’il n’y a pas le moindre paradoxe à déclarer que la
vie avait une probabilité quasiment nulle d’apparaître alors
qu’elle est effectivement apparue. Pour dire les choses très (et
trop) rapidement, mais le contexte aidera à en saisir le sens, un
événement de probabilité à priori pratiquement nulle
peut très bien s’être produit dans la réalité
sans que cela soulève une quelconque contradiction. Prenons
l’exemple suivant. Considérons un dé à dix faces
permettant d’obtenir au hasard un chiffre entre 0 et 9. Par jets
successifs tirons au sort un nombre de taille donnée, de par exemple
quatre-vingts chiffres. Le raisonnement est simple : si nous
procédons à un tirage, forcément nous obtiendrons un
nombre : appelons-le « N ». Or, ce nombre N n’est
qu’un parmi une quantité de possibles de 10
80, tellement
phénoménale (nous l’avons vu plus haut : cette valeur
est celle du nombre d’atomes dans tout l’Univers !) que la
probabilité de sortir ce nombre N
donné à
l’avance est nulle en pratique. Donc ce « N »
avait une probabilité nulle de sortir, et pourtant il est sorti.
Illustration concrète : je tire un nombre de quatre-vingts chiffres
et j’obtiens par exemple : 83007 83870 28770 53913 36956 33121 03707
26401 92491 06768 23119 92883 75641 14142 20167 42752. Ce nombre est sorti (il
fallait bien qu’il en sorte un !) : il est sous mes yeux.
Cependant, ce nombre précis, je ne le retrouverai jamais par tirage
aléatoire. Autrement dit la probabilité que ce nombre sorte est
bien nulle (nulle : en pratique). De même, si je me donne un nombre
à priori, par exemple : 29693 82719 58568 97597 59626 10415 91526
57577 79078 23349 80567 84002 29015 32052 13893 53737, eh bien, jamais je
n’obtiendrai non plus ce nombre par tirage aléatoire. Sa
probabilité d’apparition est nulle, toujours en pratique
(mathématiquement, elle est de
10
-80).
Premier point donc : si la vie
s’est produite, elle s’est produite, un point c’est tout,
chance ou pas chance. Le fait que la vie existe sur Terre ne nous renseigne en
rien sur la « probabilité que cette vie se soit
produite ». Qu’entendons-nous donc par cette dernière
phrase ? Imaginons que nous revenions au point de départ,
c’est-à-dire que nous considérions dans les premières
étapes de son évolution un univers possédant des
propriétés physiques absolument identiques au nôtre
(même densité, même température, même taux
d’expansion, même durée de vie, etc.). Quelle est la
probabilité que cet univers abrite plus tard la vie ? Quelle est la
probabilité que la vie se reproduise dans ce nouvel univers ?
Voici les bases du calcul à conduire, et surtout les nombres
qui lui correspondent.
Comme les étapes décisives dans
la production de la vie (dont nous sommes loin d’avoir dressé
l’inventaire) semblent imprévisibles, on peut imaginer cette
création de vie comme le résultat, chanceux ou malchanceux,
d’une série de lancers de dés. Nous utiliserons comme plus
haut un dé comportant dix faces, permettant donc de tirer à chaque
lancer un chiffre entre 0 et 9. Imaginons alors que les planètes jouent
au loto cosmique en tirant au hasard à leur naissance un nombre de
longueur donnée. Les planètes gagnantes seront celles qui auront
trouvé le numéro de la vie et leur récompense sera de voir
naître cette dernière sur leur sol. Quel est le nombre de
planètes que nous nous attendons à voir gagner ? Tout
dépend en premier lieu du nombre de planètes candidates. Or il se
trouve que nous connaissons ce nombre, égal au nombre de planètes
dans l’Univers. Nous pouvons donc préciser les
choses.
Dans un groupe de personnes, combien d’individus en
moyenne sont susceptibles de gagner au loto ? Ou, ce qui revient au
même mais permet d’exprimer les choses de façon plus concise,
pour un nombre donné d’essais, quelle est la chance de trouver le
bon numéro ? Le résultat de la théorie complète
(d’ailleurs facile à mener) paraît normal. On s’attend
bien déjà à ce qu’il faille un nombre d’essais
suffisant pour trouver le bon numéro (car ce n’est pas en moyenne
au bout d’un seul essai que vous trouverez le numéro à
quatre chiffres d’une carte bancaire) et à ce que le nombre
d’essais nécessaires soit d’autant plus grand que la taille
du numéro à trouver est grande. Le calcul indique en fait que la
chance de réussite n’est appréciable que lorsque le nombre
d’essais devient égal au nombre de possibilités de choix.
Ainsi un code de carte bancaire étant un nombre compris entre 0000 et
9999, la bonne combinaison est une possibilité parmi dix mille
possibilités et par conséquent en moyenne il faut effectuer dix
mille essais avant de la trouver dans ce lot des possibles. (Comme
annoncé, et comme on peut le constater expérimentalement, on ne
devine donc pas le code du premier coup !)
Le
théorème est général. S’il s’agit de
trouver un nombre de un chiffre parmi les dix possibles (0, 1, 2, 3...) de 0
à 9, il faudra réunir en moyenne dix personnes pour qu’une
ou plusieurs d’entre elles gagne dans le groupe. Dans le cas d’un
nombre de deux chiffres, il faudra cent personnes en moyenne pour qu’une
au moins trouve le numéro gagnant parmi les cent numéros possibles
de 00 à 99. Dans le cas d’un nombre de trois chiffres, il faudra en
moyenne mille personnes (ou mille essais) pour trouver le numéro gagnant
parmi les mille possibles de 000 à 999. Et ainsi de suite. Il faut
toujours en moyenne n essais pour trouver le numéro gagnant parmi n
possibilités de choix. En gros, il faudra cent mille essais ou tirages
pour trouver le nombre 93395 parmi les nombres de cinq chiffres. Les adeptes du
loto font quotidiennement l’expérience de ce genre de
considérations théoriques inéluctables ! (Notons
toutefois que si elle donne bien le nombre de personnes gagnantes, en moyenne,
la théorie n’est pas capable de fournir leur
nom...)
Appliquons notre résultat statistique au loto cosmique
de la vie. À combien s’élève le nombre de
planètes participant au jeu de la vie ? En gros à mille
milliards (soit 10
12) par galaxie. En ordre de grandeur, ce chiffre
est sûr. Si incertitude il y a dans l’appréciation de la
probabilité de présence d’une vie hors de Terre, elle ne
vient pas de l’estimation du nombre de planètes
disponibles. Ce nombre grossier de mille milliards se base sur une bonne
mesure de dix à cent milliards d’étoiles dans une galaxie
moyenne et sur le nombre arbitraire mais assez plausible d’une population
d’en moyenne dix planètes autour des étoiles (ce nombre
pourrait se révéler inférieur mais il ne peut pas se
trouver plus grand par plusieurs ordres de grandeur). D’après la
théorie que nous venons d’exposer, une population de mille
milliards de planètes est capable de trouver en son sein une gagnante
à la condition que le nombre de possibilités de choix soit
inférieur à ce mille milliards, c’est-à-dire que la
longueur du nombre à trouver ne dépasse pas douze chiffres (mille
milliards, c’est le nombre de nombres de 12 chiffres, de 000 000 000 000
à 999 999 999 999, juste avant 1 000 000 000 000, ou
mille milliards).
En conclusion : si ce que j’appelle le
« nombre de la vie » comporte moins de douze chiffres, alors
on peut en conclure que d’autres planètes sont habitées. Si
au contraire il est plus long, et même beaucoup plus long
jusqu’à en compter des milliers ou plus, alors nous sommes seuls
dans l’Univers et la vie y fait exception.
Comme
annoncé, le point ressortant de cette discussion est que contrairement
à ce que laissent entendre la plupart des cosmologistes le nombre de
planètes dans notre Univers est petit
si on l’envisage dans le
cadre d’un calcul de probabilité (or nous sommes dans ce cas).
Si mille milliards est bien le nombre moyen d’essais pour trouver un
numéro de douze chiffres, ce nombre est insuffisant par exemple pour
trouver avec une chance non négligeable le numéro de quatorze
chiffres venant de me servir à créditer le compte de mon
téléphone portable (il faudrait en moyenne cent fois plus
d’essais pour le trouver). Cette conclusion-là sur la petitesse
relative du nombre de planètes est ignorée, voire
intentionnellement cachée. Maintenant le nombre de la vie ne
comporte-t-il que douze chiffres ou est-il plus long ? Il serait à
mon tour présomptueux de ma part d’indiquer la longueur du nombre
gagnant, cette quantité critique qui finalement décide de
tout : je ne la connais pas, pas plus que quiconque. Mais après
analyse de la situation j’avoue que je me rallie sans hésitation,
au vu des résultats scientifiques sur le caractère
imprévisible de la venue de l’espèce humaine, à la
thèse de Jacques Monod (1910-1976) selon
laquelle
[8] la longueur du nombre de
la vie atteindrait des valeurs considérables (le million, ou plus ?)
nous forçant à conclure que la vie n’a aucun
caractère de nécessité dans un monde comme le nôtre
et que par conséquent nous y sommes bien seuls. À ce propos, que
l’on me permette de déplorer amèrement le peu d’estime
dont bénéficie de nos jours la pensée pourtant si
élevée, riche, honnête et cohérente de Jacques Monod,
cet auteur étant jugé comme dépassé par nos penseurs
contemporains, qui doivent sans doute s’estimer eux-mêmes plus
savants et plus habiles. J’en veux aux cosmologistes et autres
astrophysiciens, car ils sont selon moi hautement responsables de cet
état de fait, injuste, comme j’ai tenté de le dire ici.
6. La religion est irréconciliablement
antagoniste de la science
Quelle leçon tirer du fait que les cosmologistes en arrivent
à mentir ? Personnellement j’y vois là une belle preuve
des dommages sur la pensée rationnelle que peut provoquer
l’irruption en science de considérations et préjugés
d’ordre spirituel, religieux ou métaphysique. Forcément les
cosmologistes touchent à la question de la place de l’Être
humain dans l’Univers, et par conséquent à un domaine que la
religion a toujours voulu annexer. Forcément leurs interrogations ont une
dimension métaphysique. Pourtant c’est à la science, et
à la science seule, de se prononcer sur la
vérité des
choses. La religion n’a rien à dire sur la question. Elle
n’en a d’ailleurs pas la capacité. Il faut accepter les
résultats de la science, à condition bien entendu, c’est
l’objet de cette intervention, que ses serviteurs restent honnêtes
avec eux-mêmes. Pour un chercheur, se laisser contaminer par ses
convictions personnelles conduit à la faillite de la mission qui lui est
confiée puisque cette conduite peut le pousser à
méconnaître ou travestir la réalité. Cette
irrationalité d’attitude d’esprit de la part des
cosmologistes est selon moi une preuve de la stérilité d’un
dialogue par ailleurs impossible entre Science et
Foi
[9]. Cette preuve s’ajoute
à d’autres puisque l’histoire montre que jamais la foi
n’a permis la moindre avancée dans la découverte de la
réalité.
Le cas échéant, comme on le
voit ici, l’influence de la religion sur la science peut
s’avérer nocive à cette dernière. Personnellement,
dans le débat toujours relancé sur les rapports entre Science et
Foi, je suis de plus en plus persuadé en avançant dans ma
réflexion que ces deux formes de pensée sont profondément
et irréconciliablement incompatibles et je vois de moins en moins comment
un savant quelque peu honnête pourrait se laisser entraîner dans les
considérations irrationnelles, arbitraires et dogmatiques de la doctrine
religieuse, sauf à aliéner sa raison (comme dans l’emploi de
l’infini), user d’une logique tordue (comme pour le principe
anthropique) ou mentir (comme pour la platitude de l’Univers). Les valeurs
des Lumières sont ici en danger parce que des scientifiques de profession
cherchent à concilier leur démarche rationnelle avec
l’affirmation dogmatique d’une vérité d’ordre
religieux sur le sens de l’aventure humaine, voulant notamment voir
confirmée, malgré les apparences contraires, leur foi dans le
caractère prémédité de la vie. Or s’ils
veulent découvrir le pourquoi de la Vie, les cosmologistes doivent
impérativement abandonner l’idée qu’une religion leur
fournit la réponse. Que la vie soit unique dans l’Univers ou
qu’elle soit universelle, qu’elle soit le fruit du hasard ou de la
nécessité,
c’est à la science de trancher.
Le succès funeste de la doctrine pananthropique, qui
emmêle les deux domaines, scientifique et spirituel, et le retour de
l’idée selon laquelle la vie répondrait à une
intention universelle en couronnant l’ascension nécessaire de la
matière vers la complexité et le progrès traduisent pour
moi un recul considérable de la pensée humaine. Ou, plus
simplement, trahissent la vérité des
choses.
[1] Angèle Kremer
Marietti,
Quelle(s) définition(s) de la matière un
matérialisme contemporain pourrait-il revendiquer ?, in
Les
matérialismes (et leurs détracteurs), Éditions
Syllepse, 2004, p. 61
[2] Christian Magnan,
L’infini des cosmologistes :
réalité ou imposture ? in
Les matérialismes (et
leurs détracteurs), Éditions Syllepse, 2004,
p. 181
[3] Joseph Silk,
L’Univers et l’infini, Éditions Odile Jacob,
2005
[4] Charles W. Misner,
Kip S. Thorne, John Archibald Wheeler,
Gravitation, W. H. Freeman and
Company, 1973, p. 742
[5] Christian Magnan,
Les « raisonnements anthropiques »
ont-ils des fondements théoriques ? in
Les
matérialismes (et leurs détracteurs), Éditions
Syllepse, 2004, p. 493
[6] Trinh Xuan Thuan,
La mélodie secrète, Fayard,
1988
[7] Hubert Reeves,
Patience dans l’azur, Seuil, 1981,
1988
[8] Jacques Monod,
le
Hasard et la Nécessité, Seuil,
1970
[9] Pierre Deleporte et
Jean-Sébastien Pierre,
Jacques Arnould et le recul élastique du
dogme in
Les matérialismes (et leurs détracteurs),
Syllepse, 2004, p. 545
Jean Dubessy et Guillaume Lecointre (sous la
direction de),
Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en
sciences, Éditions Syllepse, 2001