DOGMA


Abdelkader Bachta

Université de Tunis


La genèse de l’équation E=mc2


Il y’a, au moins, deux raisons qui excitent la curiosité de l’historien à réfléchir sur la genèse de l’équation E=mc2, la plus connue en physique :
  1. La grande révolution que le concept correspondant a provoquée en physique  théorique. En effet, l’équation en question exprime fondamentalement une idée absolument étrangère à l’esprit classique, savoir l’équivalence entre la masse et l’énergie, et, conséquemment, la variation de l’une en fonction de l’autre.
  2. Les conséquences nucléaires avec leurs bienfaits, mais aussi leurs dangers énormes qui sont rattachables à la physique nucléaire dont le même concept constitue, pour ainsi dire, la condition générale de possibilité.

Or l’étude de la genèse d’un concept, en général, nécessite une recherche double :
a) Un niveau interne où on examine la naissance et le développement du concept chez son auteur.
b) Un plan externe où on essaie de déterminer les influences extérieures qui l’expliqueraient.

Par conséquent, pour traiter la genèse de l’équation qui nous occupe et le concept qui lui correspond, nous suivrons cette même méthode.
Plus exactement, nous partirons de la naissance de l’idée et suivrons le mouvement de son mûrissement, chez Einstein, pour arriver à déterminer ses embryons chez le même auteur. À partir de là, nous ferons notre remontée vers les influences extérieures pour préciser les sciences de l’époque qui seraient la cause de son apparition interne.
Mais, bien entendu, nous ne pouvons présenter ici qu’un résumé d’une synthèse plus ample.


I. Genèse interne : Naissance, maturité et état embryonnaire

La naissance : Le concept en question est né, chez l’auteur, dans un tout petit texte de septembre 1905, intitulé, l’inertie d’un corps dépend-elle de sa capacité d’inergie1 ?

Cet acte de naissance de la conception relativiste de la masse contient deux grands moments qui concernent respectivement
1) L’énergie de radiation
2) L’énergie cinétique

Mais l’auteur ne maintient pas la distinction entre les deux types de masse et finit par les fondre dans un seul et même concept. Le processus général de ce document consiste, au fond, dans un traitement de l’énergie électromagnétique, et même plus spécialement de la lumière, que l’auteur généralise pour aboutir à l’équivalence entre la masse et l’énergie en général en notant expressément qu’il s’agit d’une approximation.
Mais la théorie ne paraît pas encore tout à fait mûre : Einstein est assez perplexe et ne semble pas être entièrement sûre de sa vérification expérimentale. De plus, l’équation E=mc2 n’y est pas encore énoncée en tant que telle.


La maturité.

Le mouvement de maturation commence déjà l’année suivante (1906) dans un texte qui doit être noté ici et qui a pour titre, leprincipe de la conservation du mouvement du centre de gravité et de l’inertie de l’énergie2 où la démonstration précédente est clairement étendue à la fois aux phénomènes mécaniques et électromagnétiques, c'est-à-dire les deux types de faits physiques qui préoccupaient les savants de l’époque et dont l’hétérogénéité manifeste constituait pour eux un souci sérieux.
L’article synthétique de 19073 apporte de nouvelles lumières essentiellement en clarifiant davantage la cinématique relativiste dont les rapports sont certains avec la théorie qui nous occupe comme on aura l’occasion de le montrer plus amplement dans nos analyses ultérieures.
Dans ce texte, c’est particulièrement le paragraphe3, intitulé. transformations des coordonnées du temps qui est à signaler L’auteur améliore nettement sa méthode en substituant les équations de l’onde sphérique de lumière aux transformations dites de Lorentz.
De toute façon, arrivé aux Conférences de Princeton (1919), Enistein est en pleine possession d’un concept entièrement clair et mûr. Il y ajoute un élément de la méthode jusqu’ici non manifeste, savoir la notation vectorielle et parvint à énoncer comme telle la formule si connue, E = mc². (4)
Il est donc normal qu’il soit complètement à l’aise en exposant sa théorie dans L’évolution des idées en physique (1938) en se débarrassant d’ailleurs de toute technicité mathématique tout en conservant le sens profond de son concept. (5)
Il est également naturel que, dans son livre de synthèse de 1955, intitulé La Relativité, il puisse simplifier avec élégance la méthode générale employée jusqu’ici. (6)
Ces deux derniers textes, appelés souvent livres de vulgarisation, mais qui au fond ajoutent beaucoup à la fondation de la conception einsteinienne de la masse, suivent le même plan avec deux styles différents, absence des mathématiques d’un côté et usage d’équations simplifiées de l’autre, témoignent ainsi d’un grand degré de maturité.
En principe l’équation en question exprime l’énergie d’un corps en repos dont la masse (m) est connue. C’est ce que son auteur a souvent noté en soulignant parfois qu’il s’agit d’une simple approximation. Mais cette énergie prodigieusement grande n’étant pas extériorisée ne peut pas être perçue. « C’est comme un homme fabuleusement riche qui ne dépense ni ne donne jamais rien ; personne ne pourrait savoir combien il est riche. », nous dit Einstein.(7). D’autre part, l’accroissement de la masse dans cette relation, comme le souligne notre savant, est tellement petit pour pouvoir être mesuré avec exactitude et directement.(8)
En fait, cette formule est tout à fait vérifiable expérimentalement lorsqu’il s’agit de très grandes vitesses qui ne peuvent caractériser que les atomes. Einstein, qui a toujours mis en relief cette idée, cite les ions, les électrons, la désintégration radioactive...
Enfin de compte, E = mc² nous engage dans une physique des atomes. Etant donné la fonction que joue l’énergie dans ce concept, on peut dire, à juste titre, qu’il est question plus spécialement d’une dynamique des atomes.
Dans ce cas, nous avons le droit de penser que les deux mémoires d’Einstein sur les quanta de 1906 et de 1907 (9) ont contribué au mûrissement du concept de masse (ou d’énergie) que nous traitons.
D’abord ces deux textes contiennent une illustration du modèle atomique qui est très important dans l’équation qui nous occupe ici comme on vient de le voir. D’ailleurs la physique des quanta, en général, qui représente un résultat du triomphe de l’atomisme à la fin du 19e siècle, nous donne une science très importante dans la découverte des secrets de l’atome et de son noyau. On n’a pas manqué de le noter avec insistance.(10)
Ensuite, cette science étudie, à son tour, l’énergie. Elle le fait en rapport avec la masse dans sa constitution atomique, sans pourtant traiter directement E = mc².
On peut, par conséquent, dire que ces deux mémoires ont permis à Einstein de s’exercer davantage à cette relation.
Il y a lieu de rappeler, maintenant, que l’acte de naissance de la nouvelle conception de la masse (ou de l’énergie) dont nous avons essayé de suivre le mouvement de mûrissement est un complément d’un texte antérieur (juin 1905) (11). Le texte de septembre ne commence-t-il pas en enchaînant avec celui-ci par la phrase suivante : « Les résultats de la recherche précédente conduisent à une conséquence très intéressante qui sera exposée ici » ? Or, l’œuvre fondatrice comprend deux parties qui portent successivement sur la cinématique et l’électromagnétisme, et dont le rapport étroit est soigneusement montré dans l’introduction « La théorie que nous allons exposer s’appuie, comme toute Electrodynamique, sur la cinématique du corps rigides car les énoncés de toute théorie visent aux rapports entre des corps rigides (systèmes de coordonnées), des horloges et des processus électromagnétiques... »
On peut dire, donc, que les embryons de la théorie qui nous intéresse sont cinématiques et électrodynamiques. Le document de juin, Réflexions sur l’Electrodynamique, L’éther, la géométrie et la Relativité les expose bien mais sans en indiquer explicitement les sources. (Il y’a effectivement une absence bibliographique presque totale dans ce texte)
Pour compléter notre méditation sommaire sur la genèse interne du concept einsteinien de masse, il convient d’en dégager l’état embryonnaire en résumant ces éléments comme l’auteur les présente.
C) L’état embryonnaire
1) Les embryons cinématiques. À ce niveau, nous rencontrons dans le texte les éléments suivants :
a) celui de la relativité,
b) celui de la constance de la vitesse de la lumière ; l’auteur les définit ainsi :
1°) « étant donné deux systèmes de coordonnées en translation uniforme l’un par rapport à l’autre,les lois aux quelles sont soumis les changements d’état des systèmes physiques restent les mêmes quel que soit le système de coordonnées auquel ces changements sont rapportés.
2°) chaque rayon lumineux se meut dans le système de coordonnées « au repos » avec la vitesse déterminée qu’il soit
émis par un corps au repos ou un corps en mouvement....

2-Les embryons électrodynamiques : sur ce plan nous avons
essentiellement les idées qui suivent :

Il est clair, par conséquent, que ce fond embryonnaire électromagnétique, où on a dû appliquer la cinématique relativiste, est essentiellement méthodologique,
Mais nous sommes déjà au seuil de la genèse externe. Cet état embryonnaire indique l’influence de deux sciences qui sont dans une certaine alliance, savoir la mécanique et l’électromagnétisme
Il suffit de l’expliciter en en montrant la dimension historique et bibliographique pour être dans notre seconde préoccupation c’est ce que nous allons faire avant d’arriver à la source ultime.


II. La genèse externe : Mécanique, électromagnétisme et thermodynamique

1) La Mécanique

-Remarquons d’abord que l’auteur a voulu rompre avec les absolus spatiaux- temporels de la mécanique newtonienne devenus incompatibles avec l’apparition de nouveaux phénomènes physiques (électromagnétiques et optiques...) et qui dérangeaient les savants comme H.Mach et H.Poincaré. C’est pour cette raison qu’Einstein va se débarrasser de l’éther qui leur est intimement lié. (Il y reviendra d’ailleurs d’une certaine manière au niveau de la relativité générale en établissant le concept de champ de gravitation). Il est à noter qu’ici l’auteur est attiré par les grandes vitesses dont celle de la lumière représente le maximum.
- Il est inévitable, par conséquent, de passer de la transformation de Galilée relative aux petites vitesses à celle de Lorentz en rapport avec les grandes vitesses. Ces dernières équations sont, bien entendu, d’origine électromagnétique, Einstein leur a donné une fonction cinématique précise. Il a fait la même chose avec la vitesse de la lumière ...
Là on doit citer Voigt qui a , en fait , formulé ces équations avant Lorentz, apparemment sans que celui-ci le sache, et Poincaré qui a dû les analyser et qui leur a donné la dénomination de «groupe de Lorentz » . Mais Einstein s’est porté manifestement au texte de 1904 de son ami Lorentz. C’est, en tout cas, ce qu’il déclare à plusieurs reprises.
- Dans cette nouvelle situation , la théorie de l’addition des vitesses conforme à l’esprit galiléen devient invalide. Einstein note sur se plan qu’elle ne concorde pas du tout avec la nouvelle donnée relative à la vitesse de la lumière.
- Mais le principe même de la relativité, portant sur les corps pondérables ayant des vitesses normales, doit être généralisé pour pouvoir contenir les nouveaux faits physiques et les nouvelles vitesses extraordinaires. La relativité restreinte doit être fondée sur un principe de relativité original qui contient celui de Galilée.
Si, à chaque dynamique, doit correspondre une cinématique précise et si la dynamique classique est en rapport avec une cinématique basée sur les absolus spatiaux temporels et le principe dit de Galilée, la nouvelle dynamique des atomes dont l’acte de naissance a été déterminé se fonde sur une science des mouvements dont-on vient de dégager l’essentiel en suivant d’ailleurs les textes ultérieurs d’Einstein où il a été explicite sur ses sources bibliographiques. La nouveauté est qu’il s’agit ici de grandes vitesses que ne peuvent avoir que les atomes. L’ancien régime classique demeure une limite en l’absence de vitesses extraordinaires.(13)
Tels sont les contours de la mécanique naissante que représente la relativité restreinte et dont Einstein se voit obligé d’en chercher le lien avec l’électrodynamique qui préoccupait également les esprits savants de l’époque tant au niveau de sa signification profonde que sous l’angle de l’hétérogénéité qu’elle manifestait avec la mécanique.(14). Qu’en est-il de cette dernière science ?


2) L’électromagnétisme

a) Les trois éléments embryonnaires indiqués peuvent être brièvement explicités d’un point de vue historique de la façon suivante :
- Les équations de Maxwell-Hertz : Il s’agit de quatre équations qui résument toute la connaissance électromagnétique admise jusque là en y ralliant l’optique qui était plutôt une science indépendante.
Les deux premières équations portent sur la structure précise du champ électromagnétique, les deux dernières concernent le rapport de ce champ à ses sources, c'est-à-dire aux charges fixes ou mobiles. Là, Maxwell a manifestement profité successivement des travaux de Gauss (troisième équation) et d’Ampère (quatrième équation).
La vraie originalité de Maxwell est d’avoir montré que le champ électrique et le champ magnétique étaient, au fond, soumis à une équation analogue à celle relative à la propagation d’une onde. Le rôle de Hertz, à ce niveau, est d’avoir vérifié expérimentalement les équations maxwelliennes. Il découvrit l’émission et la détection des ondes électromagnétiques. (14)
- Au centre du traitement de l’onde lumineuse se trouve la théorie de l’effet Doppler qui concerne le changement de fréquence d’un signal périodique quelconque. Ce changement intéresse le passage de l’émission à la réception au cas où la source est en état de mouvement. Ce phénomène, qui a été vérifié pour la première fois en 1845 par Buys Ballot, concerne, en fait, aussi les ondes acoustiques et a été appliqué en astronomie pour déceler la vitesse d’éloignement des étoiles par rapport à la terre. (15)

La théorie de la dynamique de l’électron est née, en fait, chez trois auteurs qui sont, en respectant l’ordre chronologique, Hasenhörl, Lorentz et Poincaré. Le premier a, manifestement, donné une interprétation limitée physiquement, le savant français partant de Lorentz, a établi une théorie tout à fait au point du point de vue du formalisme mathématique. C’est Lorentz qui paraît être le plus important sur ce plan précis, surtout dans son écrit de 1904 où il a mis en place d’une façon définitive, ce qu’on appelle la transformation de Lorentz que représentent les quatre équations à quoi Einstein a donné une fonction cinématique comme on a vue. (16)

b) L’influence méthodologique sur Einstein de ces trois éléments électromagnétiques peut être caractérisée brièvement comme suit :

- les équations de Maxwell-Hertz se rencontrent au niveau du processus général du texte de septembre1905. L’auteur l’a reconnu et le reconnaîtra dans les textes qui seront utilisés. - Le traitement de l’énergie des rayons lumineux, qui s’intègre facilement, au fond, dans les dernières équations, a été utilisé dans le premier mouvement du texte relatif, a-t-on dit, à la quantification de l’énergie de radiation.

- La théorie de l’électron, qui ne rompt pas non plus avec la méthode générale, été employée plutôt au niveau du second mouvement du même texte .Einstein qui nie, dans le mémoire de 1906 avoir été influencé par Poincaré dont il aurait ignoré la production, est parti, croyons nous, du texte définitif que son ami a écrit en 1904. Tout le laisse croire : le lien très étroit entre nos deux auteurs, la similitude des textes etc...

Cette fonction méthodologique de l’électromagnétisme chez Einstein a attiré l’attention de plusieurs commentateurs. Il est intéressant d’évoquer, sur ce plan, Perrin qui voit que l’auteur serait tombé dans une incohérence, car pour traiter un sujet si général qui porte sur la masse de tous les corps , il fait usage d’une méthode particulière qu’il dérive de l’électromagnétisme ; pour ce physicien français l’auteur de la nouvelle conception de la masse aurait dû plutôt utiliser une méthode qui ait le même degré généralité que l’objet de l’étude (17).
En fait, Perrin se trouve sur la ligne de son compatriote Langevin qui a critiqué Einstein pour les mêmes raisons et qui est allé jusqu'à proposer une méthode plus générale, dont le point de départ serait l’un des principes fondamentaux de la physique qui sont :le principe d’équivalence, celui de la relativité et les lois de la cinématique(18)
Il ressort de nos analyses que l’équation E=mc2 vient d’une alliance entre la mécanique et l’électromagnétique. C’est ce qu’Einstein reconnaît explicitement dans tous les textes cités à commencer par l’acte de naissance jusqu’au livre synthétique de 1955. La même idée est d’ailleurs contenue dans un petit texte de 1946 où il présente « une démonstration élémentaire de l’équivalence de la masse et de l’énergie ». Les éléments qu’il indique ne sortent pas en effet de cette combinaison. Plus exactement il s’agit pour lui d’une relation certaine entre le principe de relativité qui est en fin de compte une généralisation de celui de Galilée et les équations de Maxwell qui contiennent en fait l’autre pilier de la relativité restreinte, à savoir le principe de la constance de la vitesse de la lumière.
Il est clair que l’auteur réduit les deux termes du rapport au strict minimum, à l’essentiel. Cet esprit de réduction qu’on rencontre aussi chez Descartes, D’Alembert et Comte ne lui est pas du tout étranger(20).
En résolvant ainsi un problème important à l’époque, qui consiste à résorber la non concordance entre la mécanique et l’électrodynamique, il a modifié la première qui doit désormais obéir au nouveau principe de relativité, mais aussi la seconde qui se voit dépourvue de ses dissymétries qui ne sont pas selon lui « inhérentes aux phénomènes »,il l’a fait en réalité en suivant le principe de covariance qui dit que les lois physiques doivent avoir la même forme, respecter les mêmes équations(21).
Partant d’une combinaison précise entre la mécanique et l’électrodynamique où la première paraît l’objet à parfaire et la seconde la méthode à utiliser, Einstein a, au fond, produit une nouvelle théorie de l’énergie qui porte essentiellement sur le monde des atomes Mais il y’a au 19e siècle une science de l’énergie par excellence à laquelle tous les savants de l’époque ont appartenu d’une façon ou d’une autre y comprisd’ailleurs Einstein lui-même et qui est liée à la grande révolution industrielle. Il s’agit de la thermodynamique.


3) La thermodynamique

Cette science est, en droit, susceptible d’influencer la constitution du nouveau concept d’énergie.
- D’abord justement parce que son unique préoccupation c’est l’énergie qu’elle traite en utilisant ce qu’on appelle traditionnellement : premier principe et deuxième principe de la thermodynamique Il est question respectivement de :
  1. Un principe qui a été, en fait, découvert bien avant l’autre et dont la fonction est de traduire la conservation de l’énergie dans un système donné. Dans sa formulation actuelle, ce principe exprime l’énergie totale d’un système fermé c'est-à-dire celui qui n’échange pas de matière avec le milieu extérieur.
  2. Un autre dont l’origine remonte à Sadi Carnot en 1824 dans Réflexion sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance. En gros il traite l’évolution d’un système lorsque sa fermeture est nécessairement rompue Il est intimement lié au concept de temps, à celui d’irréversibilité (et d’entropie qui en mesure le degré).
- En résumé, la thermodynamique, traitant de l’énergie en rapport avec la masse en général et celle qui a trait aux atomes en particulier, peut très bien avoir influencé Einstein au niveau où nous sommes, lui qui en est parti explicitement (Planck aussi) pour établir sa théorie des quanta en 1905(22 bis).
b) Bien plus, nous croyons avoir rencontré un document où l’auteur reconnaît cette influence. Il s’agit d’un texte de 1946 qui a pour titre : E=mc2 (23)

- Il entend dès le début comprendre la loi de l’équivalence de la masse et de l’énergie. « Pour comprendre la loi de l’équivalence de la masse et de l’énergie, nous devons rappeler les deux principes de conservation ou de bilan qui ont occupé chacun à part un rang élevé dans la physique pré-relativiste. Les deux principes étaient le principe de la conservation de l’énergie et celui de la conservation de la masse ».
- Il analyse d’abord le principe de l’énergie en en traçant l’histoire depuis Leibniz jusqu'à l’état où il était à son époque et conclut : « De cette façon, les principes de la conservation de l’énergie mécanique et de l’énergie thermique furent fondus en un seul principe »
-Il passe ensuite à l’examen du principe de la conservation de la masse qui renferme la masse inerte (la résistance à l’accélération) et la masse pesante que définit le poids d’ un corps.
-La conclusion est la suivante : «  Les physiciens ont accepté ce principe jusqu’à il y a quelques décades, mais il se montra inadéquat en présence de la théorie de la relativité restreinte. C’est pourquoi il fut fondu dans le principe de l’énergie exactement comme, il y a soixante ans, le principe de la conservation de l’énergie mécanique a été combiné avec celui de la conservation de la chaleur. On peut dire que le principe de la conservation de l’énergie, après avoir absorbé celui de la conservation de la chaleur, a fini par absorber celui de la conservation de la masse et occupe seul le terrain. »
D’un point de vue mécanique qui est le projet initial
d’ Einstein, la nouvelle théorie est sur la ligne du concept classique de Leibniz, mais profondément modifié par l’auteur en effaçant la séparation de l’énergie et de la masse. Cependant, la thermodynamique demeure très importante, à ce niveau, car désormais son concept d’énergie est contenu dans celui que définit la mécanique.


En définitive

1) L’équation, E = mc2 qui exprime la nouvelle conception einsteinienne de la masse ou de l’énergie (les deux concepts sont équivalents) est née à partir d’embryons mécaniques et électrodynamiques dans un texte de Septembre 1905, intitulé L’inertie d’un corps dépend-elle de sa capacité d’énergie ? où elle n’était pas suffisamment mûre et explicite. Le processus de mûrissement, qui s’est fait vraisemblablement sous l’impulsion des travaux einsteiniens sur les quanta, a commencé l’année suivante et s’est poursuivi jusqu’à la veille de la mort de l’auteur .

2) Il est évident, par conséquent, que cette équation vient, du point de vue externe, de deux sciences dont l’hétérogénéité posait un problème à l’époque, qui sont la mécanique et l’électromagnétisme. Einstein, en a fait une synthèse précise qu’il reconnaît explicitement et qui était tant désirée en elle même. Mais l’influence de la thermodynamique est certaine également. Notre savant, qui a beaucoup aimé cette science et qui l’a pratiquée, en est parti pour réformer le concept de l’énergie à la lumière des nouvelles données physiques.
Le problème de l’auteur est d’abord mécanique, il l’a résolu en faisant usage de deux sciences du 19e siècle qui sont l’électromagnétisme et la thermodynamique. C’est là une preuve du rôle qu’a joué le 19e siècle dans la constitution de la science du 20e siècle.



Notes


1-In Réflexion sur L’électromagnétisme, l’éther la géométrie et la relativité (juin1905), Traduction de M. Solovine et de Mme Tonnelet,  Gauthier Villars, 1972.
2-Annales de physique, 201906,p627,633.
3-Jabrbuch der Radioaktivität, 1907 ; cf aussi H. A. Lorentz, 1853-1928 de Jean Jacques Samueli et Jean Claude Boudenot, Ellipses, 2005.
4-Cf l’édition de Gauthier Villars, 1925.
5-Cf l’édition de Flammarion de 1948
7-Cf le petit article de 1946, intitule E=mc2, in Conceptions Scientifiques, Trad de M. Solovine, Flammarion, 1990.
8-Ibid, par exemple.
9-Le premier intéresse la production et l’absorption de la lumière ; le second concerne la théorie du rayonnement chez Planck ; cf Œuvres choisies d’Einstein, Tome 1, Direction de F.Balibar, Seuil, 1989.
10- Cf, par exemple, Anatomie des atomes de J. Hladik, Ellipses 1999 (l’introduction).
11- I bid.
12-Pour cela cf. le livre sur Lorentz déjà cité, p153- p156.
13- Cf. par exemple le livre de synthèse la relativité, ibid.
14- À propos de l’hétérogénéité de ces deux sciences, qui préoccupait les savants de l’époque , cf, par exemple, le livre de Jean-Marie Vigoureux, Ellipses 2005, chapitre 3. En ce qui concerne l’équation Maxwell-Hertz, cf, par exemple, le livre sur Lorentz, ibid, p69, p73.
15-cf, Des physiciens de A à Z de André Rousset et Jules Six, Ellipses, 2000, p106.
16-Electromagnetic phenomena in a system moving with velocity smaller than light, Amsterdam, 1904. On peut en trouver un exposé clair dans le livre sur Lorentz cité, p169 et p172. Du reste, on peut rencontrer dans le même ouvrage des renseignements précis et convaincants sur les deux autres auteurs et sur l’évolution de la théorie en question chez Lorentz
Notons, d’autre part, que ce concept électrodynamique de la dynamique de l’électron constitue un modèle qu’Einstein a dû généraliser à tous les types des corps. Il parle de cette possibilité, à la suite de Lorentz, dans le texte qui nous occupe, au paragraphe 10 indiqué de son œuvre fondamentale.
17- L’inertie de l’énergie, in Série d’exposés et de discussions diriges par Langevin, Hermann, 1932.
18-Ibid.
19- Cf Conceptions scientifiques, ibid.
20- Cf à propos de cet esprit de réduction voir A. Bachta, « La philosophie des quanta », Revue philosophique, Tunis, 2003, n°32/33.
21-Cf le livre de Jean Marie Vigoureux, cité, P 102.
22- Les atomes, Flammarion, Paris, 1991 ; cf aussi B Tyburce, Des Esprits aux atomes, Ellipses, 2004, chapitre 10.
22 bis -Pour ce qui est de thermodynamique, cf par exemple :
a) Une petite histoire de la physique d’Isabelle Desit-Ricard, Ellipses, 2001, pages 45 et 62.
b) Les paris de la thermodynamique de Chérif Zananiri, Ellipses, 2002, première partie.
23- Déjà cité.




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