Angèle Kremer Marietti

 

Bernhard Plé, Die 'Welt' aus den Wissenschaften. Der Positivismus in Frankreich, England und Italien von 1848 bis ins zweite Jahrzehnt des 20. Jahrhunderten.
Eine wissenssoziologische Studie.
625 pages.
Stuttgart, Klett-Cotta, 1996.

 

Cette importante thèse d'Habilitation a été soutenue en 1994, devant l'Université de Bayreuth, par M. Berhard Plé, qui enseigne dans cette Université et dont nous connaissons bien les travaux. L'ensemble de l'ouvrage se structure en quatre parties fort développées.

La première partie aborde le Positivisme en tant qu'objet d'une sociologie de la science, du type 'empirico-historique'. La seconde traite l'image qu'a voulu donner de lui-même le Positivisme ‘organisé’, tel qu'il s'est développé à partir d'Auguste Comte, en même temps qu'elle étudie ses caractéristiques et comment il a pu se définir surtout en France et en Angleterre. À l'opposé du Positivisme français ou anglais, la troisième partie montre le Positivisme italien dans le déploiement d'une position indépendante de cette organisation. Dans la quatrième partie, l'auteur conclut les présents travaux en ouvrant les perspectives qu'ils autorisent vers de nouvelles recherches à développer ultérieurement.

Le principal objet du livre se concentre sur la mise au jour du processus d'apparition, de développement et d'expansion du Positivisme, dans le cadre européen, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle et jusqu'à la seconde décennie du XXe. L'étude se situe dans le contexte exact de l'histoire politique et religieuse, autant que dans le contexte abstrait de l'histoire des sciences. Au-delà des frontières nationales, on assiste à la propagation d'une volonté de renouvellement culturel sous le signe du Positivisme qui imprègne progressivement les esprits. Or, l'auteur fait remarquer que le Positivisme a rarement été approfondi du point de vue qui est le sien dans cette étude sociologique, et selon une perspective historico-sociale. En effet, jusque dans les années 90 du XXe siècle, seule a été prise en considération la doctrine philosophique d'Auguste Comte avec ses incidences en matière de science sociale, y compris les considérations sur la fondation de la Sociologie elle-même, dont Comte créa le nom et l'idée.

La somme ici présentée n'est autre finalement qu'une sociologie historique du Positivisme, considéré hors de l'histoire des idées, de l'histoire de la philosophie et de l'histoire des sciences, même si les données issues de ces cadres sont connues de l'auteur et parfaitement mises en relation avec son point de vue. Par conséquent, il ne s'agit pas non plus d'une étude de la ‘réception’ faite à un auteur à telle époque déterminée, ou dans tel pays, bien que toute étude de la réception d'une pensée puisse s'assimiler, au-delà d'une histoire des idées, à une ‘sociologie’ des sciences, cette ‘réception’ étant celle d'un groupe situé historiquement et socialement, en tant qu'une entité historico-sociale analysée dans ses parties constituantes. Il ne s'agit pas non plus, comme le précise encore son auteur, de l'étude historique des conséquences politiques directes du Positivisme, comme il y eut des études concernant le Positivisme idéologique au Brésil ou en Turquie avec ses retombées politiques.

À travers la richesse d'un déploiement d'enquêtes sur toutes les sociétés et toutes les associations, comme sur tous les partis et groupes divers, qui eurent leur épanouissement florissant à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, l'abondance des tableaux et des schémas conçus par l'auteur viennent à l'appui éclairer, entre autres choses, comment la branche principale du comtisme s'est spécifiée en tendances particulières telles que celles, en France, de Laffitte et de Littré, ou, en Angleterre, celles de Harrison et de Lewes ; tandis que l'Italie bénéficiait de la ‘variété’ Ardigo, libre de toute influence directe émanant d'Auguste Comte.

À la lecture de l'ouvrage de M. Plé, le phénomène sociologique européen dénommé ‘Positivisme’ se transforme tout-à-coup sous nos yeux, en une hydre à mille têtes, nullement chimérique, mais bien réelle et prenant corps dans des personnalités et leurs groupes actifs.

M. Bernhard Plé nous fait pénétrer dans la réalité socio-historique européenne que le Positivisme a progressivement habitée avec des variantes spécifiques. La méthode qui anime cette recherche est l'analyse comparative dans laquelle le concept dominant de l'image du monde (Weltbild) joue le rôle d'instrument analytique.