Ainsi se réalise positivement le pouvoir
spirituel. Quant au pouvoir temporel, il s'établit par la voie des
invasions germaniques :
Si les deux pouvoirs sont alors
rapprochés, ils ne sont pour Comte constitués qu'aux XIe et
XIIe
siècles, si l'on tient le Concordat de Worms (1122) comme le
couronnement de la lutte du Sacerdoce et de l'Empire : dès lors est
établie la distinction entre l'investiture spirituelle et l'investiture
temporelle. À la même époque, d'une part s'établit la
féodalité comme pouvoir national, d'autre part s'organise
l'autorité du Saint-Siège comme pouvoir européen. La
féodalité est aussi une réponse chrétienne au
problème économique de l'époque, entre l'esclavage
moralement impossible et le salariat économiquement impossible. La source
des richesses est la terre conquise à la guerre par les seigneurs,
cultivée par les vassaux, aussi rend-elle impossibles encore la notion de
propriété et la notion d'Etat : les individus sont
reliés les uns aux autres conformément au mode de production selon
un système de services réciproques se résumant dans les
termes «assistance et loyalisme».
L'hégémonie spirituelle de la papauté est
marquée par le Concordat de Worms. Le pape et l'empereur sont au sommet
de la hiérarchie présidant aux destinées des corps et des
âmes : l'équilibre du système est conditionné
désormais par les rapports de l'Empire et de la Royauté. Ce qui a
permis la constitution du pouvoir spirituel, ce fut le renversement du
polythéisme et l'établissement de la religion chrétienne,
et cela grâce au jeu du pouvoir temporel qui étrangla
économiquement le monde païen. Ces deux éléments
directeurs du système que sont le pouvoir spirituel et le pouvoir
temporel sont dans la plus étroite dépendance : l'un ne saurait
être remplacé sans que l'autre ne le soit aussi. De même que
ce système théologico-militaire a pris naissance pendant la
durée du système précédent, de même, au moment
où il est constitué, commence le système suivant,
scientifico-industriel.
Le système suivant commence donc
à apparaître alors que l'ancien, le système
théologico-militaire, vient de se constituer. Examinons les deux
séries qui concourent à faire disparaître ce dernier, d'une
part, et à le remplacer, d'autre part. Les éléments
hostiles seront extérieurs : tandis que ces deux pouvoirs
s'affirment et coopèrent, deux capacités se font jour et se
développent. Pour le pôle temporel de ce système,
l'élément antagoniste sera l'affranchissement des communes ;
pour le pôle spirituel, ce sera l'introduction des sciences positives en
Europe par les Arabes.
Déjà, l'histoire profonde
révèle quel sera le système virtuel : un système de
production, tandis que l'histoire apparente montre un système de
conquête. Auguste Comte souligne l'importance de la bourgeoisie qui va
monnayer les chartes des communes : l'argent joue doublement le rôle
émancipateur. Résultat du travail bourgeois, il est la preuve de
la capacité industrielle; celle-ci a une existence indépendante du
pouvoir militaire et fonde la propriété sur le travail, non plus
sur la conquête. Tandis que le premier système se renforce du point
de vue théologique, de saint Augustin
(354-430
) à
saint Thomas (1225-1274), et, du point de vue féodal, de Clovis (466-511)
à Louis IX (1226-1270), le second système se développe dans
la mesure où se développent science et industrie : le monde
du travail s'organise, en même temps que la science prend son essor : la
capacité scientifique s'apprête à prendre la relève
du pouvoir théologique.
C'est au XVIè siècle
que l'histoire latente devient manifeste; du point de vue spirituel avec
l'attaque faite par Luther contre le pouvoir spirituel de Rome : en 1520, la rupture était consommée et le pouvoir papal n'était
plus pouvoir européen ; du point de vue temporel, il faut mettre avec
Comte du même côté l'œuvre de Richelieu, qui travailla
à renverser la féodalité, et celle de Louis XIV, qui
réduisit la noblesse à un rôle insignifiant. Au contraire,
c'est contre la royauté que l'attaque fut dirigée en Angleterre.
Comte montre que sous l'histoire apparente qui oppose les rois aux papes et les
autorités royale et féodale entre elles, il y a lieu de
considérer une histoire réelle qui est celle de la lutte des
communes et qui se ramène à une lutte de classes, puisque les
commune se coalisent «avec une portion du pouvoir temporel pour attaquer
l'autre portion» (
Sommaire appréciation, Aubier, p.57) :
Comte met en lumière comment les communes se sont toujours
appuyées sur le pouvoir «qui se trouvait à chaque
époque, et dans chaque pays, être le plus libéral,
c'est-à-dire le plus conforme à leurs intérêts »
(
Sommaire appréciation, p.59-60) ; en outre, elles agirent
directement aussi au moyen des deux capacités scientifique et
industrielle qui luttèrent chacune sur son terrain, combattant
«corps à corps le pouvoir correspondant » (
Sommaire
appréciation, p.61). Enfin, la Révolution est le dernier acte
de cette série décroissante du système
théologico-militaire, toutefois pour Comte on ne peut être garanti
de la destruction que pour autant on a veillé au remplacement, selon la
formule
: On ne détruit que ce qu'on remplace. Le
système parlementaire lui semble une étape provisoire avant le
nouveau système.
Voyons quelles sont les moments positifs de
la série croissante destinée à mener ce nouveau
système à maturité. L'antagonisme respectif des pouvoirs et
des capacités est vécu dans la réalité historique
par des classes sociales différentes : ce que souligne très
correctement Auguste Comte en précisant que les capacités
«étaient établies en dehors de l'ancien système,
étant possédées par des classes distinctes et
indépendantes, sous ce rapport, du pouvoir temporel et du pouvoir
spirituel»
(Sommaire appréciation, p.74). Sous l'objectif
immédiat et apparent, les communes visent un objectif plus lointain qui
les insère dans un système dans lequel elles pourraient se
développer en classe dominante. À la décadence continue de
l'ancien système correspond l'organisation progressive des
capacités : le conflit joue un rôle nécessaire dans
l'évolution historique, il prend la forme de l'affranchissement des
communes et celle de l'introduction des sciences positives par les Arabes ;
cette double forme de conflit constitue la «révolution
fondamentale» (
Sommaire appréciation, p.76) libérant
deux forces antagonistes des anciens éléments du système
féodal et théologique.
Tout s'est passé comme
si les communes avaient préparé l'organisation de la
société du système scientifico-industriel suivant un plan
qu'explicite Auguste Comte de la façon suivante :
«
S'occuper uniquement d'agir sur la nature, pour la modifier autant que possible
de la manière la plus avantageuse à l'espèce humaine; ne
tendre à exercer d'action sur les hommes que pour les déterminer
à concourir à cette action générale sur les choses
»
(Sommaire appréciation, p. 80).
Ainsi le
travail a été le seul moyen d'action, que ce soit du point de vue
industriel ou du point de vue scientifique : capacité industrielle et
capacité scientifique, développement de l'industrie et
développement de la science sont présentés comme la lutte
sociale indirecte efficace animée de la «force de
l'intérêt commun» et de la « force de la
démonstration » se combinant pour vaincre les forces adverses
: force physique et force de superstition. L'histoire du travail et l'histoire
de la science sont à cette époque les éléments
constitutifs de la série croissante ; en effet, le développement
économique, qui ne peut être que celui de la bourgeoisie, et le
développement intellectuel tendent à substituer un nouveau
système à l'ancien.
Sur cette époque
d'affirmation de la bourgeoisie on peut voir dans le
Manifeste du parti
communiste une illustration remarquable, venant confirmer les vues
historiques de Comte quant à l'existence d'une série croissante
tendant vers un système scientifico-industriel. Comte passe d'ailleurs en
revue les progrès civils et politiques accomplis par le nouveau
système, aussi bien du point de vue temporel que du point de vue
spirituel. Il remarque, entre autres, la dépendance du système de
guerre envers les arts industriels et les sciences d'observation, en même
temps que l'accroissement d'influence politique des communes, le passage des
sciences à un degré positif «selon l'ordre naturel» (des
mathématiques à la biologie), surtout l'expansion de
l'éducation, le rôle capital qu'elle est appelée à
jouer dans le nouveau système, soit pour faire progresser l'industrie,
soit pour faire progresser la science, tandis que dans l'ancien système
seul prévalait le prestige de certains hommes en vue de l'asservissement
de certains autres. Enfin, Comte signale que les chefs du peuple ne sont plus
militaires mais industriels, ce que Marx et Engels lui confirmeraient
totalement.
C'est
maintenant qu'une science politique conçue comme science de la
consistance agrégative se fait historiquement nécessaire. En
effet, le système scientifique et industriel n'est pas tout à fait
constitué ; en outre, la tournure que prennent les choses au moment
où Auguste Comte les observe ne laisse pas d'être
inquiétante. Même Si la «force même des choses»
(
Sommaire appréciation, p.73) est telle qu'il est «impossible
par la nature des choses » (
Sommaire appréciation, pp.77-78)
que l'homme domine directement les progrès de l'esprit humain ou
l'histoire générale qui ressort de la théorie historique de
Comte, toutefois les hommes ont le pouvoir de soumettre les «effets
secondaires » des grands développements de l'histoire. Ainsi, on ne
peut rétablir l'ordre du passé car il faudrait alors abolir un
à un tous les développements de la civilisation qui ont
déterminé la disparition du pouvoir passé ; entre autres,
il faudrait abolir la philosophie du XVIIIe siècle, la Réforme du
XVIe siècle, le développement des sciences positives, revenir au
servage des classes laborieuses comme si les communes ne s'étaient pas
affranchies.
Pour Comte, si la société se retrouvait
placée dans les mêmes conditions, elle suivrait de nouveau la
marche qui l'a conduite où elle en est aujourd'hui. Cette idée de
la nécessité de la marche de la civilisation, qui constitue
l'essentiel de l'histoire générale de Comte, ne rend cependant pas
superflue une véritable science de la politique, au contraire elle la
fonde scientifiquement. Si, en effet, la chute du système féodal
et théologique n'est pas due à des causes récentes,
isolées ou accidentelles, si elle n'est pas l'effet de la crise mais au
contraire si elle en est le principe, il faut admettre que la décadence
du système théologico-militaire s'est effectuée selon une
progression continue pendant les siècles précédents et par
une suite de modifications indépendantes de la volonté humaine,
auxquelles toutefois toutes les classes de la société ont concouru
soit en gagnant du terrain, soit en en perdant, et dont les rois eux-mêmes
ont été les agents inconscients.
Si
l'évolution historique ne peut se subordonner aux vues
systématiques et s'il existe une « loi supérieure de l'esprit
humain », à savoir des systèmes, des séries, en un
mot des structures selon lesquelles s'organisent et d'ailleurs s'engendrent les
réalités historiques et sociales, il n'en reste pas moins possible
désormais de connaître ces structures et de penser
l'évolution historique passée pour envisager le futur. L'histoire
générale envisagée par Comte permet la politique à
longue échéance. Comte affirme, sur la base de ses observations
positives, que les structures ne dépendent pas des hommes ; loin
d'être le fait des pouvoirs, elles sont le fait des capacités ; ce
que nous pouvons traduire c'est que, loin de ressortir des systèmes
a
priori dictés par la volonté humaine, elles dépendent
de réalités sociales et historiques que sont les capacités,
c'est-à-dire le devenir scientifique et théorique lié au
devenir technique et pratique. Les pratiques réelles de la pensée
humaine, restée longtemps inconnue, comme les pratiques réelles de
l'action humaine, elle-même restée longtemps occultée :
telles sont les réalités majeures dont dépend finalement la
politique réelle. Une science politique, ce sera une science consciente
de ces différentes «pratiques» et apte à jouer, à
partir des causes essentielles, sur les «effets secondaires»
laissés à la liberté humaine. Ces structures se
réalisent effectivement selon un ordre intellectuellement
reconnaissable et rationnellement explicable : la «connaissance que nous
pouvons en avoir est
a posteriori, mais à partir de cette
connaissance nous pouvons améliorer notre histoire selon ce que nous
pouvons ajouter d'interprétation à ces lois rigoureuses.
Comte est explicite sur la réalité de ces structures
qui ne sont pas seulement des lois formelles mais des forces : «Quoique
cette force dérive de nous, il n'est pas plus en notre pouvoir de nous
soustraire à son influence ou de maîtriser son action, que de
changer à notre gré l'impulsion primitive qui fait circuler notre
planète autour du soleil » (
Sommaire appréciation,
p.78). La science politique, ce serait une science fondée sur l'histoire
générale, une science théorique de la pratique
réelle ; philosophiquement, on pourrait voir en elle la justification de
l'action humaine devenue consciente. Comme l'écrit Comte : «Tout ce
que nous pouvons, c'est obéir à cette loi (notre véritable
providence), avec connaissance de cause, en nous rendant compte de la marche
qu'elle nous prescrit, au lieu d'être poussés aveuglément
par elle » (
ibid.). Mais les hypothèses ne sont pas
éliminées de la science politique :
«Mais,
malgré cela, quand nous voyons dans l'ordre politique une série
d'événements qui s'enchaînent de la même
manière que si les hommes qui en ont été les agents
s'étaient conduits d'après un plan, n'est-il pas permis d'employer
cette supposition pour faire mieux ressortir cet enchaînement ? »
(
Sommaire appréciation, p.79).
Il n'en va pas
autrement dans les sciences physiques, et il doit en être de même
dans les sciences politiques. Après coup, une nécessité
d'enchaînement ressemble à s'y méprendre à un plan
prémédité : la seule différence objective tient
à ce que la nécessité d'enchaînement est reconnue
a posteriori ;
tandis que le plan prémédité
est énoncé
a priori. La politique scientifique de
l'âge adulte de la pensée et de l'action humaines doit donc s'en
tenir à cette connaissance et la mettre à profit.
La
science historique et la science politique ne font pas double emploi ; si la
première révèle les contradictions en marche et le devenir
des sociétés, la seconde détient la clé du consensus
et de l'organisation. Tandis que l'histoire est dialectique, la politique est
organique et positive et cela même n'est pas contradictoire, car au
même moment s'affirment les deux mouvements : le mouvement de
croissance, organique, et le mouvement de décadence, critique. Même
lorsque l'histoire manifeste semble positive, elle recouvre une histoire latente
qui la nie ; cela dit, la science politique ne peut que dépendre
directement des observations générales de l'histoire, mais elle
apporte, au-delà de la scission qui est un signe de décadence du
système, la
consistance positive du nouveau système.
Science auxiliaire de
l'histoire générale, la science
politique peut accélérer le dénouement de la crise
qu'analyse Auguste Comte en 1822 et qui se résume ainsi : « Un
système social qui s'éteint, un nouveau système parvenu
à son entière maturité et qui tend à se constituer
»
(Plan des travaux scientifiques, L'Harmattan, p.55). On peut
dire que l'anarchie historique, élément de dissolution de la
société, ne peut avoir sa solution que dans l'organisation
politique, élément de consolidation de la société.
L'organisation politique est la voie par laquelle la société
«est conduite vers l'état social définitif de l'espèce
humaine, le plus convenable à sa nature, celui où tous ses moyens
de prospérité doivent recevoir leur plus entier
développement et leur application la plus directe »
(Plan des
travaux scientifiques, p.56).
La crise qu'observe Auguste Comte
est réelle au moment où il l'observe, mais c'est le type
même de la crise de société qui se ramène à la
coexistence de deux tendances opposées : tendance à la dissolution
et tendance à l'organisation. C'est une réalité dont il
peut tirer le concept général de crise. Chaque fois qu'un
système est en voie de désorganisation pour livrer passage
à l'avènement d'un nouveau système, on constate ce genre de
crise de civilisation dont la phase la plus aiguë apparaît lorsque la
tendance à la désorganisation est dominante, mais cela même
est «dans la nature des choses» (ibid.). Il faut savoir mesurer la
maturité, l'accomplissement de la désorganisation et être
à même de juger quand il est temps de mettre en oeuvre les forces
d'organisation, car il est propre à la crise de nuire, non seulement
à l'installation du nouveau système, mais encore à la
destruction totale de l'ancien, alors qu'il est pourtant devenu
intolérable. Aussi bien une crise de ce genre s'accompagne-t-elle de
« secousses terribles et sans cesse renaissantes » (ibid.). La crise
est historique, comme la fièvre est pathologique, la politique peut faire
ici ce que fait la médecine : connaissant la réalité
profonde de la société, la science politique détient le
ressort positif de cette société; il y a un moment de la crise
propice à la reprise positive. Comme l'écrit Comte:
« La seule manière de mettre un terme à cette
orageuse situation, d'arrêter l'anarchie qui envahit de jour en jour la
société, en un mot, de réduire la crise à un simple
mouvement moral, c'est de déterminer les nations civilisées
à quitter la direction critique pour prendre la direction organique,
à porter tous leurs efforts vers la formation du nouveau système
social, objet définitif de la crise, et pour lequel tout ce qui s'est
fait jusqu'à présent n'est que préparatoire» (
Plan
des travaux scientifiques, p.56-57).
Ainsi il appartient à
la science politique d'expliciter les causes qui empêchent la
société de s'orienter vers la voie organique. Ce n'est que par
l'établissement de ces causes que pourra se préciser l'emploi des
moyens propres à remédier à l'état de fait, et c'est
à partir de ces causes que pourront se déterminer «les forces
qui doivent entraîner la société dans la route du nouveau
système» (
Plan des travaux scientifiques, p.57). La
leçon de l'histoire que retient la science politique est que ce qui est
passé ne peut plus revenir et qu'il est vain de s'acharner à
rétablir une situation politique désorganisée : telle
est l'erreur des rois qui veulent faire cesser l'anarchie par la poursuite
chimérique du rétablissement du système
dépassé. Dans cette vaine volonté il n'y a pas que
l'intérêt qui joue, mais encore une pensée qui est venue
à des esprits de bonne foi mais ignorants de la marche historique
profonde des sociétés. Ceux-là ne voient pas ou ne veulent
pas voir que la société tend à l'établissement d'un
nouveau système «plus parfait et non moins consistant que
l'ancien» (
Plan des travaux scientifiques, p.58) : ce nouveau
système est nécessairement plus parfait que l'ancien en
égard à l'état de choses, en égard au
développement humain qui s'est produit de par la logique de l'ancien
système ; il ne s'agit pas d'une perfection en soi ni du fait de se
rapprocher d'une perfection absolue, mais relativement et historiquement le
nouveau système est plus parfait car il va convenir à la nouvelle
étape historique, alors que l'ancien système a prouvé qu'il
n'y suffisait plus, qu'il ne convenait plus à la situation historique
totale. Ce sont les gouvernants qui tendent ainsi
désespérément à rétablir la situation
passée car ils sont conscients profondément de la situation
anarchique; or, il se trouve que cet effort désespéré fait
lui-même partie du tableau de l'anarchie, il en est même un facteur
certain et inconscient.
Enfermés dans la logique de l'ancien
système, les gouvernants sont incapables d'admettre la
nécessité d'un système tout autre, ni de comprendre encore
moins sa logique. Alors qu'ils cherchent à remédier à ce
qu'ils croient être des accidents récents et isolés, ce qui
leur échappe c'est bien que la chute de l'ancien système « ne
tient point, comme l'écrit Comte, à des causes récentes,
isolées, et en quelque sorte accidentelles » (
Plan des travaux
scientifiques, p.58). Faire machine arrière, c'est revenir au point
où la crise s'est déclenchée. Une connaissance de
l'évolution historique permet de s'assurer l'impossibilité de
supprimer, sous le rapport spirituel, tout une chaîne d'étapes : la
philosophie du XVIIIe siècle, avant elle la réforme du XVIe
siècle qui en est la cause, avant cette dernière le progrès
des sciences d'observation.
De même, sous le rapport temporel,
il s'avère aussi impossible de rétablir le servage que de faire
que les communes ne se soient pas affranchies. Non seulement cette
régression historique est absurde et monstrueuse, mais encore
ceux-là mêmes qui la souhaitent concourent inconsciemment à
la rendre impossible, puisque à leur insu ils participent à la
dissolution de l'ancien système et à la formation du nouveau. Deux
faits au moins le prouvent à l'époque : c'est d'une part
l'encouragement que les rois prodiguent à la propagation des arts, des
sciences et des techniques, c'est d'autre part ce traité de la
sainte-alliance par lequel «les rois ont dégradé autant qu'il
était en eux le pouvoir théologique, base principale de l'ancien
système, en formant un conseil européen suprême, dans lequel
ce pouvoir n'a même pas une voix consultative» (
Plan des
travaux scientifiques, p.60). Mieux encore, il n'est pas une démarche
accomplie en faveur du rétablissement de l'ancien système qui ne
soit accompagnée d'une démarche orientée dans le sens
contraire. Comte souligne ainsi qu'à un moment avancé de crise la
contradiction est à son plus haut point chez ceux qui refusent le
changement.
La contradiction qui frappe l'action des rois concerne
les faits, tandis que celle qui touche les peuples concerne les principes. Les
tenants de l'ancien système évoluent nécessairement dans
une contradiction réelle, leur incohérence se déploie dans
les choses et leur action même, qui se veut correctrice, au contraire, se
niant elle-même, contribue pour une part non négligeable à
prolonger la crise. De leur côté, les tenants du nouveau
système s'attardent dans les contradictions de la révolution et
retardent son accomplissement positif. L'ignorance de la science politique
caractérise les peuples, tandis que les rois manifestent l'ignorance de
la science historique; les peuples ignorent en effet, comme l'explicite Comte,
les « conditions fondamentales que doit remplir un système social
quelconque pour avoir une consistance véritable» (
Plan des
travaux scientifiques, p.61). Ainsi ce que connaissent les rois presque
d'instinct, du moins par tradition et selon les institutions, les peuples
l'ignorent : les lois de consistance qui caractérisent la synchronie du
système étaient consolidées par la force de la tradition,
aussi bien les lois d'évolution qui caractérisent la diachronie
étaient-elles ignorées et par conséquent sont-elles
niées par les rois ; maintenant que les peuples sont sensibles aux lois
historiques de l'évolution et qu'ils sont emportés dans le
mouvement de la diachronie, ils se révèlent incapables de penser
les lois nécessaires à la consistance et devant permettre une
nouvelle équilibration de la synchronie.
La science politique
devient d'une urgence redoublée pour sa spécificité
à savoir les principes organiques, tandis que les principes critiques
sont la spécificité de la science historique impliquée dans
les développements pratiques. Si la théorie de la
révolution convient à l'action révolutionnaire pratiquement
effective, cependant, une fois la dissolution accomplie, à la
théorie de la révolution doit se substituer une théorie de
l'organisation. Tel est l'enseignement du concret social que tire Comte d'une
observation profonde de l'état réel de la société.
Il semble que la même loi d'inertie joue pour les peuples comme elle a
joué pour les rois : en effet, les peuples sont emportés dans leur
doctrine critique au point de vouloir reconstituer une société
à partir de principes destinés à la dissoudre. Ce dont
souffre le nouveau système à peine existant, c'est d'un manque
manifeste de théorie appropriée : seule la science politique est
capable de mettre au jour ces principes essentiels nécessaires. La
précipitation n'est pas bonne conseillère en la matière :
comment peut-on croire possible de produire d'un seul coup toute
l'économie d'un système? Oublie-t-on que la fondation du
système théologico-militaire n'a pris sa forme définitive
qu'au XIVe siècle? Il n'a pas fallu moins de cinq siècles à
compter du triomphe de la doctrine chrétienne et de
l'établissement des peuples du Nord dans l'Empire d'Occident. La doctrine
critique s'est elle-même lentement développée. Alors qu'il
est normal que cette doctrine s'en prenne au pouvoir pour le détruire, il
n'est plus pensable qu'elle soit en vigueur au moment où il est opportun
de construire la société et le pouvoir politique qui lui convient;
or, par une étrange aberration, les peuples s'apprêtent à
construire en privant le nouveau système d'un pouvoir politique efficace;
c'est ce qu'écrit Comte : «Le gouvernement qui, dans tout
état de choses régulier, est la tête de la
société, le guide et l'agent de l'action générale,
est systématiquement dépouillé, par ces doctrines, de tout
principe d'activité» (
Plan des travaux scientifiques, p.62).
Les révolutionnaires commettent l'erreur de considérer le
gouvernement et le pouvoir politique du système à consolider
comme l'ennemi « contre lequel la société doit se fortifier
par les garanties qu'elle a conquises, en se tenant vis-à-vis de lui dans
un état permanent de défiance et d'hostilité
défensive prête à éclater au premier symptôme
d'attaque» (
Plan des travaux scientifiques, p.62).
Le
refus du pouvoir politique, du point de vue temporel, a son corollaire, du point
de vue spirituel, dans le dogme critique de la liberté illimitée
de conscience; si ce dogme critique a eu tout son effet dans la décadence
des croyances théologiques, il s'avère inactuel si l'on veut en
faire une base de la réorganisation sociale. Il consiste, en effet,
à «empêcher l'établissement uniforme d'un
système quelconque d'idées générales, sans lequel
néanmoins il n'y a pas de société, en proclamant la
souveraineté de chaque raison individuelle» (
Plan des travaux
scientifiques, p.63). Ce dogme est parfaitement valable quand on l'applique
aux idées qui doivent disparaître, mais il est frappé de
nullité quand il s'agit du nouveau système, car ce n'est plus de
dogme qu'il s'agit alors et, pris comme principe organique, il se contredit
lui-même et rendrait d'ailleurs impossible à jamais la
réorganisation de la société. En matière
scientifique, on ne peut défendre une liberté de conscience
illimitée : pour la science politique il doit en être comme pour
les autres sciences; si ce dogme est acceptable dans une période
transitoire, il ne peut, dans une période définitive, devenir un
principe général, à moins de s'installer
définitivement dans l'anarchie.
Autre corollaire du
refus du pouvoir politique et répondant à cette liberté
individuelle des consciences, c'est le dogme de la souveraineté du
peuple, dogme antiféodal par excellence, valable et efficace pour
combattre le principe de droit divin; on ne peut, selon Comte, toutefois en
faire la base politique de la réorganisation sociale, pas plus que le
dogme de la liberté illimitée de conscience ne peut en être
la base morale : ce serait remplacer un arbitraire par un autre et retomber
dans le règne de l'anarchie. Le meilleur effet de ce dogme est «le
démembrement général du corps politique, en conduisant
à placer le pouvoir dans les classes les moins civilisées, comme
le premier tend à l'entier isolement des esprits, en investissant les
hommes les moins éclairés d'un droit de contrôle absolu sur
le système d'idées générales arrêté par
les esprits supérieurs pour servir de guide à la
société» (
Plan des travaux scientifiques, p.64). La
souveraineté du peuple, dogme de la démocratie, ne peut être
le prétexte populaire pour laisser passer l'incompétence et
légitimer l'anarchie. Si, comme Comte l'a montré dans le premier
opuscule de philosophie sociale
[3], le
peuple doit être consulté sur ses intérêts, la science
politique ne s'improvise pas plus qu'une autre science et ce serait mal
servir le peuple que de lui laisser croire qu'il connaît d'instinct les
moyens politiques de réaliser cette organisation de la
société qu'il souhaite si ardemment. Le peuple reste souverain en
ce qui concerne ses désirs, mais la réalisation de ses
désirs ne doit pas être la proie des opinions, elle doit être
étayée sur une théorie scientifique qui demande
l'information, la compétence, l'observation, la réflexion de
l'homme de science. Le peuple a des désirs qui restent souverains mais il
n'est pas lui-même souverain en matière de science politique, pas
plus qu'il ne l'est en matière de science médicale, ou de science
physique. Cela dit, le théoricien de la politique du peuple doit mesurer
la responsabilité qui lui échoit dans la période positive
de construction du nouveau système. L'entreprise de réorganisation
sociale suppose donc radicalement accomplie l'action critique populaire : c'est
là qu'apparaît le point de jonction entre la science historique et
la science politique; cette dernière demeure en étroite
collaboration avec
l'histoire générale : d'une saine
théorie de l'histoire découlera une saine théorie de la
politique. C'est d'ailleurs le point de vue auquel est placé Auguste
Comte pour se permettre, quant à lui, la critique des rois et la critique
des peuples ; ce n'est pas un point de vue «politique»,
comme on pourrait le lui reprocher superficiellement, mais un point de vue
objectivement épistémologique.
Le travail politique
nécessaire à la constitution et à la conservation du
nouveau système est un travail essentiellement scientifique : c'est ce
que prouve le «mécanisme de la politique pratique» (
Plan des
travaux scientifiques, p.70) qui oscille à chaque pas entre
«l'absurdité de l'ancien système» et «le danger
d'anarchie». Or, ce que l'époque exige, la double condition de
l'abandon de l'ancien système et de l'établissement d'un ordre
régulier et stable, ce ne peut être ni le résultat d'une
improvisation ni celui d'une recherche indisciplinée. D'ailleurs, lorsque
Comte montre la nécessité de concevoir le travail politique comme
une «entreprise essentiellement théorique» (
Plan des travaux
scientifiques, p.75), il ne veut pas dire qu'il faut «improviser,
jusque dans le plus mince détail, le plan total de la
réorganisation sociale» (
Plan des travaux scientifiques,
p.74), puisque c'est justement ce contre quoi il s'élève ; aussi
la séparation de la théorie et de la pratique ne doit-elle pas
être abusivement interprétée : il s'agit, d'une part,
d'édifier la théorie scientifique appelée à
remplacer l'ancien pouvoir spirituel, qui était échu à la
doctrine chrétienne, et, d'autre part, de mettre sur pied les pratiques
ou les causes instrumentales déterminant «le mode de
répartition du pouvoir et l'ensemble d'institutions administratives les
plus conformes à l'esprit du système, tel qu'il a
été arrêté par les travaux théoriques»
(
Plan des travaux scientifiques, p.75). Dans ce cas, il est bien
évident que le travail d'application ne peut que suivre le travail
théorique. Faute de théorie scientifiquement
élaborée, les efforts de constitution du nouveau système
ont été en fait accomplis dans l'horizon de l'ancien
système : telles furent conçues les dix constitutions produites en
trente ans au lendemain de la Révolution française. Elles ne
s'attachaient qu'à des applications pratiques telles que la division en
pouvoir législatif et pouvoir exécutif.
Aussi ce
qu'on a cru être un véritable système social nouveau
n'était finalement que «l'ancien système
dépouillé par la doctrine critique de tout ce qui constituait sa
vigueur, réduit au misérable état d'un squelette
décharné» (
Plan des travaux scientifiques, p.78). La
conséquence inévitable apparaît être le fait
indésirable de la dissolution totale de la société dans
l'acharnement à attaquer l'ancien système qui n'en peut mais, sans
lui apporter le change ; la seule issue prévisible reste alors
l'anarchie. Ainsi, refuser la considération de la théorie, c'est
en fait se ranger à une théorie surannée et, qui plus est,
de façon inconsciente. La distinction et même la séparation
des travaux théoriques et des travaux pratiques avec la combinaison des
efforts théoriques et pratiques, voilà qui caractérise un
degré élevé de civilisation : s'il est permis
jusqu'à un certain point de critiquer une séparation pure et
simple en tant qu'elle divise les hommes en théoriciens et praticiens,
cette critique s'avère nulle du fait de la combinaison vers laquelle
tendent les efforts théoriques et pratiques : l'application
n'étant pas une action étrangère à la conception de
la théorie mais essentiellement l'accomplissement et le couronnement de
la recherche théorique. L'exemple de l'ancien système
théologico-militaire est la preuve nécessaire de la division de la
théorie et de la pratique dans la réalisation de deux
autorités : une autorité théorique et une autorité pratique. Toutefois, notons que la première ne pourra
d'elle-même conduire l'ensemble de la société à
obéir à la seconde sans l'aide des artistes qui provoqueront
l'adoption populaire du plan déterminé par les savants et mis en
activité par les industriels. La masse doit pouvoir se
passionner.
C'est la conception scientifique d'un système
à deux pôles qui permet et justifie, pour le nouveau
système, l'élaboration d'une véritable science politique:
l'ancien pouvoir spirituel est remplacé par la théorie
scientifique, l'ancien pouvoir temporel par la théorie pratique. Cette
double considération de la théorie et de la pratique est d'autant
plus nécessaire à un moment où il s'agit de repenser et de
réaliser la réorganisation totale de la société. Il
serait malintentionné de voir dans ce souci un
a priori politique,
au sens étroit, alors qu'il témoigne d'un esprit
scientifique, méfiant à l'égard de la
précipitation idéologique et démagogique. Et Comte cite
deux exemples remarquables de la prééminence de la théorie
sur la pratique, de l'ordre successif de la théorie et de la pratique; le
premier concerne la formation du système théologico-politique :
«L'ensemble d'institutions par lequel ce système s'est
constitué complètement au XIe siècle avait
été évidemment préparé par les travaux
théoriques faits dans les siècles précédents sur
l'esprit de ce système, et qui datent de l'élaboration du
christianisme par l'école d'Alexandrie. L'établissement du pouvoir
pontifical, comme autorité européenne suprême était
la suite nécessaire de ce développement antérieur de la
doctrine chrétienne. L'institution générale de la
féodalité, fondée sur la réciprocité
d'obéissance à protection du faible par le fort,
n'était également que l'application de cette doctrine au
règlement des relations sociales dans l'état de civilisation
d'alors » (
Plan des travaux scientifiques, p.81-82).
L'autre exemple «porte sur la marche même des
modifications apportées par les peuples à l'ancien système
depuis le commencement de la crise actuelle» (
Plan des travaux
scientifiques, p.82) : sans les travaux philosophiques du XVIIIe
siècle, la doctrine critique ne serait pas ce qu'elle est ; jusque dans
nos constitutions, nous retrouvons la marque des philosophes du XVIIIe
siècle qui n'aurait pu prévoir, quant à eux, les
conséquences pratiques de leurs écrits théoriques.
Il va de soi que les travaux scientifiques nécessaires soient
confiés à des hommes d'une classe scientifique reconnue par sa
compétence pour « former des combinaisons théoriques suivies
méthodiquement » (
Plan des travaux scientifiques, p.86).
Chacun ne pourra plus selon sa propre opinion « s'établir juge
suprême des idées politiques générales» (
Plan
des travaux scientifiques, p.88). Pas plus que l'anarchie politique,
l'anarchie intellectuelle n'est efficace. La capacité scientifique et
l'autorité théorique sont déjà un fait acquis chez
les savants sur lesquels Comte pense pouvoir s'appuyer, en vue de la
réorganisation théorique de la réalité sociale,
considérée à l'échelle européenne. Dans cette
pensée de l'agrégat coopératif des savants européens
comme authentique
vis politica, Comte retrouve la réalité
et la vocation initiales de
l'universitas. Ces savants
représentent effectivement pour Comte « la force destinée
à former et à établir la « nouvelle doctrine
organique» (
Plan des travaux scientifiques, p.90). Cette force
européenne est donc toute désignée pour accomplir une
oeuvre d'agrégation politique valable pour les pays soumis à la
même crise de civilisation. Seule une théorie scientifique de la
politique peut élucider cette crise et la politique métaphysique
qui lui est propre, nées comme elles le sont sur la destruction de
l'ancien système des rois et sur la politique théologique qui lui
était propre : à la politique théologique des rois et
à la politique métaphysique des peuples s'opposant à la
première, doit donc succéder la politique scientifique, la seule
et véritable science politique à la fois nécessaire
scientifiquement et nécessitée objectivement par la situation
historique générale.
Quant à cette science
politique en elle-même, du fait de son établissement
nécessairement déterminé par l'histoire
générale, elle est une théorie issue des pratiques
historiques, et il est normal qu'elle considère, comme le note Comte,
«l'état social sous lequel l'espèce humaine a toujours
été trouvée par les observateurs comme la
conséquence nécessaire de son organisation » (
Plan des
travaux scientifiques, p.96); c'est-à-dire qu'il est normal qu'elle
voie dans la structure sociale la conséquence de l'organisation humaine
et sociale avec ce que celle-ci implique d'activités et de connaissances,
de pratiques et de savoir présupposé par ces pratiques. Cette
science politique se fonde sur le rapport de l'état social au rang de
l'homme dans l'échelle animale et ce rapport fondamental donne à
l'homme la tendance «à agir sur la nature pour la modifier à
son avantage» (ibid.). Autrement dit, cette science politique part d'une
constatation fondamentale, en ce qui concerne l'homme et la
société, à savoir le
développement collectif de
la tendance à transformer la nature, la
régulation
collective de cette tendance, sa
concertation enfin «pour que
l'action utile soit la plus grande possible» (ibid.). Les
différentes phases atteintes à chaque époque
dépendent du développement de l'humanité à chacune
de ces époques : les combinaisons ou structures politiques
n'étant que des moyens que se donnent les collectivités pour se
faciliter l'existence sociale et l'évolution historique. Par
l'observation, la science politique reconnaît que l'organisation sociale
dépend de l'état de la civilisation et voit celui-ci assujetti
à l'histoire générale. L'histoire n'est autre que la marche
de la civilisation qui consiste, comme le précise Comte, « dans le
développement de l'esprit humain, d'une part, et, de l'autre, dans le
développement de l'action de l'homme sur la nature, qui en est la
conséquence » (
Plan des travaux scientifiques, p.105). C'est
l'étude des sciences, des beaux-arts et de l'industrie qui permettra de
déceler l'état de l'esprit humain à chaque époque.
Ainsi, pour chaque état de la civilisation correspond un
but
approprié à la société, de même
qu'à cet état de civilisation et à ce but de la
société correspond la
forme de cette société,
étant donné que la forme sociale, aussi bien temporelle que
spirituelle, comporte un pouvoir directeur sur
l'activité
générale. Cette science politique observe le système
d'ensemble d'une société et sa finalité d'ensemble, elle
analyse en outre les structures et les fonctions des divers
éléments du système, toujours elle respecte le principe
fondamental selon lequel l'ordre politique n'est qu'une expression de l'ordre
civil, «ce qui signifie, écrit Comte, que les forces sociales
prépondérantes finissent, de toute nécessité, par
devenir dirigeantes » (
Plan des travaux scientifiques, p.107). Ce principe nous paraît essentiel ; Comte le développe dans sa
théorie positive des forces sociales, au chapitre V du tome Il du
Système de politique positive qui donne toute son importance au
travail matériel.
Université d'Amiens